Presque parvenu en fin de mandat, quelles sont, en direction de l’Afrique, les visées réelles du Chef de l’Etat français ? Peut-on encore considérer qu’il en ait jamais vraiment eues ? Au regard de ses nombreux atermoiements, louvoiements et autres interminables questionnements, Emmanuel Macron a fini par nous laisser perplexes. Manifestement, il convient, sur cette affaire des rapports françafricains, de cesser de chercher midi là où se trouve quatorze heures.
La mystique des missions
Après les missions déjà confiées précédemment à quelques intellectuels africains et français sur la question de la mémoire et de l’histoire africaines dans son rapport à la France, le président français a remis ça avec une nouvelle mission confiée à notre compatriote, l’historien Achille Mbembe. Nous apprenons que cette autre initiative participe d’une opération prélude à une rencontre prévue avec des jeunes Africains lors du sommet Afrique-France de juillet 2021 à Montpellier, en vue d’une « redéfinition des fondamentaux de la relation France Afrique ». Nous ne pouvons alors nous empêcher de nous rappeler d’un forum similaire avec les diasporas africaines en juillet 2019 sous les ors de l’Elysée en compagnie du Président ghanéen Nana Akoufo Ado, cible de séduction cette année-là. Deux années auparavant à Ouagadougou, le 28 novembre 2017, Emmanuel Macron organisait sa première agora de mystification de la jeunesse africaine dans un amphithéâtre bondé en compagnie de son homologue burkinabè Roch Marc Christian Kaboré qui devrait s’en souvenir encore… Franchement un peu bluffé à l’époque par le discours aux allures volontaristes de ce jeune président, je lui adressai une lettre dont je vous livre un petit extrait :
« Monsieur le Président, je voudrais d’entrée de jeu vous dire sincèrement que malgré le scepticisme rattaché depuis quelques décennies aux discours et déclarations d’intention de vos prédécesseurs sur les mutations de la relation franco-africaine, vous nous donnez l’impression, en raison de la nature singulière et des fondements historiques de ladite relation, d’incarner une belle opportunité de modification positive de la trajectoire africaine….. En ma qualité de leader politique œuvrant avec beaucoup de peine pour l’affranchissement de son pays d’une multitude de facteurs d’obstruction à l’épanouissement de sa jeunesse et de toutes ses populations, je veux vous encourager à aller dans le sens de cette amitié constructive et mutuellement bénéfique à laquelle vous avez fort opportunément fait allusion à Ouaga. Une amitié revisitée et renouvelée entre la France et l’Afrique francophone peut, en effet, être l’occasion historique d’un nouveau départ. Je suis persuadé que nous en avons la belle opportunité aujourd’hui ».
Quatre ans plus tard, force est de constater que rien de substantiel n’a été accompli dans ce chantier. L’un des rares et plutôt mauvais souvenirs que l’on peut en garder est cette tentative avortée de hold-up en 2020 du projet de monnaie Eco de la Cedeao. Le jeu trouble d’Emmanuel Macron et d’Alassane Ouattara sur ce dossier reste vivace dans nos esprits. Les réformettes envisagées par la France dans ce cadre sont demeurées du domaine du cosmétique, enlisées qu’elles sont restées dans les fondamentaux du système de fonctionnement de la zone franc.
Privilégiant l’approche technocratique des missions ainsi que celle de vastes opérations de mise en scène de débats dont il demeure lui-même l’acteur central, Emmanuel Macron est visiblement englué dans une logique de faire-semblant qui n’échappe plus à personne. L’échéance électorale de 2022 pourrait aussi receler quelques bonnes visées électoralistes à l’endroit de l’important électorat afro-descendant. S’agissant du débat qu’il affectionne particulièrement, chacun peut aisément constater que le président français aime bien, dans ses arènes arrangées pour les besoins de la cause, ferrailler avec ceux de nos jeunes qui pensent et lui rappellent sans cesse que les principales misères de l’Afrique sont issues de cette décolonisation ratée car jamais vraiment désirée. Je voudrais, au passage, lui suggérer que nous ayions, lui et moi, un véritable débat de fond sur une chaîne de télévision française de son choix. Cela lui permettrait, au reste, de préparer son prochain débat de deuxième tour de la présidentielle française… Avec lui-même ou l’un des membres de son gouvernement, la clarté pourra ainsi être définitivement faite sur ce que je considère comme la source profonde des malheurs des pays d’Afrique membres de la zone franc (PAZF). Les misères de cette partie du continent noir sont essentiellement dues à trois formes de servitude pour le moins redoutables subies depuis de bien longues décennies. La servitude culturelle et philosophique, la servitude monétaire et économique et la servitude politique, toutes d’extraction française.
La servitude monétaire et économique
En réalité, Emmanuel Macron sait exactement ce qu’il faut faire afin de mettre fin à ladite servitude néocoloniale mais rechigne à s’y engager. Sans doute, les intérêts supérieurs, aussi bien géopolitiques que géoéconomiques de la France l’en dissuadent-il. Parmi la pléthore de notes, rapports, lettres et contributions de toute nature reçus sur cette question, ma lettre sus-citée lui indiquait encore ce qui suit, sur le chapitre de la servitude monétaire :
« La rareté et les pénuries diverses sont le lot quotidien de nos concitoyens. Cet environnement d’austérité est tributaire de la mal gouvernance en vigueur, d’un système d’éducation et de formation inadapté, mais aussi et surtout des effets considérablement atrophiants de la mécanique du Franc CFA, symbole significatif, s’il en est, de la survivance de la françafrique et plus généralement, du pacte colonial. Le déficit abyssal en matière de mobilisation de nos forces productives est en grande partie lié à ladite mécanique. Nous avons en cette matière, vitalement besoin d’appliquer les prescriptions de deux savants faisant depuis longtemps unanime autorité en la matière : Jacques Rueff qui nous rappelle que ‘le destin de l’homme se joue sur la monnaie’, lorsque dans la même veine, Joseph Tchundjang Pouémi nous instruit de ce que la superstructure monétaire précède l’infrastructure économique et sociale. Mais alors, quel destin, quelle infrastructure économique et sociale pouvons-nous construire sans une monnaie créée à cet effet ? ».
La servitude sociopolitique
S’agissant de la servitude sociopolitique, je lui rappelai les faits ci-après : « Dans un autre registre, nos dispositifs politiques et électoraux viciés, nos constitutions sans cesse profanées, nos velléités de pouvoir perpétuel, de successions dynastiques, confirment que ‘nos démocraties sont en effet mal parties’ ».
Il faut dire que nos sociétés rentrent chaque jour dans des processus de déréliction et de chaos nourris par le défaut de cadres institutionnels pertinents d’expression de la démocratie. Il y a lieu de rappeler que c’est bien la France, à travers François Mitterrand, qui instruisit l’approche démocratique aux chefs d’Etat africains. Trente ans plus tard, on en vient à constater que cette démocratie à l’africaine fut simplement subtilement pensée ainsi afin de favoriser les potentats aux ordres dont chacun peut observer la perpétuité à la tête de nos Etats. Le dispositif institutionnel vicié du « parti-Etat » en œuvre partout dans nos pays est, en effet, en addition aux diverses techniques plus prosaïques de fraude et de corruption électorale, la fondation stratégique sur laquelle repose l’une des plus grandes escroqueries politiques jamais accomplies en ce monde. Qui en est à l’origine, quand on connaît le rôle traditionnel des conseillers français auprès des palais africains ? Je suis désormais convaincu que ce mécanisme fut malicieusement introduit par la France afin d’assurer son contrôle politico-administratif indéfectible sur nos Etats. En tout état de cause, au lieu de cet ersatz de démocratie confiscatoire, les Africains ont droit à une véritable Démocratie telle que promise par le lointain prédécesseur François Mitterrand. Sur le plan social, j’attirai également l’attention du président français sur les faits suivants :
« L’actualité médiatique alimentée par les drames épouvantables de l’immigration en Méditerranée mais aussi de la traite d’Africains subsahariens par d’autres Africains est au centre des préoccupations de la communauté africaine et internationale. La pauvreté et la misère, nourries par le chômage de masse des jeunes africains, est le quotidien de l’écrasante majorité de nos populations. Les Africains sont profondément fatigués d’une situation de moins en moins supportable. L’insoutenabilité de cette réalité sociale brise chaque jour les rares ressorts de résistance éthique et morale qui nous restaient. La corruption se généralise, les mentalités se dégradent davantage, les déviances et autres contre-pratiques sociales de toute nature se démultiplient ».
Chacun peut donc constater à quel point la tragédie existentielle des pays africains membres de la zone franc est tributaire de leurs liens historiques à la France. Les tergiversations d’Emmanuel Macron relativement à une déconstruction desdits liens attestent bien d’une incapacité d’initiatives franches dans ce sens. Elles sont, en fait, une fin de non-recevoir à l’impératif et l’exigence de mettre un terme à des rapports profondément surannés. Il faut dire qu’aujourd’hui comme hier, les réalités de cette relation mafieuse ont occasionné et occasionnent l’appauvrissement croissant de l’Afrique, le brisement de destins politiques, de carrières professionnelles, de vies humaines et de familles entières. Nos Etats se trouvent, dans la conjoncture crisogène actuelle, dans une situation de bérézina généralisée.
Africains, prenons notre destin en main !
Malgré cela, je dois dire que l’Afrique n’a pas besoin de cette aide perfusée et à dose homéopathique qu’on lui brandit, souvent en chantage, depuis des décennies. Nos Etats ont besoin d’accéder à une pleine et totale autodétermination. Cette dernière est le seul gage d’une gouvernance renouvelée et fondée sur la quête de la performance de la part des pouvoirs publics. Face à leur destin et non plus sous le parapluie tutélaire français, nos gouvernements seront obligés de mettre en œuvre les politiques publiques les plus appropriées et les plus innovantes permettant de faire fonctionner les Etats de façon convenable. Ils seront tous obligés d’apprendre à le faire tout en promouvant ainsi la culture de la justice sociale dans toutes les sphères de la cité. De tels Etats deviendraient mécaniquement des partenaires économiques crédibles et dignes d’intérêt pour la France. Cette dernière serait ainsi affranchie de cette image indélébile de « colonisateur impénitent et profiteur » qui lui colle à la peau. De la même manière, les phénomènes de déclin socioéconomique qui la travaillent, qui sont aussi consubstantiels de ladite image, pourraient connaitre un reflux bénéfique.
Cela étant dit, je ne me fais aucune illusion ni sur la capacité ni sur la volonté d’Emmanuel Macron à démanteler le redoutable édifice restant de la françafrique. Il se complaira, comme je l’ai déjà démontré, à poser des actes superficiels de faire-semblant au service de son agenda politique intérieur. Pour lui, il faut juste essayer de redéfinir ou de réformer en surface ces liens tombés en désuétude depuis bien longtemps. Pour nous, il est simplement question de dénoncer et saborder les accords, traités et conventions, connus ou secrets, signés avec la France. En raison de nos évidentes différences d’approche, toutes les initiatives macroniennes ne peuvent être que des opérations de distraction des Africains.
A ces derniers, je prescris une action politique solidaire, intelligente et sage, afin d’accomplir le sabordage des derniers et infiniment subtils et nuisibles bastions de l’ordre néocolonial. D’où l’urgence de voir émerger dans l’espace public africain, un nouveau leasdership, patriote, libérateur et émancipateur, déterminé à affranchir nos Etats de cette servitude coloniale inacceptable en plein 21e siècle. C’est, assurément, la seule voie d’avenir pour nos Etats.
Que Dieu libère et bénisse l’Afrique.
Par Pr Olivier BILE, Universitaire et Homme politique camerounais et africain
Président du Mouvement pour l’Emancipation et l’Intégration Monétaires de l’Afrique (MEIMA)