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Interview exclusive de Franck Essi le Secrétaire général (SG) du Cameroon people’s party (CPP)

jeudi, 21 mars 2019 10:43 Félix Swaboka

« Les Camerounais qui aspirent à la paix doivent définitivement comprendre que le salut ne viendra pas de l’étranger. Il viendra de leurs efforts et de leur capacité à se mobiliser pour mettre la pression sur le régime de Yaoundé »

 

Les Américains mettent en avant l’idée d’un dialogue inclusif et l’organisation d’un forum international pour résoudre la crise anglophone. Après la rencontre entre Tibor et Paul Biya, peut-on penser que le président camerounais va infléchir sa position sur cette question ?

Nous ne sommes pas des magiciens qui lisent dans les boules de cristal. Seuls les actes politiques qui seront posés dans les jours et mois à venir permettront de savoir si Paul Biya aura infléchi ou pas à position.

Depuis bientôt trois ans, en chœur, des acteurs nationaux et internationaux appellent à un dialogue inclusif sans succès. Paul Biya a réaffirmé à plusieurs reprises sa volonté de ne pas dévier de son agenda. Il a créé des structures telles que la Commission Nationale pour la Promotion du Bilinguisme et du Multiculturalisme et le Comité National de Désarmement, de Démobilisation et de Réintégration pour résoudre cette crise. Aucune de ces institutions décriées n’a eu un impact positif et significatif sur la crise en cours.

Au contraire, parce que ce sont de fausses solutions à des vrais problèmes, la situation empire sur le terrain. Nous sommes en situation de guerre dans le Nord – Ouest et le Sud – Ouest. Chaque jour, cette guerre fait des victimes civiles et militaires, de nombreux dégâts sociaux et économiques ainsi que d’importants contingents réfugiés et de déplacés internes.

Face à cette situation, les Camerounais qui aspirent à la paix doivent définitivement comprendre que le salut ne viendra pas de l’étranger. Il viendra de leurs efforts et de leur capacité à se mobiliser pour mettre la pression sur le régime de Yaoundé.

La communauté nationale peut mettre de la pression mais elle ne peut et ne saurait se substituer à la mobilisation des Camerounais. Il faut certes se réjouir de toutes les voix qui, dans la communauté internationale, dénoncent les violences et les violations des droits de l’homme tout en appelant à un dialogue national inclusif. Ces voix vont dans le sens des forces vives camerounaises qui doivent, aujourd'hui, face à l’autisme et l’aveuglement du Gouvernement, au – delà des déclarations, mener des actions fortes pour imposer au Gouvernement de monsieur Biya un changement de cap.

 

Tibor Nagy confirme avoir échangé de l’affaire Kamto avec les officiels camerounais. Peut-on alors penser que le côté camerounais pourrait trouver une pirouette judiciaire pour élargir Kamto ?

En ce qui concerne la situation de monsieur Kamto et de ses camarades, nous pensons que c’est une bonne chose que des voix comme celle de Tibor Nagy puissent se faire entendre. C’est effectivement une affaire hautement politique. Elle est une illustration supplémentaire de la crise politique dans laquelle le Cameroun s’enfonce.

Cette situation démontre une fois de plus que nous ne sommes pas en démocratie. Ici également, cet appel à la libération de Maurice Kamto n’est pas isolé. Il est partagé aussi bien par d’autres organisations internationales que par une bonne partie de la classe politique et de la société civile camerounaise. Cet un appel que nous partageons puisqu'au – delà de monsieur Kamto et de ses militants, nous avons également appelé avant, à la libération des leaders et activistes anglophones.

Nous avons de graves problèmes politiques à régler. C’est une grave et profonde erreur de penser que la situation sera résolue autrement que par des discussions politiques devant aboutir à un nouveau consensus national et une refondation institutionnelle de notre pays.

Tibor a aussi dit que les jeunes camerounais ont besoin d’emploi et que les investisseurs américains frappent à la porte du Cameroun. Sauf qu’ils ont besoin d’un pays stable. Ce qui n’est pas le cas actuellement. Quel message veut-il ainsi passer au régime de Yaoundé ?

Ce propos de Tibor Nagy sur le besoin de stabilité pour faire des affaires gagnant – gagnant pouvant bénéficier en termes d’emploi à la jeunesse camerounaise n’est pas en soi original. Nous croyons que presque tous les Etats « partenaires » du Cameroun pourraient dire la même chose.

Dans le cas des Etats – Unis de Donald Trump, cette phrase rappelle deux des trois piliers de la doctrine de politique étrangère africaine exposée le 13 Décembre 2018 par John Bolton, conseiller à la sécurité nationale. Ces deux piliers étant le développement des liens économiques pour rendre l’Afrique et les Etats – Unis plus prospères, l’appui à la stabilité des pays à travers un mécanisme d’aide plus efficient et efficace, qui fait progresser la paix, la stabilité, l’indépendance et la prospérité de la région. Le troisième pilier étant la lutte contre les grands périls au nombre desquels les groupes armés terroristes tels que Boko Haram.

A la lumière de rappel, on voit que ce discours est aligné sur une vision stratégique qui vise à positionner les Etats – Unis comme un partenaire véritable du Cameroun et soucieux de ses intérêts. Ce positionnement est d’autant plus urgent que le Cameroun comme d’autres pays africains connait une offensive de charme d’autres puissances au nombre desquelles on peut citer la Russie et la Chine. Ce propos doit être compris comme une invitation du Gouvernement à Camerounais à créer au plus vite les conditions idoines pour faire les affaires et augmenter la prospérité des deux Etats. C’est un propos qui s’inscrit dans un registre plutôt classique au regard des enjeux et des intérêts des deux Etats.

Quelle est la symbolique de la photo remise par Tibor Nagy à Paul Biya, une photo datant de 1991 et où le président camerounais est en compagnie de Georges Bush père et sachant qu'avant cette date, Paul Biya avait déjà été reçu en 1984 par Ronald Reagan ?

En ce qui concerne la photo remise par Tibor Nagy à Paul Biya, elle peut avoir plusieurs significations. Ces significations dépendent de celui qui observe et de ce qu’il veut bien voir.

Pour ceux qui soutiennent Paul Biya, ils y verront le rappel de la longue et fructueuse amitié entre ce dernier et tous les présidents des Etats – Unis des années 80 à nos jours. Cette photo serait le symbole et le rappel que les deux Etats ont su garder, malgré les multiples bouleversements survenus sur la scène mondialeces quarante dernières années (Chute du mur de Berlin, accélération du processus de mondialisation, crises financières, irruption des puissances émergentes, montée du péril terroriste, etc), les Etats – Unis et le Cameroun ont su renouveler, renforcer et adapter leurs relations.

Pour ceux qui ne soutiennent pas Paul Biya et son régime, ils y verront le prolongement de la crispation entre les Etats – Unis et le Cameroun observable depuis 2011 et remise à jour en 2018 avec les propos de l’ambassadeur Peter Henri Barlerin appelant Paul Biya à penser à son héritage. A titre de rappel, en 2011, à l’occasion de l’élection présidentielle, les Etats – Unis ont critiqué le processus électoral. Leur ambassadeur de l’époque, Robert P. Jackson avait même commis dans la presse une tribune en 14 points sur la nécessaire reforme du système électoral camerounais. Hillary Clinton, secrétaire d’Etat de l’époque, s’était à plusieurs reprises adressée directement au Peuple camerounais en prenant ses distances vis – à – vis du régime de Yaoundé dont la longévité et les pratiques pseudos démocratiques étaient critiquées. Plus récemment, le rapport du département d’Etat américain sur les droits de l’homme indique que le Cameroun est responsable de nombreuses violations des droits de l’homme d’une part, que l’élection présidentielle de 2018 fut entachée de nombreuses irrégularités d’autre part.

En bref, cette photo pourrait être perçue comme le rappel à Paul Biya qu’il est là depuis longtemps, qu’il devrait penser à son héritage et que, à l’image des Etats – Unis, le Cameroun doit pouvoir continuer sa marche vers le progrès sans lui. Au lieu d’une photo avec le Président Obama ou le Président Trump, Tibor Nagy a tenu à lui dire plus ou moins clairement qu’il appartient à une autre époque. Le temps serait venu de préparer la suite.

Propos recueillis Par Félix Swaboka 

 

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