C’est ce qui ressort de cette analyse faite par Serge Aimé Bikoî qui en dehors de sa casquette de journaliste porte de nombreuses autres casquettes dont celle de sociologue
« La perception sociale de l'emballage des grillades et des boissons lors des réunions, fêtes et deuils
Un phénomène social est récurrent dans les mœurs quotidiennes. Au cours des réunions de famille, des fêtes et des deuils, des femmes n'hésitent guère à emballer et à rentrer avec des grillades dans leurs domiciles. Parfois, elles emportent même des boissons gazeuses et alcoolisées en plastique et en canettes.
Si dans l'imaginaire individuel, c'est un fait banal, dans la conscience collective, le fait de rentrer avec des denrées alimentaires chez soi est un indicateur de réussite sociale de la réunion, de la fête ou de la cérémonie d'inhumation à laquelle quiconque a assisté.
Autrefois, emballer et rentrer avec des grillades chez soi était une pratique sociale routinière chez des femmes issues des couches défavorisées. Quand un ménage pourvu de bien de membres est désœuvré, la tenue d'une réunion familiale, d'une réunion d'association, d'une fête populaire ou l'organisation des rituels funéraires constituent des occasions opportunes pour emporter des denrées alimentaires de toutes sortes. L'enjeu, ici, consiste à combler, en un laps de temps, quelques besoins alimentaires auxquels la cellule domestique est en butte de manière régulière ou fréquente.
Mais, aujourd'hui, le phénomène de l'emballage des grillades dans la besace des femmes est si ancré dans les mœurs quotidiennes qu'il concerne autant les familles démunies que les familles nanties. Petites et grandes femmes, femmes aisées et femmes paupérisées, femmes urbaines et femmes rurales s'empressent, au terme de chaque réunion, de chaque fête, de chaque deuil, à emporter morceaux de viandes, de poulets, de poissons et de porcs braisés, des frites de plantains ou toutes sortes de féculents cuits (plantains, macabos, manioc, ignames, bâtons de manioc etc).
Il y a toujours, en dehors des sacs à mains des femmes, un emballage plastique ou un récipient susceptible de contenir, à la fois, ces grillades et des légumes préparés, tels que l'Okok ou du Ndole. Autant des partenaires féminins ont la propension à rentrer avec les produits gastronomiques, autant elles ont la latitude, voire l'opportunité d'emporter quelques bouteilles de jus en plastique ou quelques canettes de bière connues de tous.
Dans le jeu des représentations collectives, le fait, pour la gent féminine, d'emballer et de retourner à son domicile avec les denrées alimentaires est un indicateur de réussite sociale de la réunion, de la fête ou du deuil. Faire bombance et enfouir des grillades dans son emballage est un signe de fierté témoignant de ce que la réunion s'est bien passée ou que la fête s'est bien déroulée ou alors que le deuil d'un tel a réussi, pour emprunter leur expression.
Il s'agit là de la valorisation des moments d’allégresse chez autrui. Toute chose qui lui gratifie des félicitations et des honneurs. C'est ainsi qu'au retour chez soi, des participants à cette commémoration associative et festive n'hésiteront pas à vanter et à sublimer le couple qui vient de leur offrir ces moments récréatifs empreints d'ambiance, de jactance, de jouissance, de réjouissance et de tonitruance.
Par contre, le fait de rentrer d'une réunion ou d'une fête ou encore d'un deuil sans emporter des grillades parce qu'il n’y en avait pas est, dans le jeu de la perception sociale, un marqueur de l'échec. D'après bien de concitoyens férus et mordus des préoccupations de la manducation, c'est-à-dire du ventre, lorsqu'il n'y a pas assez de nourriture et trop de boissons alcoolisées, ceci signifie que la réunion s'est mal passée ou que la fête s'est mal déroulée.
Illico presto, des participants à cet instant de communion retournent chez eux étant irrités et courroucés. Séance tenante, certains vous chahutent et vous font savoir que vous avez mal reçu les gens et que vous n'êtes rien et ne valez rien. Ailleurs, ils racontent à qui veut entendre que vous êtes pauvres et misérables; ils relatent, de surcroît, que lorsque vous allez aux réceptions et aux réunions des autres membres de familles ou des amis, vous mangez et buvez avec délectation et satiété.
Pourtant, quand c'est votre tour de souscrire à ce rituel de la tradition africaine, vous faites preuve, disent-ils, d'avarice. L'Homme populaire dit alors que vous êtes chiches et vous ne faites aucun effort pour bien recevoir vos frères et sœurs, vos parents et vos amis. Vous devenez, pour ainsi dire, la risée de tous et la brosse à dents de quiconque vous voit. Vous êtes insultés, méprisés, raillés et humiliés.
La morale de l'histoire: Apprenez à bien recevoir les gens! Les Camerounais aiment la nourriture et la bière ».
N.R.M