Pour Paul Ella, chef d’entreprise, ceux-ci se prononcent sur tout ou presque. Ils manifestent une assurance pédante et ont la critique facile…
« Mais c’est encore des projets. Toujours des projets. Rien que des projets. Du bout des lèvres, et au mieux, sur du papier. Ils s’enorgueillissent de leurs parchemins, souvent pompeux. Ils écument les plateaux télé.
On les consulte. Ils parlent au nom du continent. Ils se recrutent également parmi les moins ou pas connus. Ils investissent les réseaux sociaux de leurs écrits et de leurs interventions vidéo. Ils expliquent, en toutes circonstances, ce qu’il faut faire. Ils ont solution à tout.
Ils se prononcent sur tout ou presque. Ils manifestent une assurance pédante et ont la critique facile. Ils sont remplis d’eux-mêmes. Leur expertise en rhétorique et en maniement de la langue de Molière séduit les esprits sensibles aux formes verbales exquises.
Pour les premiers, les médias leurs tendent leurs micros et leurs déroulent le tapis rouge, les rois les consultent, le peuple les adoube. Pour les seconds, leurs audiences virtuelles ne sont pas moins crédules et admiratrices. L’Afrique, subsaharienne francophone, c’est l’univers des belles et grandes intentions.
C’est le royaume de la réflexion, mais pas de l’action. C’est la maternité des projections et le sépulcre des réalisations. C’est la terre fertile des éruditions analytiques stériles. Non, ces euphémismes ne relèvent pas du pessimisme.
C’est de l’observation empirique. Si les intentions avaient seulement commencé à céder du terrain à l’action, ça se saurait depuis le temps. La preuve, malgré toutes les belles paroles, les longs débats, les interminables et éloquents laïus qu’on assimile à de l’intelligentsia, rien ne bouge. Beaucoup de paroles, pas d’actions. Beaucoup d’émotions, pas de résolutions.
Beaucoup de vœux pieux, pas de décision. Enormément d’annonces, pas de concrétisation. De nombreuses velléités, pas de détermination. L’Afrique est frappée d’un intellectualisme paresseux affligeant. Tout le monde murmure ce qu’il faut faire, mais personne ne se lève de son fauteuil douillet.
Tout le monde en a marre, mais les pantoufles de l’inaction sont beaucoup trop confortables. Tout le monde veut voir bouger les lignes, mais la peur de s’exposer nous étouffe. Tout le monde s’agace des injustices, mais la distraction nous entraîne.
Tout le monde pense qu’il faut agir, mais personne ne songe à perdre ses privilèges. Les préoccupations d’ascension sociale sont trop pressantes. A d’autres le sacrifice pour le peuple. Résultat des courses, on se contente d’espérer qu’un jour peut-être les choses changent. Il ne reste qu’à prier pour que le miracle se produise.
Dieu apparaît alors comme le dernier refuge. Mais de quel Dieu s’agit-il ? Est-ce celui du laxisme, de la lâcheté ou de la fébrilité ? Est-ce celui de l’individualisme, de la peur et de la soumission?
Aussitôt qu’on pense pouvoir compter sur des africains dignes de mener le noble combat de la vérité et d’inspirer les troupes, on a vite fait d’être désillusionné. En Afrique, les intellectuels carriéristes et opportunistes pour des causes personnelles constituent l’écrasante majorité. Ce sont eux qui tiennent le prêchoir officiel.
Ces relais dociles du savoir livresque ne sont d’aucune utilité pour l’Afrique et ses combats. Ils sont en mission commandée et travaillent à la distraction du peuple. Ils sont recrutés par l’ennemi pour faire diversion.
Ce sont des intellectuels à gage. Ce sont des leurres. Ils estiment que les poules se plaignent à tort du loup, et qu’elles sont elles-mêmes responsables de leur condition de victimes. Ils considèrent que les poules resteront à jamais des poules, telle une fatalité, et que seule la négociation avec le loup peut les sauver.
Ils acceptent l’invitation à la table du loup pour discuter de comment garantir son accès au poulailler par des méthodes plus subtiles, mais pour les mêmes conséquences. Ce sont des nègres de maison.
Et la file d’attente de ces simulateurs d’esprits libres est longue, très longue devant la porte du banquet de la compromission. Mais l’infime partie d’intellectuels résolus au sacrifice pour la cause du peuple résiste. Ce sont eux qui incarnent l’espoir du continent.
Ce sont eux qui sont combattus par les agents doubles de l’immobilisme. A quand le bout du tunnel ? Qui délivrera le peuple de ses ennemis visibles et invisibles ? Qui pour combattre les prédateurs de l’extérieur et les traitres de l’intérieur ?
Théoriciens experts de la pensée inféconde, oui. Hommes de terrain prêts au sacrifice pour le peuple, non. On dénonce, on vocifère, on invective, on menace. Mais au moment de l’action, toutes les bonnes intentions vont au répondeur.
Panne de réseau. Les vœux pieux ne sauveront pas l’Afrique. Les riches développements et critiques savantes non plus. Triste réalité qui se doit d’être impérativement inversée.
Nous y travaillons. Les véritables combattants, actifs ou latents, sont en voie de faire entendre leurs voix. Restons attentifs ».
N.R.M