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Victor Fotso : La mémoire d’un grand bâtisseur saluée par Charles Ndongo

vendredi, 27 mars 2020 12:04 N.R.M

A travers cet hommage le Journaliste Principal Hors Echelle, Directeur Général de Cameroon Radio Télévision salue la mémoire d’un homme qui a su marquer  son temps et comme pour tous ceux qui l’ont précédé ses œuvres parlent pour lui ainsi que les témoignages de ceux qui l’ont côtoyé

 

« La mort, dit l’adage, ne surprend pas le sage. Aussi dense qu’il aura été immense, M. Fotso Victor a lui-même, avec un soin digne de lui, mis en scène sa fin de vie. En public, ses dernières images sont, en effet, de celles que seuls s’appliquent à construire, à polir et à offrir en ultime héritage les grands hommes de son époque.

C’était le 18 janvier 2020. Dans la somptueuse salle des actes de l’hôtel de ville de Bandjoun, M. Fotso Victor c’est ainsi qu’il aimait qu’on l’appelle – organisait la cérémonie de cession solennelle à l’Etat de cet imposant ouvrage, fruit témoin entre mille autres de son incomparable travail. 

En invitant le ministre de la Décentralisation et du Développement Local Georges Elanga Obam à recevoir les clés du bâtiment et de la ville, il avait lui-même décroché son téléphone pour me joindre, me demandant avec une irrésistible insistance de tout faire pour être présent à ce tout dernier banquet. 

Avant de passer à table, il avait eu envers moi, mon humble personne, des mots et des attentions claires : « Charles Ndongo que vous voyez là est l’homme qui me connaît bien… même mieux que moi-même ! », dit-il, en présence notamment du Chef Honoré Djomo Kamga, roi des Bandjounais, de l’élite locale et de quelques membres de son incommensurable famille.

Peu après, il demanda à son proche entourage habituel de le laisser avec « son ami », et à moi, de le prendre par la main et de l’aider à monter, marche après marche, à son bureau. A l’intérieur, il ordonna de me remettre toutes les archives audiovisuelles retraçant sa vie et son œuvre, non sans préciser : « Lui-même sait ce qu’il va en faire… » 

Que fallait-il de plus pour décrypter le message et comprendre ? M. Fotso Victor était désormais pleinement conscient qu’il arrivait en fin de course et qu’en mettant de l’ordre dans sa richissime vie, il ne devait rien laisser au hasard, pas même, de désigner lui-même, parmi les innombrables colonnes d’observateurs susceptibles de parler de lui à travers le monde, les rares témoins capables de le faire en se prévalant d’une authentique légitimité. Ce jour-là à Bandjoun, j’ai reçu plus qu’un honneur, un ineffable privilège, d’être l’élu de sa mémoire, je fais le serment d’en rester fidèle.

 

M. Fotso Victor était un personnage immense. Imposant par sa carrure physique que renforçaient un charisme naturel ainsi qu’une élégance d’un infini raffinement, et une stature sociale nationale. Son œuvre est à cette image, gigantesque, plurisectorielle, étendue, visible et palpable partout au Cameroun et au-delà. J’en ai eu la mesure en visionnant les nombreux documentaires qu’il avait expressément demandé à Clarisse Fotso, son épouse, comptable de son empire, de me remettre 

Usines, manufactures, banques, établissements scolaires et universitaires, hôpitaux, églises de diverses obédiences, édition, foyers culturels, leadership politique et moral et j’en passe : il n’y a pas de terre qu’il n’ait labourée et fertilisée. En matière de création de richesses, d’emplois et d’opportunités, il aura été sans conteste l’un des promoteurs camerounais les plus prolifiques.

Notre toute première rencontre remonte à début juillet 1990, au lendemain de son entrée au Comité central du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), après l’historique Congrès de l’ouverture au multipartisme. Feue sa Fille, Me Florence Fotso, l’avait alors persuadé de se montrer et de parler pour la première fois à la télévision nationale.

D’un commun accord, les deux auxquels s’était joint le fils Yves-Michel Fotso, frais émoulu des universités américaines, m’avaient choisi pour conduire cette interview inédite. A la faveur de cet exercice, M. Fotso Victor s’était révélé comme un personnage peu disert mais vrai, peu loquace mais perspicace, complexe mais cohérent, quelque fois désarmant par son humour décapant, mais toujours plein de bon sens, d’allusions imagées et de références proverbiales.

 

M. Fotso Victor était un républicain bon teint. Fermement attaché à son Bandjoun natal qu’il a façonné jusqu’à en faire une ville coquette, il n’en a pas moins développé un véritable culte des institutions étatiques centrales. Dans la même veine, il était d’une absolue loyauté envers le président de la République Paul BIYA qui lui rendait bien ce soutien. Se souvient-on que, mis à part le Sultan Ibrahim Mbombo Njoya, Roi des Bamoun, M. Fotso Victor est la seule personnalité privée à avoir accueilli officiellement le Chef de l’Etat dans sa concession ?

Pour autant, des mauvaises langues faisaient de temps en temps peser sur lui le soupçon de financement de l’opposition ? « Moi, Fotso Victor, jamais ! D’abord, ils vont même me voir où, ces opposants ? », balayait-il d’un geste d’agacement.

A cette République, une et indivisible qu’il vénérait, il a voulu rendre un improbable dernier hommage : bravant sa maladie en phase terminale, il est venu, par son jet privé médicalisé toujours à sa disposition sur le tarmac de l’aéroport de Bafoussam-Bamoungoum, avec l’intention de voter dans le cadre de la double élection du 09 février 2020. Par le fait même, il entendait ainsi rejeter le boycott prôné par quelque « petit parti politique ». Le cœur y était encore, le corps non : il a dû repartir l’avant-veille de l’échéance, afin que son destin s’accomplisse…

 

M. Fotso Victor voyait loin et juste. Je me souviens qu’au cours de notre entretien mémorable de juillet 1990, il avait eu ce pronostic étonnant : « Le Président Ahidjo a mis 24 ans au Pouvoir ; le Président Paul BIYA va le dépasser, je vous dis, n’est-ce pas nous sommes là ? Au moins trente-cinq ans, vous allez voir… » II! Evidemment, M. Fotso Victor était surtout connu pour être immensément riche et généreux. 

« Je reçois, je donne », était pour lui une forme de devise, peut-être l’épitaphe la plus parlante à inscrire sur sa pierre tombale. De cette colossale fortune, cependant, il ne parlait qu’avec pudeur, préférant réaliser des œuvres qui en témoignent. Sur le sujet, il m’avait néanmoins pris à rebrousse-poil, comme à son habitude : « Si je dis que je suis pauvre, Dieu même va me punir » En fin de compte, M. Fotso Victor était monumental.

Sans être un intellectuel, il était clairement fait d’un bois hors norme et, ayant traversé un siècle peuplé de quelques spécimens de figures exceptionnelles comme la sienne, il est tombé dans une époque où tous ses repères s’estompent : on brade tout, on méprise tout, on conteste tout, on bouscule tout, on détruit] tout, y compris les empires ! Que vont devenir les siens ?

A ses nombreux enfants de démontrer qu’ils sont moins de simples héritiers que des  descendants dignes d’une authentique légende appelés à continuer d’écrire l’histoire vraie d’un destin fabuleux… ».

 

N.R.M

 

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