À J-14, on assiste presque à une campagne normale, malgré les crises redoutées.
Des meetings, des affiches, des promesses : en apparence, la campagne se déroule presque normalement dans l'immense République démocratique du Congo à deux semaines d'élections inédites et deux fois reportées.
La commission électorale met en garde « les responsables politiques qui attisent la violence ». Et même le prix Nobel de la paix congolais Denis Mukwege redoute déjà des troubles après le scrutin.
Pas de nouveau report, a prévenu le président de la commission électorale, Corneille Nangaa: les présidentielle, législatives et provinciales à un tour auront lieu le 23 décembre comme prévu. Les premières tendances pourraient tomber pour Noël, a-t-il ajouté. La proclamation des résultats provisoires est prévue le 30 décembre.
Au total 21 candidats sont en course pour la succession du président Joseph Kabila qui ne peut briguer un troisième mandat, interdit par la Constitution.
Cette guerre de succession est sans précédent dans un pays-continent instable qui n'a jamais connu de transition pacifique du pouvoir.
Sur ces 21 prétendants, seuls trois ont une assise politique : le dauphin de la majorité parrainé par le président Kabila, Ramazani Shadary, et les principaux candidats de l'opposition divisée, Félix Tshisekedi et Martin Fayulu.
Toute cette semaine, les trois hommes ont battu campagne loin de leur fief d'origine.
Originaire du Maniema (est), l'ex-ministre de l'Intérieur Ramazani Shadary a sillonné l'Equateur (nord-ouest), ex-fief de Jean-Pierre Bemba, un soutien de l'opposant Fayulu.
A Gbadolite, M. Ramazani Shadary a fait observer une minute de silence à la mémoire de l'enfant du pays, l'ancien dirigeant Mobutu Sese Seko, au pouvoir de 1965 à 1997.
Dans la capitale provinciale Mbandaka, il a décliné sa promesse anti-corruption: « Tous ceux qui ont détourné l'argent de l'Etat seront arrêtés et jetés en prison ».
Celui qui promet de faire de la RDC un pays émergent a été interpellé par des habitants en colère face au délabrement des routes aggravé par la pluie.
Les deux opposants Tshisekedi et Fayulu ont, eux, lancé leur campagne dans l'Est, dans le Nord Kivu ravagé par l'insécurité et les groupes armés.
Après un accueil poli et réservé à Goma, Félix Tshisekedi a soulevé les foules jeudi à Bukavu, ville de son "ticket" Vital Kamerhe, qui l'accompagne dans tous ses déplacements.
Entre deux promesses sur l'amélioration du sort des policiers et la gratuité de l'enseignement, M. Tshisekedi a invité les électeurs à rester dans les bureaux le jour du vote jusqu'à l'obtention des procès-verbaux pour "éviter la tricherie".
Parti le dernier, Martin Fayulu a réuni des milliers de personnes mercredi à Beni, zone prise entre une épidémie d'Ebola et les tueries attribuées à un mystérieux groupe armé. Le lendemain, une quinzaine de civils ont été tués à l'arme blanche, un nouveau massacre attribué aux Forces démocratiques alliées (ADF) d'origine ougandaise.
- Fayulu a poursuivi son chemin à Goma, où l'assistance était plus nombreuse que pour M. Tshisekedi, puis Kisangani samedi, où il a fait applaudir les sanctions de l'Union européenne contre M. Ramazani Shadary par une foule rarement vue pour un homme politique, selon un observateur local.
- Fayulu est le candidat de la coalition Lamuka ("réveille-toi" en lingala) soutenue par deux autres opposants, l'ex-gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, populaire à l'Est, et l'ex-chef de guerre et vice-président Bemba, un homme de l'Ouest.
A chaque étape, il encourage les électeurs à se rendre aux urnes le 23, tout en refusant la "machine à voter" retenue par la commission électorale. Cet écran tactile doit permettre de cliquer sur la photo des candidats et imprimer les bulletins de vote.
« S'il y a des gens qui viennent créer de la violence au niveau des bureaux de vote, la loi s'en occupera – Attiser la violence comme font certains responsables politiques aujourd’hui, c’est très dangereux pour le pays », a prévenu le président de la commission électorale - M. Nangaa.
Le contexte électoral inquiète le gynécologue congolais Denis Mukwege, prix Nobel de la paix 2018, et critique du pouvoir :
« Ces élections risquent tout simplement de créer des troubles supplémentaires puisque, dans leur organisation, il n'y a ni transparence, ni crédibilité, et les gens ne sont pas libres. Donc certainement que les résultats vont entraîner plutôt des contestations qui ne sont pas bonnes pour la démocratie ».
Nicole Ricci Minyem