Très remontés depuis le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi, le sénat américain a adressé un coup de semonce à l'administration Trump : une résolution pour cesser tout soutien militaire à Ryad dans la guerre au Yémen a franchi mercredi un premier obstacle au Sénat.
Dans l'après-midi de ce 28 novembre, 63 sénateurs républicains et 37 démocrates ont donné leur feu vert à un débat sur la résolution bipartisane. Cette large majorité ne préjuge pas du vote final sur le texte, qui pourrait n'intervenir que la semaine prochaine, mais donne une idée du malaise des élus.
En mars, cette même résolution avait échoué au Sénat, n'obtenant que 44 voix. Ce mercredi pourtant, plusieurs sénateurs ont affirmé que cette fois, une majorité semblait s'esquisser, de nombreux parlementaires ayant fait part de leur écœurement après l'assassinat du journaliste saoudien et de leur frustration face à la réponse de Donald Trump.
Ce vote est d'ailleurs le premier acte concret du Congrès, qui menace de prendre plusieurs mesures pour sanctionner le royaume saoudien alors même que le président des Etats-Unis se révéle être le plus solide soutien du puissant prince saoudien Mohammed ben Salmane.
Devant cette pression accrue, Mike Pompeo et Jim Mattis ont défendu l'alliance avec Ryad. Ils ont d'abord partagé avec le Sénat à huis clos, leur connaissance des informations confidentielles sur l'assassinat de Jamal Khashoggi début octobre au consulat saoudien à Istanbul : « Je crois avoir lu tous les éléments du renseignement - il n'y a aucun élément direct liant le prince héritier à l'ordre de tuer Jamal Khashoggi … », a dit devant les médias, Mike Pompeo, même si dans la corporation, on pense le contraire.
De nombreux sénateurs des deux camps ont vivement déploré que la directrice de la CIA Gina Haspel ne soit pas venue en personne leur présenter les preuves dont elle dispose. Le républicain Lindsey Graham, en première ligne pour accuser MBS d'avoir ourdi l'assassinat, a menacé de ne pas voter les prochains textes clés, y compris budgétaires, tant que l'agence de renseignement extérieur n'aura pas directement informé le Congrès.
Mike Pompeo a ensuite critiqué le timing de la résolution parlementaire, estimant qu'elle risquait de nuire aux efforts de paix de l'ONU, qui espère réunir début décembre autour d'une même table le gouvernement yéménite, soutenu par une coalition sous commandement saoudien, et les rebelles Houthis, épaulés par l'Iran -- ennemi commun de Ryad et Washington.
Dans ce même esprit, les Etats-Unis ont demandé au Conseil de sécurité de l'ONU de repousser un projet de résolution appelant à une trêve au Yémen, où la guerre a fait au moins 10'000 morts depuis 2015 et provoqué une crise humanitaire dramatique.
« La souffrance au Yémen m'attriste, mais si les Etats-Unis n'étaient pas impliqués au Yémen, ce serait bien pire », a lancé le secrétaire d'Etat aux sénateurs. Si les Etats-Unis se retiraient de l'effort au Yémen, la guerre ne cesserait pas et cela nuirait considérablement à la sécurité nationale américaine … », a-t-il ajouté.
Plusieurs sénateurs n'ont guère été convaincus par les ministres. Que le royaume soit impliqué ou non dans la mort du journaliste : « Nous combattons une guerre au Yémen que nous n'avons jamais déclarée et que le Congrès n'a jamais autorisée », a affirmé le républicain Mike Lee, coauteur de la résolution, assurant que les interventions gouvernementales ne lui avaient pas fait changer d'avis.
« Le Sénat des Etats-Unis doit impérativement dire aujourd'hui à l'Arabie saoudite et au monde que nous n'allons pas continuer à prendre part à ce désastre humanitaire », a abondé l'autre coauteur, l'indépendant Bernie Sanders.
Nicole Ricci Minyem