L’oiseau a vu le caillou
Les camerounais, cela leur est reconnu, sont ingénieux et créatifs. Tempérés dans leur comportement, ils n’ont pas leur pareil pour sortir de leurs esprits alertes, des propos d’une certaine pertinence, propos dont la simplicité dans la plupart des cas, est inversement proportionnelle à la perspicacité qui les caractérises et ce, même au plus fort de moments troubles. Oui, au moment où les chantres de la haine et de la division s’efforcent à conquérir cœurs et esprits en distillant leurs litanies insipides et nauséeuses , au moment où certains partagent des tracts incitants d’autres à aller jouer leurs vies à pile ou face tandis qu’eux sont bien planqués, au moment où l’on parle de « cargaisons d’armes saisies » là-bas, un camerounais, quelque part dans son coin lâche tout naturellement : « les camerounais n’ont pas de problème de vivre ensemble, ils ont un problème de manger ensemble ».
Le sous-entendu ici nous semble clair et à moins d’avoir les yeux bridés et/ou de vivre dans une autre réalité, beaucoup de choses peuvent lui être concédées, sans pour autant nier les efforts colossaux fournis en haut lieu pour améliorer le quotidien de la plupart d’entre nous. Malheureusement, ces efforts sont souvent amoindris. Entre ceux qui mettent sans état d’âme et tout naturellement les fonds à eux confiés à sac, les rapaces qui ne laissent rien passer tant qu’ils ne se sont pas attribués « leur part » dans les ressources ne leur appartenant pas et menant grand train de vie… ; comment ceux, plus nombreux, souvent intellectuellement outillés eux aussi et qui tirent « l’autre-là » par la queue ne se sentirons pas frustrés, délaissés ? Qui peut leur dénier l’envie de voir s’améliorer leurs quotidiens, de manger à leur faim ?
Les camerounais comme l’a dit notre penseur anonyme n’ont pas de problème de vivre ensemble et je souscris à cela. J’en veux pour preuve, le fait de n’avoir jamais été au courant de la moindre rixe ayant opposé deux individus et fondée exclusivement sur leurs appartenances tribales. J’en veux pour preuve de n’avoir jamais entendu parler d’un conflit opposant deux camerounais de confession religieuse différente quand on sait que se côtoient au quotidien dans ce pays, chrétiens, musulmans, animistes… J’en veux pour preuve les mariages inter-ethniques qui sont légions et enfin, j’en veux pour preuve, le fait que les mets traditionnelles ne soient plus exclusifs à une tribu, car ici, il est quotidiennement fréquent de tomber sur un plat de « Mbol » de l’Est chez un Baganté de l’Ouest, un plat de « Ndole » Sawa chez un Mbororo du Nord et le meilleur plat du Cameroun, un « Bongo’o Tchobi » des Nsa’a chez un Bulu du Sud… aussi simplement dit, voilà la réalité des faits.
Revenant sur le manger ensemble et les quelques difficultés y relative relevées plus haut, Pour certains malgré tout, le coupable est désigné. Ne s’agissant pas pour moi dans ce cadre de jouer les avocats de qui que ce soit, peut-être la petite anecdote à suivre permettra à certains de mettre un peu d’eau dans leur « Matango ».
Il y’a de cela plus d’une dizaine d’années, je fus agent enquêteur pour l’Institut National de la Statistique (INS) dans le cadre de l’enquête PETS (Public Expenditures and Tracking Survey). Il s’agissait pour nous d’aller collecter des données qui allaient permettre de voir dans quelle mesure les fonds mis en amont parvenaient à leurs destinataires en aval et ce dans les domaines de la santé et de l’éducation. Précision, Il ne s’agit pas pour moi ici de divulguer le secret statistique encadré par la loi n° 91/023 du 16 décembre 1991. Ceci étant, le plus important pour moi lors de cette enquête ne fut pas les chiffres que j’eus à enregistrer mais les confidences en off lorsque nous nous interrogions sur le délabrement avancé de certaines structures malgré les déclarations des uns et des autres d’avoir reçu les fonds nécessaires pour remédier à ces états de fait. Tout le monde accusait tout le monde d’avoir retenu quelque chose. Je me souviens particulièrement de cette dame qui m’avait dit « mon fils, je vais te dire la vérité, je m’en fou, je vais en retraite dans six mois : on ne m’a pas donné tout l’argent, j’ai fait ce que j’ai pu avec ce que j’ai eu… » Nous ayant donné le montant qu’elle avait effectivement reçu, nous dûmes passer la nuit là-bas parce que le chef SAAF devait trouver des justificatifs pour que les montants coïncident malgré le fait que nous lui ayons dit qu’il ne s’agissait pas d’un contrôle et qu’en aucun cas, compte tenu de la loi sus-évoquée il ne pouvait être poursuivi. Il rétorqua, en me regardant droit dans les yeux : « Mon fils, non petit frère, on ne peut pas presser les noix sans que l’huile ne reste sur les mains. Si demain, le ministre de la justice demande qu’on mette à sa disposition ces questionnaires on va refuser ? » Je répondis oui et lui eut un sourire en secouant la tête. Plus encore, c’est la confidence d’un directeur d’école primaire quelque part dans le Nord Makombe qui me bouleversa au plus haut point. Jeune comme nous, nous ne pûmes nous empêcher de déplorer son sort. Ce dernier nous confia lors de la réception qu’il nous avait offert que pour aller chercher son paquet minimum, il dépensait 25000 FCFA de transport et qu’on lui remettait presque toujours 24000 FCFA, dix Bics rouges, dix bleus, dix crayons et quelques cahiers.
Des exemples comme ceux-là sont légions et dans divers secteurs. Je redemande alors : à qui la faute ? Sans attendre de réponses, je voudrai nous exhorter, lorsque nous sommes devant nos miroirs, à savoir voir les monstres que la plupart de nous sommes. Naturellement des mesures les drastiques doivent être prises pour corriger cela.
C’est un truisme, C’est sur des frustrations avérées ou supposées comme certaines décrites ici que certains surfent pour pousser d’autres à commettre des actes allant dans le sens contraire de leurs intérêts réels. Comme l’autre de la bible, ils viennent susurrer aux oreilles : tu souffres, non ? Regarde, les autres mangent et pas toi. Les 100 – 100 francs que tu gagnes là c’est rien, ce n’est pas ton niveau. Il faut tout casser, tout bruler, tu auras plus après. N’ai pas peur, je suis derrière toi… la suite on la connait : Côte d’ivoire, Lybie, Nord-Ouest, Sud-Ouest…
En Libye, ils étaient « pénards », on leur a vendu la démocratie et les droits de l’homme… En Côte d’Ivoire, on leur a vendu le respect de la démocratie… s’agissant de ce pays frère en particulier, je sais ce que certains me diront mais rétorque d’ors et déjà que moi lion, roi de ma savane, je préfère aller à la chasse de mon gibier quitte à rentrer bredouille certains jours, que d’être enfermé dans un zoo [grassement] nourri et où j’ai plus de chance de finir empaillé ou comme une descente de lit.
« Ton Kung-fu est lent » est une expression camerounaise que j’aime bien. Son explication est relativement simple : le temps mis par le maitre « X » pour déployer son secret a permis au maitre Shaolin de l’analyser et de préparer sa contre-attaque ; il ne peut donc pas être pris au dépourvu. Une autre que j’aime plus encore est « : l’oiseau a vu le caillou ». Compreneur comprend !