Caroline Doris Meva est écrivaine et épouse de l’ancien ministre des finances du Cameroun, Polycarpe Abah Abah. Diplômée d’études supérieures de littérature et de philosophie, elle déploie sa plume pour fustiger le dialogue annoncé entre l’actuel président français et le politologue Achille Mbembe.
Un sommet France - Afrique se tiendra à Montpellier du 08 au 10 juillet 2021. Cette fois, ce ne sont pas des Chefs d'État africains qui y sont conviés, mais un panel d'intellectuels africains, conduits par Achille Mbembe, qu'on ne présente plus. Il s'agit de personnalités connues pour leur engagement en faveur de l'Afrique, leurs prises de position franches et parfois critiques vis-à-vis de la politique africaine de la France.
Cette rencontre est consécutive à un constat : le sentiment de rejet de plus en plus marqué des jeunes générations africaines vis-à-vis de la France. Cette dernière est progressivement supplantée dans son pré carré africain (sa chasse gardée jusqu'ici) par d'autres États, notamment la Russie, la Chine, l'Allemagne, la Turquie, le Brésil, le Japon, etc ...
L'enjeu de ce sommet est capital pour la France ; c'est l'avenir des relations entre la France et l'Afrique qui se joue ici. Macron souhaite instaurer une relation équitable et un véritable partenariat avec les africains ; mettre en avant les jeunes (plus de la moitié de la population de l'Afrique) qui incarnent le renouvellement générationnel, sur les plans politique, économique et social ; ces jeunes qui seront amenés à bâtir l'Afrique de demain.
Bien que constituant la majorité de la population, les jeunes se considèrent comme des laissés-pour-compte ; ils jouent un rôle de second plan, quand ils ne sont pas tout simplement oubliés, ignorés par les dirigeants de leur pays. Cette jeunesse sans espoir, sans perspectives d'avenir, va grossir les rangs des migrants qui frappent aux portes de l'Europe, en quête d'une vie meilleure. Ne vous y trompez pas, ces jeunes ne sont ni insensés, ni ignorants : leur fuite vers l'Europe est un geste de désespoir, par instinct de survie, une tentative ultime pour ne pas mourir à petit feu et sombrer définitivement dans leur pays d'origine.
Nombreux sont ceux qui réussissent en fin de compte, à l'exemple du boxeur camerounais Ngannou, qui a remporté récemment un trophée mondial. Ces jeunes migrants font fi de de tous les dangers, parce qu'ils se considèrent comme étant déjà "morts". Si ces jeunes trouvaient les conditions idoines pour mener une vie décente dans leur pays d'origine, nul doute que le nombre des candidats à l'émigration se réduirait comme peau de chagrin.
La jeunesse africaine subit de plein fouet le chômage, la paupérisation, la corruption, le manque de considération et le non-respect des libertés fondamentales dans leur pays d'origine. Ils estiment que la France, complice de leurs dirigeants africains, est le principal responsable de leurs malheurs. Le dernier exemple en date qui illustre le rejet de la France par la jeunesse africaine, c'est lors des émeutes qui ont suivi l'arrestation de l'opposant Ousmane Sonko au Sénégal le 03 mars 2021 ; lors de ces manifestations, les intérêts français ont particulièrement été visés par les saccages et les pillages, notamment 14 supermarchés Auchan, des boutiques de l'opérateur de téléphonie Orange, et les stations Total. Les populations africaines, et surtout les jeunes sont les principales victimes des conséquences du joug économique et politique que la France fait peser sur les pays africains.
PAR REFERENCE A L'AFFAIRE GEORGE FLOYD, LE "GENOU" DE LA FRANCE EST POSE SUR LE "COU" DE L'AFRIQUE
Le constat est clair : les pays africains du pré carré français et de la Françafrique ne connaissent que des indépendances de façade, et n'ont jamais cessé d'être sous la domination de la France, malgré les discours "politiquement corrects", et les dénégations véhémentes de la France. La réalité incontournable est que la jeunesse africaine se meurt, asphyxiée peu à peu par le poids des relations déséquilibrées entre la France et les pays africains, dans tous les domaines.
De manière métaphorique, en évoquant l'affaire George Floyd aux États-Unis, qui a embrasé le monde en mai 2020, nous sommes portés à penser que, tout comme le genou du policier Derek Chauvin, a causé la mort par strangulation de George Floyd, de même, le 'genou" de la France est posé sur le 'cou" des pays africains et les tue à petit feu.
Les soubresauts de la jeunesse africaine pour échapper à une mort certaine à terme, ont amené la France à prendre conscience de la gravité de la situation. L'organisation du sommet de juillet prochain résonne comme une tentative de lever le pied (le genou) afin d'éviter la mort par asphyxie de ses partenaires africains ; de ne pas tuer la poule aux œufs d'or, ou de voir celle-ci s'envoler vers des cieux plus cléments. Mais cette initiative est-elle appropriée ? Le remède proposé est-il à la hauteur de la gravité du mal ?
UN DIALOGUE SANS OBJET
Le dialogue proposé par Macron me semble inapproprié pour deux raisons :
1) - Le choix des intellectuels comme interlocuteurs pose un problèmes d'écoute et de représentativité de ceux-ci auprès des jeunes, pauvres, sans emploi et sans perspectives d'avenir. La plupart des intellectuels africains sont perçus comme des privilégiés, proches et complices des dirigeants africains, rejetés pour la plupart par ces jeunes générations. Ils sont coupés du bas peuple et ne connaissent pas les mêmes préoccupations que lui.
2) - Macron et les intellectuels africains SAVENT pertinemment quels sont les problèmes que subit la jeunesse africaine. Nul n'est besoin d'organiser un sommet dont on connaît les résultats d'avance : l'on prononcerait de beaux discours ; l'on fera des promesses et des recommandations qui resteront des vœux pieux rangés dans les tiroirs, et qui ne seront pas suivis d'actes concrets. Brefs on remuera du vent, au son des vuvuzelas des médias internationaux. L'organisation de ce sommet est comme une diversion, destinée à gagner du temps, et à retarder l'échéance fatidique d'une prise de décisions douloureuses mais salvatrice, tant pour la France, que pour les pays africains. Ce sommet est comme un pansement que l'on appose sur une plaie purulente, dont l'effet, à terme, sera d'aggraver le mal. Monsieur Macron doit prendre son courage à deux mains, enlever le pansement, curer la plaie, afin qu'elle ait une chance de guérir. Il devrait réinstaurer une relation de confiance réelle avec la jeunesse africaine, et pour cela il devrait ôter le "genou" de la France qui pèse lourdement sur le "cou" des relations françafricaines, en prenant les décisions courageuses suivantes, sans hypocrisie, sans langue de bois, sans complaisance :
- Supprimer la taxe coloniale.
- Revoir les conditions injustes et abusives de la dette bilatérale, sous laquelle ploient les pays africains ; ce qui leur permettrait de disposer d'un complément de ressources pour financer leurs projets de développement.
- Décoloniser la monnaie, notamment le franc des colonies françaises d'Afrique (CFA), contrôlé par la France.
- Dépoussiérer des accords de coopération vieux de plus de 50 ans, établis essentiellement en faveur de la France, au détriment des pays africains.
- Remplacer le système d'exploitation de la Françafrique par une relation égalitaire, fondée sur le respect mutuel entre les partenaires.
- Lever la main-mise de la France sur le contrôle de la politique et des économies africaines.
Un changement radical de stratégie, l'implémentation d'un logiciel nouveau pour la gestion des relations entre la France et ses partenaires africains s'impose, sinon celle-ci perdra progressivement et irrémédiablement son influence en Afrique.
Presque parvenu en fin de mandat, quelles sont, en direction de l’Afrique, les visées réelles du Chef de l’Etat français ? Peut-on encore considérer qu’il en ait jamais vraiment eues ? Au regard de ses nombreux atermoiements, louvoiements et autres interminables questionnements, Emmanuel Macron a fini par nous laisser perplexes. Manifestement, il convient, sur cette affaire des rapports françafricains, de cesser de chercher midi là où se trouve quatorze heures.
La mystique des missions
Après les missions déjà confiées précédemment à quelques intellectuels africains et français sur la question de la mémoire et de l’histoire africaines dans son rapport à la France, le président français a remis ça avec une nouvelle mission confiée à notre compatriote, l’historien Achille Mbembe. Nous apprenons que cette autre initiative participe d’une opération prélude à une rencontre prévue avec des jeunes Africains lors du sommet Afrique-France de juillet 2021 à Montpellier, en vue d’une « redéfinition des fondamentaux de la relation France Afrique ». Nous ne pouvons alors nous empêcher de nous rappeler d’un forum similaire avec les diasporas africaines en juillet 2019 sous les ors de l’Elysée en compagnie du Président ghanéen Nana Akoufo Ado, cible de séduction cette année-là. Deux années auparavant à Ouagadougou, le 28 novembre 2017, Emmanuel Macron organisait sa première agora de mystification de la jeunesse africaine dans un amphithéâtre bondé en compagnie de son homologue burkinabè Roch Marc Christian Kaboré qui devrait s’en souvenir encore… Franchement un peu bluffé à l’époque par le discours aux allures volontaristes de ce jeune président, je lui adressai une lettre dont je vous livre un petit extrait :
« Monsieur le Président, je voudrais d’entrée de jeu vous dire sincèrement que malgré le scepticisme rattaché depuis quelques décennies aux discours et déclarations d’intention de vos prédécesseurs sur les mutations de la relation franco-africaine, vous nous donnez l’impression, en raison de la nature singulière et des fondements historiques de ladite relation, d’incarner une belle opportunité de modification positive de la trajectoire africaine….. En ma qualité de leader politique œuvrant avec beaucoup de peine pour l’affranchissement de son pays d’une multitude de facteurs d’obstruction à l’épanouissement de sa jeunesse et de toutes ses populations, je veux vous encourager à aller dans le sens de cette amitié constructive et mutuellement bénéfique à laquelle vous avez fort opportunément fait allusion à Ouaga. Une amitié revisitée et renouvelée entre la France et l’Afrique francophone peut, en effet, être l’occasion historique d’un nouveau départ. Je suis persuadé que nous en avons la belle opportunité aujourd’hui ».
Quatre ans plus tard, force est de constater que rien de substantiel n’a été accompli dans ce chantier. L’un des rares et plutôt mauvais souvenirs que l’on peut en garder est cette tentative avortée de hold-up en 2020 du projet de monnaie Eco de la Cedeao. Le jeu trouble d’Emmanuel Macron et d’Alassane Ouattara sur ce dossier reste vivace dans nos esprits. Les réformettes envisagées par la France dans ce cadre sont demeurées du domaine du cosmétique, enlisées qu’elles sont restées dans les fondamentaux du système de fonctionnement de la zone franc.
Privilégiant l’approche technocratique des missions ainsi que celle de vastes opérations de mise en scène de débats dont il demeure lui-même l’acteur central, Emmanuel Macron est visiblement englué dans une logique de faire-semblant qui n’échappe plus à personne. L’échéance électorale de 2022 pourrait aussi receler quelques bonnes visées électoralistes à l’endroit de l’important électorat afro-descendant. S’agissant du débat qu’il affectionne particulièrement, chacun peut aisément constater que le président français aime bien, dans ses arènes arrangées pour les besoins de la cause, ferrailler avec ceux de nos jeunes qui pensent et lui rappellent sans cesse que les principales misères de l’Afrique sont issues de cette décolonisation ratée car jamais vraiment désirée. Je voudrais, au passage, lui suggérer que nous ayions, lui et moi, un véritable débat de fond sur une chaîne de télévision française de son choix. Cela lui permettrait, au reste, de préparer son prochain débat de deuxième tour de la présidentielle française… Avec lui-même ou l’un des membres de son gouvernement, la clarté pourra ainsi être définitivement faite sur ce que je considère comme la source profonde des malheurs des pays d’Afrique membres de la zone franc (PAZF). Les misères de cette partie du continent noir sont essentiellement dues à trois formes de servitude pour le moins redoutables subies depuis de bien longues décennies. La servitude culturelle et philosophique, la servitude monétaire et économique et la servitude politique, toutes d’extraction française.
La servitude monétaire et économique
En réalité, Emmanuel Macron sait exactement ce qu’il faut faire afin de mettre fin à ladite servitude néocoloniale mais rechigne à s’y engager. Sans doute, les intérêts supérieurs, aussi bien géopolitiques que géoéconomiques de la France l’en dissuadent-il. Parmi la pléthore de notes, rapports, lettres et contributions de toute nature reçus sur cette question, ma lettre sus-citée lui indiquait encore ce qui suit, sur le chapitre de la servitude monétaire :
« La rareté et les pénuries diverses sont le lot quotidien de nos concitoyens. Cet environnement d’austérité est tributaire de la mal gouvernance en vigueur, d’un système d’éducation et de formation inadapté, mais aussi et surtout des effets considérablement atrophiants de la mécanique du Franc CFA, symbole significatif, s’il en est, de la survivance de la françafrique et plus généralement, du pacte colonial. Le déficit abyssal en matière de mobilisation de nos forces productives est en grande partie lié à ladite mécanique. Nous avons en cette matière, vitalement besoin d’appliquer les prescriptions de deux savants faisant depuis longtemps unanime autorité en la matière : Jacques Rueff qui nous rappelle que ‘le destin de l’homme se joue sur la monnaie’, lorsque dans la même veine, Joseph Tchundjang Pouémi nous instruit de ce que la superstructure monétaire précède l’infrastructure économique et sociale. Mais alors, quel destin, quelle infrastructure économique et sociale pouvons-nous construire sans une monnaie créée à cet effet ? ».
La servitude sociopolitique
S’agissant de la servitude sociopolitique, je lui rappelai les faits ci-après : « Dans un autre registre, nos dispositifs politiques et électoraux viciés, nos constitutions sans cesse profanées, nos velléités de pouvoir perpétuel, de successions dynastiques, confirment que ‘nos démocraties sont en effet mal parties’ ».
Il faut dire que nos sociétés rentrent chaque jour dans des processus de déréliction et de chaos nourris par le défaut de cadres institutionnels pertinents d’expression de la démocratie. Il y a lieu de rappeler que c’est bien la France, à travers François Mitterrand, qui instruisit l’approche démocratique aux chefs d’Etat africains. Trente ans plus tard, on en vient à constater que cette démocratie à l’africaine fut simplement subtilement pensée ainsi afin de favoriser les potentats aux ordres dont chacun peut observer la perpétuité à la tête de nos Etats. Le dispositif institutionnel vicié du « parti-Etat » en œuvre partout dans nos pays est, en effet, en addition aux diverses techniques plus prosaïques de fraude et de corruption électorale, la fondation stratégique sur laquelle repose l’une des plus grandes escroqueries politiques jamais accomplies en ce monde. Qui en est à l’origine, quand on connaît le rôle traditionnel des conseillers français auprès des palais africains ? Je suis désormais convaincu que ce mécanisme fut malicieusement introduit par la France afin d’assurer son contrôle politico-administratif indéfectible sur nos Etats. En tout état de cause, au lieu de cet ersatz de démocratie confiscatoire, les Africains ont droit à une véritable Démocratie telle que promise par le lointain prédécesseur François Mitterrand. Sur le plan social, j’attirai également l’attention du président français sur les faits suivants :
« L’actualité médiatique alimentée par les drames épouvantables de l’immigration en Méditerranée mais aussi de la traite d’Africains subsahariens par d’autres Africains est au centre des préoccupations de la communauté africaine et internationale. La pauvreté et la misère, nourries par le chômage de masse des jeunes africains, est le quotidien de l’écrasante majorité de nos populations. Les Africains sont profondément fatigués d’une situation de moins en moins supportable. L’insoutenabilité de cette réalité sociale brise chaque jour les rares ressorts de résistance éthique et morale qui nous restaient. La corruption se généralise, les mentalités se dégradent davantage, les déviances et autres contre-pratiques sociales de toute nature se démultiplient ».
Chacun peut donc constater à quel point la tragédie existentielle des pays africains membres de la zone franc est tributaire de leurs liens historiques à la France. Les tergiversations d’Emmanuel Macron relativement à une déconstruction desdits liens attestent bien d’une incapacité d’initiatives franches dans ce sens. Elles sont, en fait, une fin de non-recevoir à l’impératif et l’exigence de mettre un terme à des rapports profondément surannés. Il faut dire qu’aujourd’hui comme hier, les réalités de cette relation mafieuse ont occasionné et occasionnent l’appauvrissement croissant de l’Afrique, le brisement de destins politiques, de carrières professionnelles, de vies humaines et de familles entières. Nos Etats se trouvent, dans la conjoncture crisogène actuelle, dans une situation de bérézina généralisée.
Africains, prenons notre destin en main !
Malgré cela, je dois dire que l’Afrique n’a pas besoin de cette aide perfusée et à dose homéopathique qu’on lui brandit, souvent en chantage, depuis des décennies. Nos Etats ont besoin d’accéder à une pleine et totale autodétermination. Cette dernière est le seul gage d’une gouvernance renouvelée et fondée sur la quête de la performance de la part des pouvoirs publics. Face à leur destin et non plus sous le parapluie tutélaire français, nos gouvernements seront obligés de mettre en œuvre les politiques publiques les plus appropriées et les plus innovantes permettant de faire fonctionner les Etats de façon convenable. Ils seront tous obligés d’apprendre à le faire tout en promouvant ainsi la culture de la justice sociale dans toutes les sphères de la cité. De tels Etats deviendraient mécaniquement des partenaires économiques crédibles et dignes d’intérêt pour la France. Cette dernière serait ainsi affranchie de cette image indélébile de « colonisateur impénitent et profiteur » qui lui colle à la peau. De la même manière, les phénomènes de déclin socioéconomique qui la travaillent, qui sont aussi consubstantiels de ladite image, pourraient connaitre un reflux bénéfique.
Cela étant dit, je ne me fais aucune illusion ni sur la capacité ni sur la volonté d’Emmanuel Macron à démanteler le redoutable édifice restant de la françafrique. Il se complaira, comme je l’ai déjà démontré, à poser des actes superficiels de faire-semblant au service de son agenda politique intérieur. Pour lui, il faut juste essayer de redéfinir ou de réformer en surface ces liens tombés en désuétude depuis bien longtemps. Pour nous, il est simplement question de dénoncer et saborder les accords, traités et conventions, connus ou secrets, signés avec la France. En raison de nos évidentes différences d’approche, toutes les initiatives macroniennes ne peuvent être que des opérations de distraction des Africains.
A ces derniers, je prescris une action politique solidaire, intelligente et sage, afin d’accomplir le sabordage des derniers et infiniment subtils et nuisibles bastions de l’ordre néocolonial. D’où l’urgence de voir émerger dans l’espace public africain, un nouveau leasdership, patriote, libérateur et émancipateur, déterminé à affranchir nos Etats de cette servitude coloniale inacceptable en plein 21e siècle. C’est, assurément, la seule voie d’avenir pour nos Etats.
Que Dieu libère et bénisse l’Afrique.
Par Pr Olivier BILE, Universitaire et Homme politique camerounais et africain
Président du Mouvement pour l’Emancipation et l’Intégration Monétaires de l’Afrique (MEIMA)
Le texte publié le mardi 6 octobre 2020 de l’écrivain Achille Mbembe est intitulé «la communauté des captifs».
C’est un véritable choc épistolaire que nous livrent les textes de l’écrivain, philosophe Achille Mbembe et du Pr Jacques Fame Ndongo. Le premier affirme qu’alors que le temps poursuit son bonhomme de chemin ailleurs, il s’est plutôt littéralement arrêté au Cameroun. La faute à l’actuel régime à qui, le peuple laisse faire. Pour Achille Mbembe, le peuple camerounais qui refuse de se sauver, s’est réfugié plutôt dans le tribalisme. Un point de vue fermement rejeté par le Pr Jacques Fame Ndongo qui affirme que le peuple camerounais est plutôt lucide et mûr. Par ailleurs il n’a pas besoin de se libérer ayant acquis son indépendance depuis l’année 1960.
Nous vous proposons ci-dessous le texte intégral d’Achille Mbembe
LA COMMUNAUTE DES CAPTIFS
Alors que partout ailleurs il semble évoluer à une vitesse accélérée, le temps s'est littéralement arrêté au Cameroun.
Invente il n'y a pas longtemps par les Allemands, puis administre pendant près d'une quarantaine d'année par les Français et les Anglais, cette contrée d'une richesse insondable est tombée sous la coupe de tyrans locaux depuis 1958. Depuis à peu près 40 ans, elle est systématiquement mise à sac par un vieux satrape, grabataire qu'entoure une armée de sicaires et de brigands.
Pendant ce temps, le peuple, frappe d'ankylose, se vautre dans la boue et se gave de sa propre bêtise et de sa lâcheté. Tournant le dos à la dignité, il a opté pour le tribalisme. Il attend que quelqu'un vienne le sauver à sa place. Fausse conscience? Calcul intéressé? Bienheureux celui ou celle qui pourra déchiffrer l'énigme et démonter les ressorts de cette monstrueuse abdication.
Comme plusieurs autres," j'en ai marre" et souhaiterais être loin de tout cela. De cette spirale démoniaque. Très loin de la puanteur. Ecrire mes livres. Apporter ma petite contribution à l'éveil de l'Afrique là où celle-ci est sollicitée. Vivre ma petite vie avant de m'éclipser à mon tour, comme tous ceux et toutes celles qui sont parties avant nous. Le Cameroun a refusé de renouveler mon passeport camerounais. Il cherche à me déchoir de ma nationalité. Mais au lieu de se débarrasser franchement de moi, il ne me lâche pas. Il me suit partout et me colle sur la peau comme une part damnée.
Ce matin encore, comme cela est arrivé un certain nombre de fois dans le passe et comme cela arrive de plus en plus régulièrement, je reçois un autre appel en faveur d'un autre prisonnier détenu sans procès dans les geôles d'un régime sous lequel la prison est devenue une condition. Et chaque citoyen africain un captif potentiel.
Je ne suis ni un militant, ni un activiste. Et je n'ai aucune vocation à en devenir un, ou à faire de la politique un métier. Mon champ d'action, c'est l'écriture et la réflexion. J'ai consacré tout un chapitre de mon dernier livre, BRUTALISME (La communauté des captifs) a tous les prisonniers camerounais qui, depuis quelques années, frappent régulièrement à ma porte, je ne sais pourquoi. Et ils sont très nombreux. De plus en plus nombreux.
Un seul individu ne peut pas s'occuper de toutes ces causes. Elles ne sont pas individuelles. Elles sont politiques. Dans tous les mouvements de résistance, le passage par la prison a toujours été un moment clé du "cycle initiatique qui mène à la libération. Encore faut-il qu'une communauté se forme et prenne en charge le fait de la captivité comme un élément décisif de la dynamique de libération.
Aux Camerounais et aux Camerounaises de bonne volonté, je voudrais donc poser une seule question. Est-il possible de faire corps et d'initier, ensemble, un vaste mouvement international, dont l'objectif unique serait de braquer toute la lumière du monde sur le sort des captifs de notre peuple?
En sa qualité de Secrétaire à la Communication du Comité central du Rassemblement démocratique du peuple camerounais, le Pr Jacques Fame Ndongo a tenu à répondre à l’historien, philosophe et écrivain Achille Mbembe à qu’il est attribué un texte, dans lequel il est dit que le Cameroun est tombé sous la coupe de tyrans locaux depuis 1958.
Depuis hier mardi 6 octobre 2020, circule sur la toile, un texte intitulé «la communauté des captifs». Ce texte présenté comme étant d’Achille Mbembe n’a pas du tout réjouit le Pr Jacques Fame Ndongo Secrétaire à la Communication du Comité central du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc). Dans une déclaration de 3 pages, le cadre du parti au pouvoir laisse entendre que le texte de l’écrivain camerounais s’en prend à Paul Biya, le Président de la République.
«Le Pr Achille Mbembe rêve-t-il d’être le Cicéron camerounais ? Il vient d’écrire une «catilinaire» contre le Chef de l’Etat et le régime «satanique» (dixit) de Yaoundé. Cicéron avait rédigé quatre discours contre Catilina («les catilinaires») : j’attends donc les trois autres textes incendiaires de celui qui veut «libérer le peuple camerounais» sans dire quand, où et comment ? Va-t-il libérer le Cameroun ex nihilo, avec des marches imaginaires ou des slogans loqueteux ? (la praxis et l’éthos sont souvent éloignés du logos). «Rassemblement de la diaspora. Et quid des camerounais de l’intérieur ? Sont-ils tous «tribalistes», «bêtes» et «lâches» selon le postulat de M. Mbembe ?», peut-on lire dans la déclaration du Pr Fame Ndongo.
Les camerounais pas dupes
Poursuivant dans sa réponse, le Pr Jacques Fame Ndongo qui affirme que le peuple camerounais n’est pas bête ni lâche et encore moins tribaliste, déclare qu’il est plutôt lucide, mûr, responsable et intelligent, voire inventif et créatif. Il souligne que le peuple sait très bien distinguer les artifices des réalités. «Le peuple n’est pas dupe. Il sait bien discerner la vanité de la vérité. Il sait faire la différence entre les raccourcis et les voies démocratiques. Pour gagner la confiance du peuple, il faut le convaincre et non le terroriser» (S.E Paul Biya, Yaoundé, le 4 octobre 1991)», rapporte le Pr Jacques Fame Ndongo.
Peuple libre
Le Secrétaire à la Communication du Comité central du Rdpc trouve que le philosophe, écrivain Achille Mbembe n’a pas raison lorsqu’il appelle à la libération du peuple.
« Le point de vue de M. Mbembe est anachronique : Libère-t-on un peuple qui est libéré depuis le 1er janvier 1960 (indépendance du Cameroun d’expression française) et le 1er octobre 1961 (Indépendance du Cameroun d’expression anglaise et réunification avec le Cameroun d’expression française) ? Quant à la parole et au paysage politique, ils ont été libérés avec les lois du 19 décembre 1990 promulguées par le Président Paul Biya… » écrit le Pr Jacques Fame Ndongo.
Choc épistolaire: ce texte d'Achille Mbembe qui dérange le Pr Fame Ndongo
Liliane N.
Depuis mi-avril 2020, l’intellectuel camerounais est taxé d’antisémitisme par des journaux allemands à propos du contenu de son ouvrage intitulé « Politiques de l'Intimité », paru aux éditions de la Découverte en 2016. Pour rompre définitivement avec le débat, Achille a décidé de sortir de son silence.
Achille Mbembe est depuis près d’un mois au cœur d’une polémique dans la sphère politico-médiatique. Pour avoir « dressé » un parallèle entre l’Apartheid en Afrique du Sud et la situation des Palestiniens dans son ouvrage, l’écrivain camerounais est accusé d’antisémitisme par des journaux allemands tels que Die Zeit, le Frankfurter Allgemeine, le Süddeutsche Zeitung etc.
Dans une déclaration, Achille Mbembe rassure et répond à ses détracteurs. « Si je vous écris, c’est d’abord pour vous rassurer. Je suis à Johannesburg. Je me porte bien, et je suis en sécurité. Les premiers qui sont venus à mon secours et qui m’ont prêté leurs voix, ce sont des savants, intellectuels, chercheurs, écrivains, artistes et diplomates israéliens, juifs, allemands et palestiniens. Certains d’entre eux, je ne les connaissais que de nom », fait savoir le philosophe, historien et politologue.
Il rappelle à titre utile, les conditions morales qui lui impose la lutte contre l’antisémitisme. « La lutte contre l’antisémitisme et le néonazisme relève de l’urgence absolue. De par sa singularité, le projet d’annihilation des juifs en plein cœur de l’Europe moderne constitua une implacable rupture dans la conscience non seulement européenne, mais dans son ensemble. Nier ce fait essentiel dessert toutes les luttes pour la justice et l’égalité dans le monde, et pas seulement la lutte « contre la haine des juifs ». En retour, le combat sans concession contre l’antisémitisme ne saurait, ni sur le plan éthique, servir de prétexte pour alimenter les racismes contre d’autres peuples de la terre, pour les réduire au silence, étouffer leur plainte, ou disqualifier les rêves d’égalité, de justice et de liberté qu’il porte », relève-t-il.
Achille s’interroge
Quant à la polémique qui s’en est suivie dans le milieu politico-médiatique allemand, l’intellectuel camerounais s’interroge, « que se passe-t-il ? ». Achille Mbembe dit avoir reçu plusieurs messages de la part des personnes qui s’inquiètent à son sujet, de son bien-être, de sa sécurité. Des inquiétudes tenant au fait qu’ils ont appris depuis des semaines que Achille fait l’objet des attaques, de la part des milieux de droite et d’extrême-droite en Allemagne. « A l’origine de cette campagne de diffamation se trouve un politicien local de la Rhénanie Nord-Westhanie. Il s’appelle Lorenz Deutsch. Il ne me connaît pas et je ne le connais pas. Il est officiellement membre du FPD. Certains d’entre vous me demandent s’il entretient quelque lien que ce soit avec les milieux néonazis et ultra-nationalistes. Je n’en sais rien. Tout ce que je sais, c’est qu’il ne voulait pas que je prononce la grande conférence d’ouverture du Festival de la Ruhrtriennale de cette année. Le festival a été annulé pour cause de Covid-19 », déclare l’écrivain.
Dans cette dynamique, Achille Mbembe pense, ce « politicien ne pouvait pas dire qu’il ne voulait d’un nègre au festival. Il ne pouvait pas dire qu’il s’opposait à moi parce que je soutiens des thèses anticoloniales. Ou que j’ai pris position pour la restitution des objets d’art africains. Ou que je m’oppose au traitement que l’Europe fait subir aux migrants et aux demandeurs d’asile ».
Instrumentalisation
Le politologue conclut qu’il s’agit tout simplement d’une instrumentalisation de l’antisémitisme car précise-t-il que les choses ont pris une tournure dangereuse lorsque, armé de son tissu de mensonges, Lornz Deutsch est allé voir Félix Klein, le Commissaire du gouvernement fédéral pour la lutte contre l’antisémitisme et lui a fait endosser. « Ce dernier s’est fendu de déclarations dans les médias. Depuis, lors il ne se passe plus un seul jour que soit publié un article à mon sujet, que ce soit dans la presse régionale ou nationale », révèle Achille Mbembe.
Innocent D H
Dans une interview accordée au journal français Médiapart, l'écrivain et philosophe camerounais s'inscrit au dessus des visions pessimistes sur l'évolution du coronavirus dans le continent africain. Il estime, "le virus peut soulager le continent d'une partie de ses gérontocrates".
Dans son développement argumentatif, Achille Mbembe ne cède pas à des prédictions qui tendent à faire croire qu'une hécatombe se pointe sur le continent africain du fait des conséquences du Covid-19 dans cette partie du globe. Evoquant la situation en Afrique, notamment celle centrale, l'intellectuel parle des "tyrans" qui sont à la tête des Etats depuis plusieurs décennies. Selon lui, dans ces pays, les systèmes de santé se trouvent dans un délabrement total. Cependant, l'enseignant à l'Université de Witwatersrand de Johannesburg en Afrique du Sud écarte le pire arguant que les vieillards peuvent néanmoins beaucoup craindre la maladie.
Il explique," à cause de prédilection supposée pour les vieillards, le virus peut, à la limite soulager le continent d'une partie de ses gérontocrates. Mais cela m'étonnerait qu'à lui tout seul, il mette fin à la tyrannie". A travers cette posture, Achille Mbembe pense que le coronavirus va permettre le règlement de la question de certains "tyrans" au pouvoir.
Le philosophe voit également la possibilité pour l'Afrique d'organiser valablement une riposte contre la propagation du Covid-19. Une telle réponse n'est plausible que lorsque "l'Afrique arrête de s'aveugler. Qu'elle apprenne à nouveau à se penser au-delà des mythes et des faux mouvements, qu'elle redevienne elle-même habitable, c'est-à-dire capable de marcher par elle-même, sans avoir besoin des prothèses", suggère-t-il.
Pour cela, il faudrait "qu'à l'anesthésie ambiante, à l'étiolement programmé, elle oppose ses immenses potentialités; qu'elle puisse au plan profond de ses rêves imaginaires et, au lieu de répéter chez-elle ce qui n'a pas marché ailleurs, qu'elle invente des chemins radicalements neufs, pour elle et pour le monde, cela est possible, à condition de réinvestir dans le monde d'après", croit fermement Achille Mbembe.
Rappelons-le, depuis le début de la pandémie de coronavirus, des voix ont prédit une hécatombe en Afrique. C'est le cas du secrétaire général de l'Onu qui annonçait des milliers de mort en Afrique.
Innocent D H