L’éditorial du directeur de publication du quotidien Mutations paru ce lundi 18 Mars 2019, se penche sur ce sujet devenu un fléau pour le Cameroun
Selon le directeur de publication du journal Mutations, Georges Alain Boyomo, les deux mots : Sardinards et tontinards ont fait une entrée fracassante dans le vocabulaire du débat public au Cameroun depuis la veille de l’élection présidentielle de 2018. Au commencement, ils semblaient établir la ligne de rupture entre les partisans de la majorité au pouvoir – du statu quo - et ceux d’un parti politique de l’opposition, porteur d’un nouvel élan. Jusqu’alors, ces néologismes ne heurtaient personne, ou presque, parce qu’ils participaient de la gouaille qui alimente quelquefois les échanges sur les réseaux sociaux.
Mais, par un extraordinaire glissement, les termes sardinards et tontinards sont devenus la grammaire du vivre-ensemble dans notre pays. En effet, des considérations d’ordre ethnique ont été greffées à ces expressions, jadis agréables à l’oreille, achevant d’en faire des cocktails Molotov. L’affaire a même pris une tournure guerrière, du moins d’affrontements à visage découvert, avec la création de la Brigade anti-sardinards (Bas) et de la Brigade anti-tontinards (Bat). Les armes sont brandies et les tirs vont dans tous les sens. Il ne reste plus qu’à compter les victimes actives ou collatérales dans les deux camps, sous le feu nourri des « brigadiers » et aspirants.
Des victimes de la haine et de l’intolérance, elles sont tellement nombreuses qu’on ne les compte plus sur les réseaux sociaux, espace que chaque belligérant ou faction veut régenter, selon son positionnement. Du virtuel au réel, il n’y a qu’un pas tel que si rien n’est fait, le Cameroun pourrait bien connaître des déchirements inter communautaires à la moindre étincelle sociopolitique.
La situation est critique au point où il nous semble important de rappeler à tous les Camerounais cette assertion d’Antoine de Saint Exupéry : « si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis ». Accepter la différence, accepter la contradiction, se tolérer les uns les autres pour mieux coexister, tels sont les phares qui doivent éclairer le chemin de la préservation de la paix et la cohésion nationale au Cameroun.
Dans cette quête de sauvegarde de la stabilité du pays, le gouvernement, les leaders politiques et, plus globalement, d’opinion, ont chacun un rôle important à jouer. Manipuler ou instrumentaliser les ethnies dans une mosaïque comme le Cameroun, c’est assurément jouer avec le feu. Un feu qui n’épargnera personne s’il vient à être allumé. Quel que soit notre bord politique, ethnique, religieux ou culturel, personne ne sortira indemne d’une déflagration tribale au Cameroun.
Nombreux parmi nous se plaisent à commenter, souvent avec une délectation non feinte, les crises qui secouent d’autres pays. C’était le cas lorsque le Rwanda, la Côte d’Ivoire ou le Burkina-Faso ont été secoués par des convulsions sociopolitiques. Disons-nous que les choses qui arrivent aux autres peuvent également nous arriver et faisons tout ce qui est dans la mesure du possible pour nous en prémunir.
« Je ne suis ni sardinard, ni tontinard. Je suis Camerounais ». Déjà entendue ici et là, cette phrase ne doit pas être une simple incantation ou déclaration du bout des lèvres. Elle doit être une ligne de conduite, dans nos faits et gestes, au quotidien.
En règle générale, les cycles électoraux sont des moments propices à l’exacerbation du repli identitaire. Les législatives et municipales pointant à l’horizon, il n’est pas exclu que la bête immonde du tribalisme gagne en agressivité et en nuisance. Avec de lourdes conséquences sur le climat social. Aux citoyens de faire preuve de lucidité et de maturité, car nous avons le Cameroun en partage.
Propos transcrits par Félix Swaboka