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Présidentielles au Nigeria

jeudi, 03 janvier 2019 12:22 Mfoungo

 

Entre Muhammadu Buhari et Atiku Abubakar, la bataille s’annonce très rude

 

L’élection présidentielle du 16 février s’annonce aussi incertaine que serrée. D'un côté, le chef de l'État, Muhammadu Buhari, présente un bilan mitigé, de l'autre, la réussite de son principal adversaire, l'homme d'affaires Atiku Abubakar, fascine autant qu'elle rebute.

 

Sa silhouette est frêle, ses gestes restent ceux d’un homme fragile et son visage est marqué par la maladie. Mais Muhammadu Buhari n’est pas mort. « C’est bien moi - Je ne suis pas un clone  », a t’il assuré d’une voix timide en Décembre dernier, lorsqu’il en a eu assez des rumeurs annonçant son décès ou tout au moins, son invalidité. Des informations véhiculées par Nnamdi Kanu, le leader indépendantiste biafrais. Selon elles, le chef de l’État serait mort depuis des mois et un sosie originaire du Soudan, prénommé Jibril, aurait pris sa place.

 

Une élection incertaine

 

Avant d’évoquer la fin clinique du président, nombreux étaient ceux qui pariaient sur sa disparition politique. Fatigué et en difficulté, il ne se battrait pas pour un second mandat, racontait-on dans les quartiers cossus d’Abuja. Et pourtant… Buhari est là, prêt à se jeter de toutes ses forces dans la bataille et à défier Atiku Abubakar, son principal challenger.

 

Sur les 78 prétendants qui rêvent de conquérir Aso Rock Villa, seul le candidat du Peoples Democratic Party (PDP) semble en mesure de ravir le pouvoir à l’All Progressives Congress (APC). Au Nigeria, il faut, pour mener une campagne électorale, disposer de solides relais locaux et d’énormes moyens financiers.

 

Septuagénaire, originaire du Nord et musulman comme Buhari, Atiku, comme le surnomment ses compatriotes, est lui aussi est un vieux routier de la politique. La comparaison s’arrête là. Visage replet, silhouette arrondie, il enchaîne les meetings avec vigueur et hargne. Après avoir tout tenté, pendant vingt-cinq ans, pour accéder à la magistrature suprême, l’ancien vice-président est enfin parvenu, début octobre, à être intronisé candidat du principal parti d’opposition. « Je vais remettre le Nigeria au travail ! », scande-t-il, reprenant un slogan qui a permis à Donald Trump d’accéder à la Maison-Blanche.

 

Surfant sur sa carrière de businessman et insistant sur l’un des points noirs du bilan du président sortant, il promet de créer 3 millions d’emplois par an et de sortir 50 millions de Nigérians de la misère. Qu’importe si ces promesses paraissent peu réalistes. Pays des extrêmes et des superlatifs, où les yachts rutilants côtoient les tentaculaires bidonvilles de Lagos, la première puissance ouest-africaine est devenue cette année le pays au monde où vivent le plus grand nombre (87 millions) de personnes très pauvres.

 

S’il a fini par sortir de la récession qui l’a fortement touché en 2016, le Nigeria reste très affecté par la chute du prix du pétrole. « Les Nigérians ont le sentiment de vivre moins bien qu’il y a cinq ans. Avec la baisse des cours de l’or noir, les dotations aux États ont diminué. Résultat, dans la plupart d’entre eux, les impôts n’ont cessé d’augmenter, explique Laurent Fourchard, spécialiste du Nigeria au sein du Ceri, le centre de recherche de Sciences-Po. La question de la croissance économique sera au cœur de la campagne électorale. Atiku fera valoir son expérience en la matière. »

 

Soupçon de corruption

 

Vice-président de 1999 à 2007, ce libéral avait notamment dirigé le Conseil national pour la privatisation, supervisant la cession de nombreuses entreprises publiques. Surtout, ce membre fondateur du PDP n’a cessé, tout au long de sa carrière politique, de faire prospérer ses affaires. Agent des douanes pendant vingt ans jusqu’à en devenir le directeur adjoint, il a créé en parallèle un vaste empire, présent dans le secteur du pétrole, de l’agriculture, des boissons…

 

Multimillionnaire, il est aujourd’hui l’un des hommes les plus riches du pays. Un succès qui séduit autant qu’il rebute. « S’il a réussi, Atiku n’incarne pas pour autant le self-made-man. Il a acquis sa fortune durant les années qu’il a passées aux douanes, ce qui entretient un fort soupçon de corruption et de conflits d’intérêts », explique Marc-Antoine Pérouse de Montclos, directeur de recherches à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Ses détracteurs soulignent le drôle de mélange des genres, entre politique et affaires, dans lequel excelle le candidat. L’intéressé rétorque qu’il n’a jamais été condamné.

 

Bilan mitigé

 

Face à lui, l’austère président fait plus que jamais figure d’homme intègre. Pas bling-bling pour un sou et tout en retenue, l’ancien général continue à incarner l’ordre et la rectitude, malgré des résultats peu convaincants. S’il avait fait de la lutte de la corruption l’une de ses promesses phare en 2015, Muhammadu Buhari n’a pas réussi à s’attaquer en profondeur à ce mal persistant. Selon l’ONG Transparency International, la corruption n’a pas diminué ces cinq dernières années.

 

En accédant au pouvoir à la faveur de la première alternance pacifique depuis le retour à la démocratie, Buhari a inspiré autant d’espoir lors de son arrivée qu’il suscite de déception aujourd’hui. Même dans le combat contre Boko Haram, le bilan de ce haut gradé est médiocre. Face au groupe jihadiste, le putschiste, qui avait tenu son pays d’une main de fer entre 1983 et 1985, avait paru être l’homme de la situation. Même divisée et affaiblie, Boko Haram n’en poursuit pas moins attaques et enlèvements.

 

Et puis, en cinq ans, la machine APC, qui avait mené Buhari au pouvoir, s’est grippée. Ces derniers mois, de nombreux barons de la politique ont déserté cette large coalition : députés, gouverneurs, présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale, anciens chefs de l’État et même Atiku Abubakar ont fait défection pour rallier le camp adverse.

 

Grogne sociale

 

Adepte de la transhumance électorale, le candidat du PDP peut, en revanche, compter sur quelques soutiens de poids. Dont celui de deux anciens présidents : Ibrahim Babangida et, plus surprenant, Olusegun Obasanjo, qui, après des années de brouille et de haine, lui a tendu la main.

 

S’il a perdu du terrain, Muhammadu Buhari est néanmoins loin d’être vaincu. « Le jeu est très ouvert. Certes, les électeurs critiquent Buhari, mais ils n’ont pas oublié qu’à l’époque où le PDP était au pouvoir, la situation n’était pas meilleure. Et puis, la présidentielle se joue aussi sur le plan local : il faut obtenir au moins 25 % des voix dans au moins 24 des 36 États. De ce point de vue, le président semble mieux ancré dans le pays », décrypte Laurent Fourchard.

 

Membre de l’aristocratie du Nord, haoussa et musulman, il bénéficie toujours d’un soutien quasi inconditionnel dans le septentrion. « On a coutume de dire que pour l’emporter, il faut au moins gagner deux des trois États clés que sont Lagos, Kano et le Rivers. Le Rivers devrait revenir à Atiku Abubakar, et Kano, à Muhammadu Buhari. Reste Lagos, où règne une certaine incertitude », analyse Marc-Antoine Pérouse de Montclos. Alors que le candidat du PDP est traditionnellement majoritaire dans les États du Sud, le sud-ouest igbo devrait une fois encore être le faiseur de roi.

 

Que ce soit Atiku ou Buhari, le futur président risque d’être mal élu, avec un faible taux de participation et sans majorité claire. Beaucoup d’observateurs craignent un certain immobilisme

 

À deux mois de l’élection, les sondages donnent des résultats contradictoires. Pour beaucoup, une seule chose paraît certaine : à 72 et 76 ans, ces deux figures historiques de la politique nigériane incarnent la continuité. « Il faut chasser “Butiku” ! », s’est ainsi exclamée Obiageli Ezekwesili. Cette ancienne ministre, chantre de la lutte anticorruption et elle aussi candidate à la présidentielle, semble avoir peu de chances d’obtenir un score significatif, mais se fait l’écho d’une certaine grogne sociale dans un pays où la majorité de la population a moins de 30 ans.

 

« Que ce soit Atiku ou Buhari, le futur président risque d’être mal élu, avec un faible taux de participation et sans majorité claire. Beaucoup d’observateurs craignent que les quatre prochaines années soient marquées par un certain immobilisme », estime Pérouse de Montclos. « La partie promet d’être serrée, conclut un diplomate en poste à Abuja. Bien malin celui qui se risque à faire des pronostics. Au Nigeria, on se trompe toujours ! ».

 

Nicole Ricci Minyem

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