Quand les éleveurs Mbororo et peuhls se livrent à une bataille épique pour le contrôle d’une zone d’élevage aménagée de près de 14000ha.
Pendant ce temps, autorités administratives et traditionnelles jouent aux fans clubs entretenus à coup de Millions par les deux camps. La bataille déclenchée au Lamidat de Tignère s’exporte et se livre désormais au Mindcaf et à la Préscience de la République à Yaoundé.
8 descentes de terrain des autorités traditionnelles, notamment les ministres de la cours du lamido, sous la conduite du Sarki Fada ; 4 descentes des autorités administratives dont 3 par le sous-préfet Alondi Ntoumel Stéphane et une par le 2ème adjoint préfectoral du faro et déo Bessem Ematy Ebénezer ; deux transports judicaires, sans oublier les confrontations des parties devant le Préfet et le lamido, n’ont pas suffit pour ramener la paix entre la communauté Mbororo représentée par Aladji Djibo appuyée par l’association pour le développement social et culturel des Mbororo du Cameroun, MBOSCUDA et le Dr. Abdoulahi Shehou Aboubakar, d’origine Peuhl et médecin en France, ceci depuis 2017. Ce dernier est porteur d’un projet d’élevage moderne de bovin et de production de lait qu’il souhaite réaliser dans la localité de Tignère d’où il est originaire.
C’est effectivement le choix du site qui doit abriter ce projet qui fait problème. Tout commence il y’a 3 ans, cette élite venait rencontrer le Lamido afin que ce dernier lui octroie une parcelle de terrain propice aux activités de son projet. Pour sa majesté Aboubakar Garba, « Aladji Abdoulahi est venu me voir, qu’il veut faire un projet laitier mais comme Tignere n’a aucune entreprise, je lui ai dit : va regarder la place qui te convient. J’ai envoyé mes notables pour voir si la parcelle est inoccupée, les notables m’ont fait le rapport que le terrain est vide et c’est l’ancien pâturage des Mbororo, c’est le développement qui est important, ça va apporter le travail à nos enfants, le projet va recruter beaucoup de jeunes ». La parcelle est située dans le village Mbakana, située à 38km de Tignère, sur la route qui mène à Ngaoundéré. Or dans les faits, le terrain n’était pas vide, on y retrouve les éleveurs Mbororo et les cultivateurs habitant dans le site comme témoignent les représentants du collectif Mbororo Bouba guidado et son cadet Aladji Djibo « Quand le lamido a envoyé les notables délimiter la parcelle, les bergers de la famille de Djibo occupaient déjà le site. La Famille d’Aladji Djibo a saisi le sous-préfet après avoir fait le constat par voie d’huissier. L’huissier a servi la sommation d’arrêt des travaux. Le sous-préfet a organisé une descente en 2017 ».
Cette occupation est bien perceptible notamment à travers les mises en valeurs pérennes, notamment des cases de bergers, des arbres fruitiers tels que les manguiers, les avocatiers, les orangers et des champs de maïs et de manioc.
Là où la confusion s’installe c’est que le Lamido affirme que le site était vide pourtant au constat d’huissier et à notre observation, le site n’est pas vide. Il est bel bien occupé en permanence depuis un peu plus de 25 ans en croire aux déclarations des Mbororo. En même temps, le Lamido affirme que c’est son défunt père, sa majesté Baba Dahirou, décédé en 2016 qui montré cette parcelle à Aladji Guidarou, éleveur Peuhl venu du Nigéria et qu’à cause de l’insécurité, ce dernier a du abandonné le site et partir à Banyo ; Faux, rétorque ses fils leaders la contestation. Depuis la mort de leur père, ils n’ont jamais quitté Tignère encore moins abandonné la zone pastorale de Mbakana. Une autre curiosité dans cette affaire, c’est que le sous-préfet de l’époque Alondi Ntoumel Stéphane, a bel et bien signé une lettre de sommation de libération de pâturage sous huitaine adressée à Aladji Djibo, leader du collectif indigné des Mbororo, à la suite de l’arrêté préfectoral N°014/AP/H49/SAJP du 11 mars 2019 signé par le préfet Yves Bertand Noel Ndjana, portant «création d’une commission Ad Hoc chargée du choix et de la délimitation d’une dépendance du domaine national au lieu-dit Ngaouterre- Mbakana en vue de son attribution en conception provisoire à Monsieur Abdoulahi Aboubakar afin de mener des activités d’élevage et dont vous êtes occupant d’une partie de la dite parcelle ». La correspondance du sous-préfet reconnait explicitement l’occupation de la parcelle par les familles Mbororo dont Aladji Djibo. Une démarche qui est menée en violation totale de la règlementation pour des grandes concessions foncières de plus de 50 hectares, si l’on considère les dimensions du terrain, longueur1 : 10km, Longuer2 :7km, largeur1 :3km, largeur 2 : 13km, ce qui ferait presque 13800ha et dont les modalités sont définies dans le décret N°76/166 du 27avril 1976. L’actuel préfet, Esoomba Auguste n’a d’ailleurs pas manqué de le rappeler au promoteur du projet, Dr. Abdoulahi Aboubakar.
Toute cette cacophonie a permis de mettre en évidence plusieurs problèmes rencontrés dans la gestion foncière actuellement au Cameroun de manière générale et spécifiquement dans la zone sahélienne de notre pays. Dans le faro et déo et à Tignère en particulier, il y’a la règlementation de l’Etat qui classe toutes les terres comme relevant du domaine national et définit les modalités de cession et d’attribution des concessions. Mais il y’a le Lamido, d’origine peuhle qui est à la fois chef traditionnel, chef spirituel et propriétaire de toutes les terres arables et pastorales. Il donne à qui il veut quand il veut. Il déguerpit qui il veut quand il veut et l’autorité administrative entérine par un acte officiel comme nous le confirme l’arrêté préfectoral et la correspondance du sous-préfet cités plus haut. Vous avez les éleveurs Mbororo indignés en collectifs et soutenus par leur association qui sont engagés dans la lutte pour leur droit d’occupation. Ils dénoncent l’expulsion fallacieuse orchestrée par les autorités administratives et locales, sous l’influence financière de la riche famille du Dr. Abdoulahi. Cette bataille a donné lieu à plusieurs procédures judiciaires portant sur les chefs d’accusation tels que « trouble de jouissance et destruction » avec des condamnations pécuniaires ; à des correspondances de dénonciation d’expropriation coutumière et aussi à des demandes de concessions provisoires adressées successivement au gouverneur de la région de l’Adamaoua et au Mindcaf. Il y’a également certaines susceptibilités sociologiques, politiques et pécuniaires qui ont favorisé l’enlisement du conflit. Les autorités administratives et traditionnelles sont accusées de corruption. Ils auraient perçu des pots de vin pour expulser les familles Mbororo éleveurs et agriculteurs sur le site au profit de la riche famille peuhle d’Abdoulahi Aboubakar.
Autant de descentes de terrain des autorités administratives, judiciaires, des huissiers et avocats n’auraient pas pu se faire sans d’énormes moyens financiers. Pour l’heure, la bataille épistolaire et judicaires auprès des autorités se poursuit. Le chantier du projet est suspendu. Personne ne peut pronostiquer la fin de ce conflit. Une fois encore, ce conflit illustre fort bien l’urgence et la nécessité qu’il y’a d’accélérer la réforme foncière au Cameroun.
Joseph Arsène A. Mbatsogo