Les combats font rage dans la banlieue-sud de la capitale, mais ils ne se font pas encore entendre dans le centre-ville où les Tripolitains vaquent à leurs occupations habituelles, un quotidien rythmé par les embouteillages et les files d'attente devant les banques ou les stations-services.
Il y’a quelques jours, les forces fidèles au maréchal Haftar avaient lancé une offensive pour prendre la capitale Tripoli, où siège le Gouvernement d'union nationale (GNA) reconnu par la communauté internationale. Ce lundi encore, les combats entre les deux entités rivales ont repris pour le cinquième jour consécutif dans la banlieue-sud, faisant au moins 35 morts et une quarantaine de blessées depuis le début de l'offensive sur Tripoli, selon un nouveau bilan du ministère de la Santé du GNA.
Les habitants de ce pays, riche en pétrole subissent de plein fouet le chaos qui frappe la Libye depuis la chute en 2011 du régime de Mouammar Kadhafi. Leur vie est marquée depuis plusieurs années par des pénuries de liquidités, d'essence, d'électricité et une hausse vertigineuse des prix, mais également par des combats réguliers qui illustrent les profondes divisions qui minent le pays.
A l'image du reste du pays, les Tripolitains sont aujourd'hui partagés entre ceux qui soutiennent l'offensive de Haftar, perçu comme un libérateur et, ceux qui lui sont hostiles et voient en lui un futur dictateur. Walid Bouras, un Tripolitain de 31 ans, affiche clairement son soutien au maréchal : « Je soutiens l'entrée des forces de l'armée de Haftar à Tripoli, parce que les habitants de Tripoli sont fatigués de l'humiliation subie par les milices. Mais mon jeune frère combat dans les rangs des groupes armés (pro-GNA) contre l'ANL ».
Aucune présence armée n'est visible à Tripoli. Les services de l'administration fonctionnent, les écoles et les commerces sont ouverts, selon des sources présentes sur place.
Les habitants ont cependant déjà commencé à faire des provisions, craignant des pénuries si les combats atteignent Tripoli. Farida fait partie de ceux qui craignent le pire. Dans un supermarché de Tripoli, cette mère de famille pousse devant elle un chariot plein à craquer. Eau minérale, lait, farine, pâtes, riz, huile, conserves... des produits de base en prévision de jours difficiles : « Par précaution, on doit stocker tout le nécessaire pour la famille, surtout lorsqu'on a des enfants en bas âge car on ne sait jamais combien de temps ça va durer », dit-elle.
A la pharmacie, c'est la même chose: « Pour la première fois, des clients viennent m'acheter des grandes quantités de sirops pour enfants, des antibiotiques, en vente sans ordonnance en Libye, et du paracétamol », remarque Souhayla Ali, une pharmacienne.
Pour d'autres Tripolitains, les récents combats entre GNA et ANL provoquent surtout une grande lassitude : « Que Haftar rentre dans Tripoli et qu'on en finisse », lance un client du supermarché où Farida fait ses courses.
« On commence à avoir l'habitude des violences, mais nous sommes fatigués de toutes leurs querelles », poursuit un autre client qui refuse lui aussi de donner son nom.
Aux stations-services, les files d'attente s'allongent chaque jour davantage, surtout en matinée. Certains Tripolitains viennent à pied pour remplir de pétrole des bidons et de grosses bonbonnes en plastique : « C'est pour le groupe électrogène en cas de coupure de courant », explique un jeune homme.
Chez un grossiste de produits alimentaires à Tripoli, Mariam al-Hadi, veuve et mère de quatre enfants fait des provisions elle aussi. Elle est terrorisée à la vue des forces de Haftar à la télévision, avoue-t-elle. Surtout, elle craint que les combats atteignent le centre de la capitale, où vivent plus de deux millions d'habitants.
Pour Walid Mohamad, un employé de banque depuis 38 ans, il est devenu insupportable de vivre dans une ville où des milices font la loi depuis 2011. « En mieux ou en pire, il faut que la situation change », estime-t-il.
Nicole Ricci Minyem