Les remous autour de l’affaire du pasteur qui a interdit à ses fidèles de porter un masque de protection fait des gorges chaudes au sein de l’opinion. Plus encore, certains théologiens s’interrogent sur l’état de la liberté religieuse à l’épreuve de l’ordre public dans notre pays. C’est l’objet de cette réflexion que propose Yves Lucien Otou.
Pour cet observateur de la scène publique camerounaise, c’est un fait divers comme on en a souvent dans notre pays. Mais, c’est une situation qui au-delà des faits interroge sur le rapport que notre administration devrait avoir avec la liberté religieuse. « Il n'y a pas une semaine qui passe au Cameroun sans qu'un événement ne vienne frayer la chronique surtout dans ce contexte particulier marqué par la crise sanitaire de la pandémie relative à la Covid-19. Ainsi en est-il du refus catégorique opposé par trois élèves aux surveillants à l'entrée d'un lycée de porter les masques pendant le déroulement des examens du probatoire dont ils étaient candidats. Cet incident continue de nourrir les débats passionnés qui auraient contraint l'État à prendre les mesures conservatoires contre l'église où sont membres nos jeunes candidats qui ont pris la décision de ne pas composer pour non-respect par l'autorité de leurs convictions religieuses. Cet incident pose à nouveau sur la table l'urgence d'un débat sur les principes de la liberté religieuse et l'ordre public au moment où notre pays fait face à différents défis qui mettent en mal son unité nationale. »
Yves Lucien Otou pose une série de problématiques fondamentales dans le champ de compréhension de ce phénomène. « Pour ma part, il est important de bien comprendre certaines notions telles que:
-La laïcité de l'État
-L'ordre public
-Liberté religieuse
Pour faire simple, la laïcité est un principe fondamental, inscrit dans la constitution camerounaise du 18 janvier 1996, qui distingue les pouvoirs publics des organisations religieuses et qui oblige l'État à la neutralité et à l'impartialité. En d'autres termes l'État n'est pas religieux et ne doit favoriser aucune religion au détriment des autres. Il reste cependant le garant de l'ordre public qui lui se définit comme l’état social correspondant à la tranquillité, la sécurité et la salubrité publiques.
Il existe deux types d'ordre public :
L’ordre public de direction, qui protège l'intérêt général ; l’ordre public de protection, qui protège les plus faibles, en général d'une partie forte, comme le consommateur ou le non professionnel face au professionnel, ou le locataire face au bailleur.
Par ailleurs, une norme d'ordre public est une règle impérative que les parties ne peuvent écarter.
La liberté religieuse est le droit de pratiquer ou pas une religion de son choix. Elle a à la foi une dimension d'ordre privée et publique. Cela veut dire qu'entre la liberté de conscience et celle des cultes, il existe un espace social public dont cette liberté a besoin pour s'exprimer. Cette dimension est individuelle autant que collective. La liberté religieuse inclut à la fois le droit d’enseigner la foi et celui, pour les confessions, de s’organiser librement. La même liberté gouverne leurs relations avec les fidèles dans le strict respect de l'ordre public. Voilà simplement définies quelques notions fondamentales qui doivent guider nos échanges de manière dépassionnée.
Les questions à se poser sont donc les suivantes :
1-Le fait que les enfants refusent de composer sous prétexte que l'État ne respecte pas leurs convictions religieuses est-il fondé sur le plan légal ? Autrement dit l'administration des examens avait-elle le droit de leur refuser l'accès dans la salle d'examens ?
2- Quelles sont les différentes responsabilités qui se dégagent de cet incident regrettable ?
3-Le Pasteur des enfants est-il responsable de cet incident, si oui à quel niveau ?
4- le sous-préfet a-t-il raison de fermer l'église, si oui pour quels motifs ?
5-Que penser de l'attitude des parents ?
6- Que pensez-vous de la mise sur pied d'un Observatoire des religions et de la laïcité au Cameroun ?
Bien vouloir laisser de côté les questions qui relèvent de l'éthique biblique. »
Une réflexion qui est appelée à se poursuivre. Question d’éclairer a lanterne des gouvernants qui laissent parfois le gouvernail de l’administration et de la répression obstruer leur vue et leur clairvoyance dans des situations aussi complexes que celles des libertés, et des libertés religieuses.
Par Stéphane NZESSEU