Les organisateurs des manifestations qui secouent le Soudan ont appelé à de nouveaux rassemblements antigouvernementaux vendredi et la semaine prochaine, faisant monter la pression sur le régime du président Omar el-Béchir.
En plein marasme économique, le Soudan est en proie depuis le 19 décembre à des manifestations provoquées par la décision du gouvernement de tripler le prix du pain, mais qui se sont rapidement transformées en un mouvement contre le président Omar el-Béchir, qui tient le pays d'une main de fer depuis un coup d'Etat en 1989.
« Nous allons lancer une semaine de soulèvement avec des manifestations dans toutes les villes et villages », a annoncé vendredi l'Association des professionnels soudanais qui regroupe entre autres des médecins, des professeurs et des ingénieurs.
Dans son appel diffusé sur les réseaux sociaux, l'association a notamment appelé à un grand rassemblement dimanche dans le nord de Khartoum et à plusieurs manifestations à travers la capitale jeudi prochain.
Elle avait déjà appelé à un rassemblement après les prières de ce vendredi dans la localité d'Atbara (250 kilomètres au nord de Khartoum), où avait eu lieu la première manifestation. Un total de 22 personnes sont mortes dans ces manifestations antigouvernementales, selon un bilan officiel. Les ONG de défense des droits humains Human Rights Watch et Amnesty International ont elles donné un bilan d'au moins 40 morts.
Les manifestations actuelles représentent le plus grand défi auquel M. Béchir a été confronté en près de 30 ans de pouvoir, selon les experts. Mais ils restent sceptiques sur la capacité des organisateurs à mobiliser en masse : « Certains groupes de l'opposition et des syndicats cherchent à mobiliser pour de nouvelles manifestations, et pensent probablement aux moyens de faire monter (la contestation) en puissance », estime Matt Ward, spécialiste de l'Afrique au centre d'analyse Oxford Analytica, qui a toutefois souligné que « Les protestations sont persistantes mais n'ont pas monté en intensité de manière significative ces derniers jours ».
Crise économique
Le mouvement de contestation a été déclenché par la hausse du prix du pain à la mi-décembre mais le Soudan est en proie à une crise économique qui s'est aggravée au cours de l'année écoulée, avec notamment une forte pénurie de devises étrangères.
Des pénuries d'aliments et de carburant ont été régulièrement signalées dans plusieurs villes y compris Khartoum, tandis que le prix de la nourriture et des médicaments a plus que doublé.
Depuis l'indépendance du Soudan du Sud en 2011, le Soudan a été amputé des trois quarts de ses réserves de pétrole et est aujourd'hui confronté à une inflation de près de 70% par an et à une grave crise monétaire. Les responsables soudanais continuent d'attribuer à Washington la responsabilité des maux économiques du Soudan.
Pour ses détracteurs, le régime du président Béchir est le responsable de la crise économique, pour sa mauvaise gestion et pour avoir consacré le gros du budget aux forces de sécurité face aux conflits qui ont éclaté au cours des dernières années dans plusieurs provinces du pays.
Ces guerres, ainsi que l'incapacité à doper une agriculture dans un pays un temps nommé comme le grenier à blé de l'Afrique, ont conduit à une situation économique désastreuse, alors que la levée par les Etats-Unis de leur embargo commercial en 2017 n'a pas eu les bénéfices espérés, estiment des analystes. Au cours de la semaine qui s’achève, le président Béchir a toutefois affiché sa fermeté lors d'un rassemblement de soutien organisé autour de sa personne à Khartoum :« Ce rassemblement envoie un message à ceux qui pensent que le Soudan va finir comme d'autres pays qui ont été détruits. Ceux qui ont essayé de détruire le Soudan... ont mis des conditions pour résoudre nos problèmes, mais notre dignité vaut plus que des dollars, », a-t-il lancé.
Un millier de personnes ont été arrêtées en trois semaines de manifestations au Soudan, selon des groupes de défense des droits de l'Homme, notamment des militants, des leaders de l'opposition et des journalistes.
La Grande-Bretagne, la Norvège, les Etats-Unis et le Canada ont dit leur inquiétude face à la mort de manifestants et aux arrestations et prévenu que les actions de Khartoum auront un impact sur leurs relations. Selon Khartoum, leurs préoccupations sont biaisées et éloignées de la réalité.
Nicole Ricci Minyem