L’Éthiopie est sur le qui-vive depuis les attentats du week-end à Addis-Abeba et de la ville de Bahir Dar, qui a tué le chef d’état-major de l’armée, le président de la région et trois autres responsables.
La violence, qui, selon le gouvernement, faisait partie d'un complot visant à prendre le contrôle d'Amhara par un général voyou et sa milice, a montré à quel point les tensions ethniques menaçaient le programme de réformes du Premier ministre Abiy Ahmed.
Ethiopian Broadcasting Corporation, une entreprise publique, n'a pas donné plus de détails sur les personnes arrêtées ni sur quand. Mais un parti basé dans la région du nord - le Mouvement national d'Amhara (NAMA) - a déclaré précédemment que 56 de ses membres avaient été arrêtés mercredi à Addis-Abeba.
Le Premier ministre éthiopien âgé de 42 ans, a été félicité à l'étranger pour avoir ouvert l'un des pays les plus fermés du continent, mais les analystes estiment que les changements rapides ont alimenté l'incertitude et l'insécurité.
En conséquence, les partis ethnocentriques tels que l'AMNA obtiennent un soutien croissant et leur rhétorique attise de graves violences interethniques, a déclaré cette semaine le groupe de réflexion mondial Crisis Group dans une note d'information.
Lire aussi : Tentative de coup d’État en Éthiopie : Le chef d’état-major de l’armée et le président de la région d’Amhara tués
Depuis sa création l'année dernière, NAMA est devenu un rival du parti Amhara au sein de la coalition au pouvoir en Éthiopie depuis 1991. NAMA a condamné les violences du week-end et a nié tout lien avec elles.
Le porte-parole du parti, Christian Tadele, a déclaré à Reuters qu'il avait également reçu des informations faisant état d'arrestations d'Amhara dans quatre villes de la région d'Oromiya. Ceux-ci, ainsi que les arrestations de membres du parti, ont été perpétrés contre les Amharas en raison de leur identité", a-t-il déclaré. Il n'a pas élaboré.
La police n'a pas immédiatement répondu à une demande de commentaire. Le bureau du Premier ministre a déclaré qu'il collectait des informations sur les arrestations et qu'il réagirait plus tard.
Plus d’arrestations
Dans l’une de ses chroniques, le journaliste Eskinder Nega a annoncé l'arrestation de cinq autres militants d'un groupe de pression opposés à ce qu'il considérait comme la domination du groupe ethnique oromo dans la capitale.
Mercredi, un juge a accordé à la police 28 jours pour enquêter sur les personnes arrêtées en lien avec le complot présumé de coup d'Etat, a déclaré Eskinder à Reuters.
Un journaliste local dans la salle d'audience a confirmé son récit à Reuters et a déclaré que le juge avait ordonné la détention de 28 jours en vertu de la loi antiterroriste du pays.
La police n'a pas immédiatement répondu à une demande de commentaire.
« C'est un retour au passé, c'est exactement ce que le gouvernement faisait avant le début des réformes il y a un an. À cette époque, la loi antiterroriste était utilisée pour réprimer une opposition pacifique et la même chose se produit », a déclaré Eskinder
L’accès à Internet, bloqué depuis samedi, a été rétabli jeudi matin dans toute l’Éthiopie et des analystes éthiopiens affirment que le Premier ministre doit faire preuve de prudence pour rétablir la sécurité.
« Cela va nuire à la réputation du gouvernement si celui-ci est largement perçu comme se livrant à tout ce qui pourrait ressembler à une purge à ses rivaux ou à une répression des opposants à la suite de ces assassinats », a révélé William Davison, de Crisis Group.
Nicole Ricci Minyem
« Plusieurs heures plus tard, dans ce qui semble avoir été une attaque coordonnée, le chef d’état-major des forces armées éthiopiennes, Seare Mekonnen, a été tué à son domicile par son garde du corps, en même temps qu’un général à la retraite qui lui rendait visite », indique la même source.
Le garde du corps a été arrêté, mais le chef de la sécurité de l’Amhara, Asaminew Tsige, est en fuite, selon d’autres sources.
La connexion internet était inexistante dans le pays et, aucune information supplémentaire sur l’attentat contre le haut responsable militaire n’était disponible.
La position du gouvernement
« La tentative de coup dans l’État régional d’Amhara est contraire à la Constitution et vise à saborder la paix chèrement acquise dans la région. Cette tentative illégale doit être condamnée par tous les Éthiopiens et le gouvernement fédéral à toutes les capacités pour vaincre ce groupe armé », a déclaré dans un communiqué le bureau du Premier ministre.
Depuis son arrivée au pouvoir en avril 2018 après deux ans de troubles en Éthiopie, le Premier ministre réformateur Abiy Ahmed a fait des efforts afin de rendre le pays démocratique. Il a notamment légalisé des groupes dissidents, amélioré la liberté de la presse et réprimé les atteintes aux droits humains, en arrêtant des dizaines de responsables de l’armée et des services de renseignement. Il s’est également lancé dans un programme de réformes économiques et a fait la paix avec l’Érythrée après plus de vingt ans de conflit.
Tensions interethniques récurrentes
Néanmoins, il doit faire face à des tensions interethniques récurrentes, généralement liées à la possession des terres et à l’utilisation des ressources, qui dégénèrent souvent en violences dans ce pays de plus de 100 millions d’habitants.
Plus d’un million de personnes ont été déplacées par ces violences interethniques, que les analystes attribuent également à l’affaiblissement du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF), le parti au pouvoir autrefois tout-puissant, et à divers groupes qui profitent de la phase actuelle de transition politique pour essayer d’imposer leurs intérêts.
En juin 2018, une attaque à la grande au cours d’un meeting auquel participait Abiy Ahmed avait fait deux morts. Le procureur général éthiopien avait indiqué qu’un officier de renseignement non identifié était soupçonné de cet attentat.
Nicole Ricci Minyem
Il faut avoir le courage de se poser cette question 35 ans après. Le coup d’œil dans le rétroviseur nous donne de constater que ça n’aurait pas été aussi mauvais pour notre démocratie si les putschistes nationalistes du 06 avril étaient parvenus à prendre le pouvoir au régime actuel.
Les dénonciations des putschistes sont les mêmes 35 ans après.
Les maux relevés par les rebelles réunis au sein du mouvement « J’OSE » restent d’actualités aujourd’hui encore. Dans le communiqué préparé pour être lu après la victoire, ils fustigeaient la démagogie qui fondait les discours du président Biya. « Vous avez tous été témoins de l’horrible comédie jouée par le pouvoir défunt qui se permettait de parler de libéralisme, de démocratie, d’intégration nationale, alors que, chaque jour, son action bafouait de façon scandaleuse ces hautes valeurs. Les libertés des citoyens telles que dénoncées par la Déclaration des droits de l’homme n’étaient jamais respectées. »
De nos jours encore, les droits des citoyens tels que contenus dans les textes internationaux ne sont pas respectés. La question des libertés d’expression à travers le droit de manifestation publique reste une situation de deux poids deux mesures. La justice n’est pas toujours à même de rendre des décisions qui font l’unanimité. Le dernier cas en date est le procès post-électoral devant le Conseil Constitutionnel. Un Conseil avec des membres n’ayant pas qualité et dont la notoriété sont tournées en dérisions par les populations pour qui Conseil Constitutionnel rime désormais avec « IRRECEVABLES ». Les putschistes dénonçaient déjà, il y a 35 ans, cette utilisation à double vitesse du dispositif constitutionnel. Et plus encore…
L’une des contestations majeures des hommes du 06 avril est la corruption, le banditisme d’Etat savamment orchestré pour spolier l’Etat. Dès les premières heures de pouvoirs de Paul Biya, ses amis se sont lancés dans un enrichissement effréné dont les conséquences ont été dévastatrices pour notre économie. « Le gouvernement et ses agents propulsés à la tête des rouages de l’Etat, agissaient avec comme pour seule devise non de servir la nation, mais de se servir. Oui, tout se passait comme s’il fallait se remplir les poches, le plus rapidement possible, avant qu’il ne soit trop tard. »
Et s’ils avaient réussi ?
Stéphane Nzesseu