L’affaire passe depuis le début de la semaine à Porto – Novo et, certains le qualifie de procès hors norme parce qu’il met au devant de la scène, certains barons de la politique au Bénin.
Il a fallu attendre huit années, et vivre de nombreux reports pour connaître enfin ce dénouement. Finalement, le procès ICC - Services, encore appelée affaire Madoff béninoise, s’est ouvert devant la cour de répression des infractions économiques et du tourisme (CRIET).
On parle de 150 000 victimes et de plus de 150 milliards de francs CFA spoliés dans cette affaire qui met en cause, dix personnes poursuivies pour association de malfaiteurs, escroquerie, exercice illégal d’activités bancaires et corruption. Parmi les accusés, Guy Aplogan, président directeur général de ICC-Services (Investment Consultancy and Computering Services), soupçonné d’avoir chapeauté un système de fonctionnement de la structure de 2006 à 2010.
De quoi s’agit –il ?
C’est un véritable système de Ponzi qui a permis de rémunérer des investissements des clients, à travers les fonds obtenus auprès des nouveaux entrants dans lequel les épargnants béninois étaient attirés avec la promesse alléchante de taux d’intérêts mirobolants estimés entre 100 et 300%. La thèse qui se dessine est celle de la distribution régulière des pots-de-vin, qui a permis au système ICC-Services de perdurer dans le temps et à ses promoteurs d’exercer en toute illégalité et en toute impunité de 2006 à 2010.
Le pays entier ne parle plus que de ce procès. Et les premières audiences ont été riches, déjà, en révélations toutes plus fracassantes les unes que les autres. Les accusés et témoins qui se succèdent à la barre ne cessent d’évoquer la grande collusion qui aurait existé entre les responsables de IIC - Services et, le régime de l’ancien président Thomas Boni Yayi.
Devant les juges, Guy Aplogan, directeur général d’ICC-Services, s’est montré calme et serein : « Nous n’avons jamais eu de problème pour payer nos clients avant la crise », a-t-il assuré. Et lorsqu’il a été interrogé sur les raisons de la cessation de paiement de ses clients, Guy Aplogan a lancé que la question devait être posée à l’ancien président, Thomas Boni Yayi, car lui-même n’était pas en mesure de répondre.
Le patron d’ICC-Services a poursuivi en affirmant qu’« au moment de la crise, des hommes sont venus en hélicoptère au domicile d’Emile Tégbénou, l’un des responsables de la société, pour récupérer des coffres contenants pas moins de 27 milliards de francs CFA… ».
Interrogé sur des dons de véhicules à plusieurs autorités administratives et politiques, Guy Aplogan a botté en touche, affirmant n’avoir jamais offert de véhicule et que, si don il y a eu, cela ne pouvait provenir que de l’un de ses collaborateurs.
Le deuxième à répondre aux questions des juges, c’est Emile Tégbénou, considéré par l’accusation comme l’un des cerveaux du système mis en place par ICC-Services. Il a été invité à donner sa version des faits, par rapport à l’origine des 27 milliards de francs CFA : « Je conservais cinq coffres chez moi, parce que j’ai une sainte horreur des tracasseries banquières. Ces 27 milliards provenaient d’investissements personnels dans le BTP, les forages et la location de véhicules… ».
Au détour de son audition, Emile Tégbénou a même affirmé que le ministère de l’Économie et des Finances lui devait encore 27 millions de F CFA pour un contrat de location de véhicules.
Lorsqu’il a abordé sa relation avec Thomas Boni Yayi, Emile Tégbénou a affirmé que : « Le Président de la République m’a demandé de trouver du travail à l’un de ses frères, Abou Salomon Yayi… ».
Des propos qui reflètent l’effectivité des faits, a assuré son avocat, Me Hervé Gbaguidi : « Le pouvoir en place est une puissance qui permet d’accorder des facilités aux hommes d’affaires et, en retour, les hommes d’affaires aussi accordent des facilités financières au pouvoir, ce qui fait que la balance est équilibrée ».
L’ancien procureur général auprès de la cour d’appel de Cotonou, Georges Constant Amoussou, a lui aussi été appelé à la barre, d’où il a affirmé que Thomas Boni Yayi et son Premier ministre d’alors, Pascal Irénée Koupaki, étaient les véritables têtes pensantes de la nébuleuse ICC-Services, évoquant même l’existence d’un pacte entre les deux hommes pour se maintenir au pouvoir.
Dans les jours qui viennent, d’anciens ministres, des hauts fonctionnaires et des responsables de la sécurité et des renseignements à l’époque des faits doivent témoigner devant la Criet. De quoi sustenter l’appétit pour les révélations et les rebondissements d’audience que les huit années de procédures avant le procès ont suscité.
Nicole Ricci Minyem