C’est du moins la lecture que l’on pourrait faire, en lisant le bilan présenté par Charles Mongue – Mouyeme, Consultant en marketing et communication qui affirme entre autres que : « Ceux qui conteront l’histoire de notre époque nous traiteront de zombies, et, malheureusement, ils auront raison… ».
Merci d’avoir accepté de répondre à nos questions. Comme cela est de coutume, avant de rentrer dans le vif du sujet, je vous invite à vous présenter
Je suis Charles MONGUE - MOUYEME, camerounais. Consultant en marketing et communication. Promoteur du site Internet cameroonfairview.com. Observateur attentif de la société camerounaise.
06 Novembre 1982–06 Novembre 2019 : 37 ans de pouvoir pour le Président Paul Biya, de prime abord, qu’est-ce que cela suscite en vous ?
J’éprouve le même sentiment qu’un individu qui est victime de tromperie sur la marchandise. Car on dit « République du Cameroun », alors qu’en réalité nous sommes dans un royaume avec à sa tête un souverain tout puissant, et des populations qui ne sont que ses sujets. Cela suscite en moi de la honte parce que dans quelques siècles, je serai compté dans une génération de camerounais qui a laissé une poignée d’individus les abêtir, spolier le pays, et le conduire vers le chaos. Ceux qui conteront l’histoire de notre époque nous traiteront de zombies, et, malheureusement, ils auront raison.
Je ressens en moi une grosse frustration, celle de l’élève aux portes de l’enseignement supérieur que j’étais en 1982, qui rêvait d’une vie radieuse dans un pays rayonnant, mais qui avance vers l’âge de la retraite dans un Cameroun en lambeaux, en ayant mené une pauvre vie à subir l’arrogance et les démonstrations ostentatoires de richesse des égocentriques et des malhonnêtes.
Les 37 ans de pouvoir du Président Paul Biya suscitent également en moi un mélange de colère et de dépit, quand je vois un pays avec un peuple si travailleur, si inventif, à qui Dieu a offert un environnement naturel des plus généreux, être ravalé au rang de pays pauvre très endetté et champion de la corruption. Quel gâchis !
Pouvez–vous faire une brève lecture des axes clés de cette gouvernance ? Economie–Justice-Social–Défense–Diplomatie–Politique ?
L’économie camerounaise n’a pas cessé de régresser depuis 37 ans : l’énergie s’est raréfiée, obligeant des industries importantes à quitter le Cameroun ; les privatisations des entreprises publiques ont quasiment toutes échoué ; les secteurs stratégiques et sensibles (eau, électricité, téléphonie, etc.) sont passés aux mains des étrangers ; le sous-emploi et le chômage ont battu des records ; de nombreuses entreprises ont fermé du fait de la pression fiscale et de l’insolvabilité des consommateurs (dont l’Etat !) ; malgré une conférence y consacrée, le pays n’est plus attractif pour les investisseurs ; l’infrastructure de transport est en ruine, etc. Le tableau est vraiment sombre, et les perspectives de relance sont floues, ce d’autant plus que le Cameroun est en train de rater le train de l’économie numérique. Bref, en 37 ans, nous avons réussi à bâtir une grande économie de l’informel, avec les motos-taxis, la brocante et le « made in China » de bas de gamme comme fleurons.
La crédibilité de la justice est allée en s’effritant au fil des ans, malgré des réformes importantes comme celle du Code de Procédures Pénales. Le fait est que l’indépendance de la justice est sujette à caution au Cameroun, à cause des ingérences du pouvoir exécutif dans le judiciaire. Les violations des lois et des droits par l’Etat ont gagné en ampleur, et l’impunité a contribué à affaiblir chaque jour un peu plus notre Justice. L’une des causes de la non-attractivité de l’économie camerounaise pour les investisseurs étrangers est d’ailleurs cette insécurité judiciaire.
Sur le plan social, la dégénérescence a été progressive depuis 37 ans, et on peut affirmer aujourd’hui que le Cameroun est un pays socialement sinistré. Le système de santé n’est fiable ni en quantité, ni en qualité : le petit peuple est obligé de s’en contenter quand il y a accès, tandis que l’élite se fait soigner à l’étranger. « Santé pour tous en l’an 2000 » slogan largement propagé dans les années 90, s’est avéré creux, et la nouvelle trouvaille « Couverture Santé Universelle » est en train d’emprunter le même chemin de la vacuité. L’insécurité est allée crescendo avec la pauvreté et le désœuvrement, qui ont exposé les populations fragilisées aux méfaits des églises et sectes sataniques. Les guerres s’y sont ajoutées (Boko Haram, NOSO), et avec la montée du tribalisme, le pays est à 2 doigts de basculer dans l’horreur. Les catastrophes se sont enchaînées (Nyos, Nsam, Mbanga Pongo, Eseka, Gouache, etc.) avec des suites mal maîtrisées et souvent confuses.
Que dire du système éducatif qui s’emmêle les pinceaux depuis plusieurs années à force de changer d’approches pédagogiques et de dénomination des diplômes pour obéir aux mutations imposées par l’Occident ? Les conditions dans lesquelles de nombreux élèves et étudiants suivent les cours sont souvent inacceptables et honteuses. Les enseignants sont clochardisés. Bref, alors qu’elle est à la base de tout développement durable, l’éducation est l’un des parents pauvres du Renouveau.
Du point de vue de la défense, vue du civil profane que je suis, la gouvernance du Président Biya a semblé plutôt bonne, si on exclut la stupide guerre fratricide du NOSO. Que ce soit dans le cadre du conflit de Bakassi qui a connu quelques affrontements armés, ou dans la guerre contre Boko Haram, l’armée camerounaise a fait preuve de bravoure et d’une relative efficacité.
Sur le plan diplomatique, il me semble que depuis 37 ans, elle est en conformité avec la situation de notre pays qui n’est pas tout à fait libre de ses mouvements à l’international : timide, prudente, peu offensive. L’influence de la France sur notre diplomatie est demeurée très forte, et chaque fois que notre pays a été en difficulté vis-à-vis des organisations internationales, nos dirigeants sont allés se lover sous les ailes supposées protectrices de ceux de la France. Il est évident qu’avec les mauvaises notes du Cameroun dans les domaines de l’économie, du respect des règles de la démocratie et des droits de l’homme, notre diplomatie ne peut pas vraiment être fière et conquérante.
En politique, si on devait trouver un seul mot pour la qualifier ces 37 dernières années, ce serait « fourberie ». Au point où, quand une vieille grand-mère du Cameroun vous dit « ne me fais pas la politique », cela signifie : « n’essaye pas de me tromper ». On a laissé créer une multitude de partis politiques pour mieux diluer les idéologies. On a laissé fleurir pléthore de médias (sous « tolérance administrative ») pour mieux les caporaliser et torpiller ainsi la liberté d’expression. Les fraudes et la corruption bloquent toute perspective d’alternance. Les partis d’opposition sont infiltrés par le pouvoir, et les autorités administratives se chargent de les museler, en usant souvent de la violence. Tant du côté de l’opposition que du pouvoir, on instrumentalise le tribalisme et on incite à la haine. La politique sous le Renouveau est un gros échec, le pays étant considéré comme un grand gâteau dont on veut la meilleure part pour soi.
Dans l’un de vos récents post, vous avez écrit : « C’est un exploit de faire regretter le Président Ahmadou Ahidjo » Qu’entendez–vous par là ?
Je constate de plus en plus, en suivant les débats dans les médias, que des gens vantent la gestion du pays par le Président Ahidjo pour montrer à quel point la gouvernance du Président Biya est mauvaise. Or, en 1982, la ferveur qu’il y avait autour du Président Biya était surtout due à la joie de voir son prédécesseur quitter le pouvoir, tellement le peuple se sentait opprimé. Il y avait beaucoup d’injustices, des abus incroyables, et de la corruption à grande échelle. C’est pour cela que le slogan « rigueur et moralisation » du Renouveau naissant avait suscité beaucoup d’espoirs. Vous comprenez donc que, si au bout de 37 ans de règne du Président Biya, des gens regrettent Ahidjo, c’est qu’ils estiment que notre actuel Chef d’Etat est pire que le premier. Et pour qui a vécu les affres de la gouvernance d’Ahidjo, c’est un terrible exploit de réussir à le faire regretter.
Pensez-vous qu’on puisse attribuer les crises en zone anglophone à la mauvaise gouvernance de l’Homme du 06 Novembre 1982 ?
Bien sûr, il ne peut en être autrement, sauf si on ignore le contenu du mot « responsabilité ». L’homme du 06 novembre 1982 comme vous l’appelez, a un peu trop manipulé la Constitution du Cameroun sans rechercher le consensus avec le peuple qui est le vrai détenteur du pouvoir. Le passage de « République Unie du Cameroun » à « République du Cameroun » sans recourir à un référendum sincère était un précédent qui allait nous rattraper tôt ou tard, puisqu'il y a eu des contestations qui ont été ignorées. Et la gestion va-t’en guerre de la grève de la corporation des avocats du NOSO en 2016, après le déni de l’existence d’un problème anglophone au Cameroun, aura été une très mauvaise option prise par le Chef de l’Etat et son gouvernement. Et pendant 03 ans, nos gouvernants ont fait la sourde oreille aux appels à un dialogue inclusif sur la crise au NOSO, privilégiant ainsi une option militaire qui s’est avérée extrêmement meurtrière, pour consentir, plusieurs milliers de morts après, à organiser à Yaoundé un Grand Dialogue National qui n’était pas sincère. Dans ces conditions, à qui d’autre voulez-vous attribuer la responsabilité de la crise au NOSO ? Serions-nous arrivés au désastre actuel si le pouvoir en place avait accepté l’option du dialogue dès la fin d’année 2016, quand il n’y avait encore aucun mort ?
06 Novembre 2018 – 06 Novembre 2019, cela fait un an que le Chef de l’Etat a prêté serment. Pensez–vous qu’après un bilan que nombreux jugent mitigés, il a emprunté la voie de l’émergence du pays dont il a la charge ?
Pour moi, un régime qui n’a pas réussi à organiser une élection présidentielle transparente et juste pour ne pas provoquer de crise post-électorale ; qui n’a pas pu organiser une CAN 2019 qui lui a été attribuée 05 ans plus tôt ; qui ne réussit pas à arrêter une sale guerre fratricide au NOSO ; qui n’arrive plus à conduire aucun chantier sans emprunter de l’argent à l’extérieur ; qui évacue à l’étranger toutes ses personnalités malades ; qui couve des détournements massifs de deniers publics par salaires fictifs interposés ; un tel régime dis-je, n’a pas un bilan mitigé, mais bel et bien négatif.
Personnellement, je n’ai jamais trouvé le concept d’émergence pour les pays très pertinent, mais même en le prenant en considération tel qu’on semble le concevoir chez nous, nous n’avons même pas encore commencé à faire les études du sol et les relevés topographiques de la voie qui mènerait le Cameroun vers l’émergence. Et je doute fort que nous y arriveront sous la gouvernance du Président Biya. Vivement que je me trompe !
Dans la même logique, est ce à lui qu’on doit attribuer la montée du tribalisme, du repli identitaire qui gangrènent de plus en plus ce pays ?
Non, je ne pense pas qu’on doit attribuer la montée du tribalisme et du repli identitaire au seul Président Biya. Je trouve que ce problème est abordé avec beaucoup de légèreté au Cameroun en ce moment, alors qu’il me paraît d’une très grande complexité. Ce que je reprocherais au régime en place, c’est de manquer de courage pour poser véritablement la question du tribalisme sur la table, à travers une assise nationale y consacrée. Nos gouvernants font comme ces juges qui doivent statuer sur un procès en sorcellerie, et qui reportent les audiences jusqu’à leur affectation, pour laisser la patate chaude à leurs successeurs. En 37 ans, le régime du Président Biya a largement eu le temps de traiter le problème du tribalisme au Cameroun, mais il fait du ponce-pilatisme sur la question.
Des propositions pour que le Cameroun soit différemment perçu, en faisant justement référence sur ce qui n’a pas donné les résultats escomptés, au cours des dernières années ?
Je pense que ceux qui ont la charge nous gouverner doivent travailler à ce que le Cameroun soit bien perçu par le peuple camerounais. Pour cela, ils doivent s’assurer que leur gouvernance et eux-mêmes sont bien perçus par ce peuple. D'où la nécessité d’organiser des élections transparentes et justes pour avoir la réelle perception du peuple. Autrement, nous allons tourner en rond, et nous mentir à nous-mêmes pour être faussement bien perçu à l’étranger.
Nicole Ricci Minyem