Avocate au Barreau du Cameroun, la présidente de la Coalition camerounaise contre la peine de mort (Cocapem) revient dans cet entretien, sur la lutte contre la peine de mort au Cameroun et son impact sur les proches des victimes.
Vous êtes la porte-parole de la Cocapem. Quels sont les objectifs de cette Coalition ?
La Cocapem est la mise en œuvre des résolutions arrêtées lors du dernier atelier de formation co-organisé par Droit et paix et ECPM (Ensemble Contre la peine de Mort) le 22 juin 2019 à Yaoundé après la présentation officielle du rapport intitulé « Condamnés à l’oubli » produit par ces deux organisations et le Racopem (Réseau des Avocats Camerounais contre la Peine de Mort). Nous avons pour objectif, entre autres, de fédérer les efforts nationaux et internationaux afin d’aboutir à l’abolition de la peine de Mort; de mobiliser les Organisations de la Société Civile engagées dans le combat abolitionniste afin de mieux structurer et concentrer les efforts de celles-ci pour un rendu efficace et efficient; d’établir un réseau de solidarité entre les Osc militant pour l’abolition de la Peine de Mort, d’apporter une aide juridique et psychologique aux personnes vulnérables à savoir non seulement les personnes condamnées à mort mais également leurs proches, leurs familles et même leurs Conseils.
Ce nouveau mouvement abolitionniste a-t-il vocation à agir sur le plan local, national ou international?
L’objectif étant l’abolition de la peine de Mort, notre mouvement en étroite ligne avec les objectifs communs partagées par ECPM, la Coalition Mondiale contre la Peine de Mort et toutes les autres organisations abolitionnistes, a vocation à agir tant à l’échelle local, national qu’international. Nous lançons un vibrant appel aux coalitions nationales africaines et occidentales pour un partenariat effectif et productif. Notre jeune mouvement entend s’entourer des mouvements forts expérimentés pour porter son combat très haut.
Que pensez-vous de l’évolution de la lutte contre la peine de mort au Cameroun ?
Assez timide au début, je peux affirmer au regard des différents résultats obtenus depuis bientôt une dizaine d’années que le combat abolitionniste est sur la bonne voie. Beaucoup de choses changent, certes doucement mais sûrement. L’association Droit et Paix ainsi que bien d’autres associations n’ont ménagé aucun effort depuis ces dernières années pour faire bouger les lignes. Avec la naissance du Racopem, nous avons mené plusieurs actions tant juridiques que judiciaires contribuant à la consolidation du combat abolitionniste. Ces avancées sont d’autant remarquables avec la production du tout premier rapport sur la situation de la peine de mort dans notre pays depuis la période coloniale à cette date. C’est le seul document pour le moment au Cameroun qui renseigne suffisamment sur la question de la peine de Mort. La mise sur pied de la présente Cocapem est également la preuve d’une avancée significative de la lutte contre la peine de mort. Par le passé, les OSC travaillaient de façon isolée, mais aujourd’hui elles ont décidé de fédérer leurs efforts pour avancer en rangs serrés dans ce combat.
Nous avons obtenu devant des juridictions tant militaires que civiles, plusieurs acquittements, plusieurs décisions reformées positivement. Nous avons réalisé de multiples interventions tant sur le plan national, régional qu’international avec nos diverses participations aux séminaires, congrès et ateliers de travail et/ou de formation sur la question de la peine de Mort. La relecture de la Loi de 2014 sur le terrorisme par les parlementaires, la manifestation de leur intérêt à la nécessité d’abolir la peine de mort et la franche collaboration des acteurs judiciaires sont autant de signes de l’évolution positive du combat que nous menons.
Est-il possible de penser que le Cameroun pourra abandonner la Peine de mort au regard des lois pénales actuellement en vigueur et notamment l’application de la loi anti-terroriste du 23 décembre 2014 ?
Le Cameroun est un pays abolitionniste de fait, c’est à dire que les peines prononcées ne sont plus exécutées. Le Cameroun a également ratifié le premier protocole facultatif à la Convention contre la Torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. S’il est vrai que le législateur a durci le ton dans les lois pénales actuellement en vigueur et notamment celle de 2014 sur le terrorisme, il n’en demeure pas moins que l’acceptation par le gouvernement camerounais de procéder à la relecture de cette loi peut s’interpréter comme une flexibilité du Cameroun à passer, d’abolitionniste de fait à abolitionniste de droit.
Généralement une condamnation à mort à des répercussions sociales, principalement, sur les proches des victimes. Quelles sont les dispositions qui peuvent être prises pour leur protection?
Cette question m’interpelle particulièrement car les proches des condamnés à mort et leurs conseils sont les victimes invisibles de cette lourde peine. Stigmatisation, préjugés, rejet, dépression … sont autant de mots qui collent à la peau de ces victimes d’un genre nouveau. S’agissant des proches des condamnés à mort, notamment leurs progénitures, leur protection et leur réinsertion sociale sont possibles si des dispositions sont prises. Tant la société que le gouvernement ont des devoirs envers ces victimes invisibles. La société devra éviter de verser dans les préjugés, l’exploitation, la maltraitance et le rejet. Le gouvernement quant à lui doit aménager des cadres d’encadrement de ces victimes et assurer leur scolarité gratuitement et leur accompagnement dans la vie active jusqu’à insertion complète dans la société. Un accompagnement psychologique doit également être aménagé par le gouvernement.
Vous êtes par ailleurs, membre du Racopem qui a, dans un rapport publié en 2019, décrié le fait que les condamnations à mort ont très souvent été prononcées à la suite d’aveux extorqués sous torture lors des enquêtes judiciaires. Que faut-il faire pour s’assurer que les peines de condamnation à mort prononcées sont une « sanction juste » ?
Il y a beaucoup à faire car dans bon nombre de dossiers consultés, il ressort des cas d’erreurs judiciaires résultant pour la plupart des aveux extorqués aux condamnés par la torture. Pour éviter les cas d’erreurs judiciaires, il est impératif que les mécanismes de représentation et d’assistance des personnes poursuivies dès leur arrestation soient respectés. Le Gouvernement camerounais doit également mettre en place un mécanisme de prévention de la torture indépendant, car il est difficile de démontrer pendant un procès que l’accusé a fait des aveux sous le coup de la torture, les preuves physiques de cette torture disparaissant avec le temps et la longue durée entre l’instruction et le jugement.
Le combat va s’intensifier alors…
Nous sommes plus que jamais résolus à nous battre sans relâche pour voir cette peine inconstitutionnelle, inhumaine, cruelle et dégradante être retirée de notre loi pénale. Nous avons dès lors besoin du soutien de chacun pour porter haut le flambeau de l’abolition. Si nous avons un message à passer aux autorités publiques, à la société civile et aux victimes de la condamnation à mort c’est bien celui de la considération de l’humanité, de la possibilité d’avoir une seconde chance dans la vie et du devoir de tous de protéger la vie humaine car elle est sacrée et est un don divin.
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Réalisé par M.M.