« Les événements du 06 avril 1984 est douloureuse à bien des égards et pour bien de personnes. Elle est susceptible de rouvrir des blessures déjà cicatrisées et nourrir le sentiment de vengeance qui anime malheureusement encore certains Camerounais, lesquels estiment à tort ou à raison que leurs « frères » ascendants ont été victimes d’une chasse aux sorcières, passée par pertes et profits par la justice des vainqueurs.
Mais il ne faut guère perdre de vue que l’intérêt national prime sur les intérêts individuels. 35 ans après le putsch manqué, le devoir de mémoire nous impose une halte. Un temps d’arrêt avec en toile de fond, une question : que faire pour qu’une telle occurrence ne se reproduise ?
Sur le plan strictement militaire, le colonel Clément Mboussi Onana- dans son livre « 06 avril 1984, autopsie d’un échec »- et, avant lui, d’autres acteurs des événements d’avril 1984, a esquissé des pistes de solutions, dont certaines sont implémentées ou en voie de l’être. Parmi ces pistes, l’on peut citer le renforcement et la professionnalisation des services de renseignement, la fin de l’ethnicisation des unités de l’armée et la redéfinition de la place de la Garde présidentielle au sein de la « grande muette ».
Sur un plan plus global, la loi d’amnistie du 17 janvier 1991 a consacré le pardon de la République vis-à-vis de tous ceux qui étaient dans les liens de la justice en rapport avec le putsch manqué de 1984. Cette loi prévoyait notamment la restitution des biens de ceux à qui ils avaient été confisqués. Réhabilitées, des personnalités ayant fait l’objet de condamnations siègent aujourd'hui au gouvernement, au sénat et dans d’autres hautes sphères de l’Etat. Certaines susurrent que la page noire a été tournée, mais pas déchirée. Cherchez la nuance !
A l’évidence, la réconciliation nationale n’est pas allée jusqu'au bout. Le non rapatriement de la dépouille de Ahmadou Ahidjo, présenté comme le cerveau de la tentative de renversement de son successeur constitutionnel, porte un sérieux coup sur le volontarisme affiché par le pouvoir depuis 1991. Au demeurant, tant que le premier président de la République du Cameroun reposera à Dakar, au Sénégal, la symphonie de l’apaisement restera inachevée.
Le débat sur qui de la famille ou l’Etat doit prendre les devants pour rapatrier les restes de Ahidjo n’a pas de sens, puisque l’illustre défunt est un patrimoine national et non plus simplement familial… Et qu’on le veuille ou non, à cause des atermoiements, cette situation reste un boulet dans la gestion de notre vivre-ensemble.
Des atermoiements, il y en a, hélas, toujours dans la manière avec laquelle des questions vitales sont gérées au Cameroun et ceux-ci peuvent s’avérer, à la longue, explosifs. La crise dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest en est un exemple. Pour avoir ignoré et sous-estimé les alertes sur le malaise anglophone, l’ordre gouvernant est aujourd’hui en butte à une hydre de révolte et d’insécurité qui endeuille les familles au quotidien, compromet le développement économique du pays et menace la cohésion nationale.
Gouverner, c’est prévoir. Dans le contexte actuel de pré-transition politique, faire l’autruche face à la montée du repli identitaire, à la redistribution inéquitable de la richesse nationale et au flou dans l’organisation de la dévolution du pouvoir, n’est pas le gage d’un avenir serein et maîtrisé. 35 ans après le 06 avril 1984, le devoir de mémoire doit impérativement faire corps avec le devoir d’anticipation. »
Propos transcrits par Félix Swaboka
L'éditorial du directeur de publication du journal Mutations du lundi 01er avril 2019, Georges Alain Boyomo parle de nos malheurs de Deïdo.
En cette fin du deuxième trimestre de l’année scolaire 2018-2019, le bulletin de notes du système éducatif et le bulletin de santé du système sanitaire camerounais ont été brutalement révélés au grand jour, à l’opinion nationale et internationale. Le drame survenu au Lycée bilingue de Deïdo et son prolongement affreux à l’hôpital public du même quartier, où l’agonie du jeune Bleuriot, poignardé quelques minutes plus tôt, a été filmée et postée sans ambages sur les réseaux sociaux par des infirmières, éclaire au lampadaire la jungle que sont devenus les écoles et hôpitaux publics au Cameroun.
Voilà donc un lycée à la réputation établie dans la capitale économique camerounaise, et au-delà, où des élèves exclus de longue date, selon les responsables de l’établissement scolaire, peuvent y revenir incognito, en uniforme, pour commettre froidement un acte odieux au nez et à la barbe des surveillants généraux. La défaillance du dispositif de sécurité en vigueur au lycée de Deïdo, qui a causé la mort d’un élève, interroge encore plus lorsqu'on s’aperçoit qu’en face de ce lycée se trouve un commissariat. S’il est établi que cette enceinte scolaire est régulièrement infiltrée par d’impénitents délinquants, il aurait été sans doute logique que la police soit appelée à la rescousse pour enrayer ou du moins contenir l’insécurité ambiante. Cela n’a pas été fait et l’irréparable s’est produit.
Mais la chaîne de responsabilités ne s’arrête pas au niveau de l’administration du lycée de Deïdo. Elle embrasse d’une étreinte accablante toute la communauté éducative, du gouvernement aux parents d’élèves, en passant par les enseignants. La disparition de Bleuriot devrait nous parler, à nous tous. Mais au premier chef, aux pouvoirs publics. Si la délinquance à l’école prospère, c’est bien parce que l’environnement scolaire est devenu particulièrement permissif et perméable aux déviances de toutes sortes. C’est bien parce que la société camerounaise a décidé de ruser avec la morale et la norme. A ce cocktail explosif est venu se greffer le vent d’une modernité mal maîtrisée. Face à la rafale de la technologie, les jeunes camerounais apparaissent très souvent comme des girouettes, qui peuvent aller jusqu'à dégoupiller une grenade sans s’en rendre compte, à leurs risques et périls.
Deïdo nous a servi un double drame vendredi dernier. L’hôpital qui a accueilli Bleuriot a administré la preuve que de plus en plus, nos formations sanitaires publiques sont des lieux d’inhospitalité et d’inhumanité. On croyait pourtant avoir touché le fond avec l’affaire Monique Koumatekel, de sinistre mémoire… L’épisode des infirmières cruellement androïdes nous replonge dans un monde glauque où on fait peu de cas de l’éthique et de la déontologie. Nous sommes en plein dans une jungle où le serment d’Hippocrate a fait place nette au serment d’Hypocrite.
C’est une évidence. Des enquêtes seront prescrites pour faire la lumière sur ce qui s’est passé au lycée de Deïdo et plus tard, à l’hôpital de district. Les ministres concernés consentiront sans doute un de ces quatre matins à descendre (enfin) à Douala pour avoir le cœur net sur la situation. Mais en l’absence de transformations structurelles dans les secteurs scolaire et sanitaire, après réception des rapports d’enquêtes, il y aura, hélas, d’autres Deïdo. Des Deïdo de nos malheurs !
Propos transcrits par Félix Swaboka
Selon le directeur de publication du quotidien Mutations, Georges Alain Boyomo, il fut un temps où l’issue d’un match de football Cameroun-Comores était connue à l’avance. La victoire des Lions indomptables ne faisait alors l’ombre d’aucun doute. Le suspense ne résidait que dans le score de la confrontation. Depuis lors, les choses ont changé. Avant la rencontre de dimanche dernier, peu sont les amateurs de foot qui osaient vendre moins chère la peau des Comoriens devant les champions d’Afrique en titre, pour une explication devant, de surcroît, se dérouler au stade omnisports Ahmadou Ahidjo.
Après le net succès des Lions face aux Cœlacanthes, les scènes de liesse dans les rangs des supporters anonymes, parmi les joueurs et les autorités gouvernementales sont la preuve que les cœurs battaient vraiment la chamade…
Les temps ont vraiment changé. L’ogre Cameroun est donc devenu une équipe à la portée de toutes les autres nations de football ! Ne dit-on pas que parvenir au sommet est aisé, mais s’y maintenir l’est moins ? Englué dans des errements managériaux et ayant échoué à articuler le passage d’une génération à l’autre, l’Equipe nationale est aujourd’hui le symbole d’un football camerounais malade. Le sacre des Lions indomptables à la coupe d’Afrique des nations 2017 n’est que l’arbre qui cache la forêt.
Il est du football comme d’autres domaines. Seuls la planification, la discipline et le travail acharné permettent de faire la course en tête. Repu par son potentiel et chloroformé par son inertie, le Cameroun vit un abaissement qui contraste avec la sereine progression de pays africains jadis considérés comme lilliputiens, du fait d’aléas naturels ou de handicaps conjoncturels.
L’exemple du rapport annuel de la Banque mondiale sur le climat des affaires, Doing Business 2019, en dit long. Les cinq pays africains les plus réformateurs (par rapport au classement précédent) sont Djibouti, le Togo, le Kenya, la Côte d’Ivoire et le Rwanda. Le top 4 est constitué de l’île Maurice, le Rwanda, le Maroc et le Kenya. Bien qu’il gagne trois places, le Cameroun patauge vers la queue du classement aux côtés du Burundi, du Gabon et des…Comores.
L’indice Ibrahim de la gouvernance africaine conforte cette tendance. En 2018, la fondation Mo Ibrahim a consacré un trio de tête composé de l’île Maurice, des Seychelles et du Cap Vert. La Côte d’Ivoire, le Maroc et le Kenya gagnent également des points dans ce classement annuel. Pour ce qui est du Cameroun, le rapport pointe une situation qui a peu évolué dans le domaine des droits de l’Homme et de la croissance économique durable. Il s’inquiète de la situation sécuritaire qui s’est fortement détériorée et salue des progrès dans les domaines de l’éducation et de la santé.
Les autorités camerounaises auront toujours beau jeu, à chaque classement plus ou moins défavorable au pays, de casser le thermomètre dans l’espoir de faire baisser la température, mais la réalité restera têtue. Le leadership ne se décrète pas. Il se conquiert et s’entretient.
Aujourd’hui, le nivellement des valeurs a gagné le monde du football et d’autres secteurs d’activités. S’il n’y prend garde, le Cameroun pourrait davantage reculer sur différents plans dans un continent plutôt mouvant. Cette régression ne sera pas autant difficile à expliquer que l’extinction des dinosaures de la planète. Elle tient pour beaucoup à la cécité stratégique et au défaut de patriotisme de nos gouvernants. Il est encore temps de changer les choses.
Propos transcrits par Félix Swaboka