L’honorable Cabral Libii lors de la séance plénière de ce Mardi portant discussion générale du projet de loi concernant le renouveau postal a relevé devant le ministre des Postes et Télécommunications, ce qui apparaît comme des incongruités
« Madame la Ministre, Séduit par l’exposé des motifs de cette loi, je me suis lancé dans une lecture passionnée des 101 articles, dans l’ardente expectative de déceler les bases juridiques du renouveau postal. Mais rendu à la moitié du texte, j’ai dû, Mme la Ministre, réviser mes prétentions pour m’épargner une brutale désillusion.
Je dois vous concéder néanmoins qu’en comparaison avec la loi du 26 décembre 2006 du même nom, la littérature qui a permis de passer de 63 à 101 articles est plus affinée. Les définitions sont plus denses.
Bref on en sort forcément bien enrichi du jargon postal. Mais une bien maigre consolation pour un lecteur qui rêvait de la poste en couleur.
Venons-en au fait.
Madame la Ministre,
Le nostalgique de l’époque où nous collions les timbres avec la salive a lu dans cette loi, (Article 33) que l’enclavement n’est pas un motif valable d’exonération de l’obligation d’assurer l’égal accès au service postal universel. Qu’est-ce qui est fait pour effacer les innombrables déserts postaux qui essaiment le Cameroun ?
L’Etat accorde à l’opérateur postal, un monopole résiduel appelé services réservés, notamment les courriers n’excédant pas un demi kilogramme et autres services. Comment être sûr qu’à la promulgation de cette loi, nous ne rentrerons pas à l’âge de la pierre taillée où le courrier qui, par une agence de voyage arrive le même jour, arrivera une semaine après ? Pourquoi prendre le risque de préjudicier autant les camerounais alors que le fameux plan de relance de Campost n’en n’est encore qu’aux grandes annonces ?
Vous avez reconduit une formulation inquiétante de la loi de 2006.
Vous mettez sous l’égide des pouvoirs publics à l’aveugle : « toutes les activités industrielles, commerciales, financières, mobilières ou immobilières au Cameroun ou à l’étranger, sous quelque forme que ce soit, dès lors que ces activités ou opérations peuvent se rattacher à l’une des prestations énumérées ci-dessus ou à tout autre objet similaire, connexe ou complémentaire ».
Difficile de comprendre la figuration d’une telle disposition au moment où on parle de modernisation. Elle opère une préemption ambigüe sur le génie créateur des camerounais. Habitué à être battu de vitesse sur l’innovation, le Gouvernement tend-il une embuscade à la créativité en s’octroyant par la même occasion une prime douillette à la médiocrité et à l’inertie ?
Madame la Ministre, l’une des innovations de la loi est l’institution des droits d’entrée et des droits de renouvellement. Mais latitude est laissée au seul gouvernement d’en définir les montants à sa guise. Ne pensez-vous qu’il appartienne aux législateurs tout au moins de fixer les plafonds et les planchers ?
Madame la Ministre, l’institution d’une redevance postale (article 19) en soi, pose 2 problèmes. Celui de la surcharge contributive et celui de la valeur. En plus des droits d’entrée et de sortie, que dis-je ? De renouvellement, il faut signaler que nulle part il n’est dit que les entreprises du secteur sont exonérées des autres charges fiscales.
Lorsqu’en plus, elles sont astreintes à une redevance de pas moins de 4% hors taxes, c’est-à-dire sur la base des encaissements bruts, cela s’assimile, dans un contexte où le patronat dénonce depuis longtemps la pression fiscale excessive, à une asphyxie programmée et à une évasion préméditée. Pour preuve, l’article 22 fixe un
délai de 60 jours pour l’acquittement de ces charges.
Nulle part dans la loi, il n’est envisagé un moratoire. Encore plus inquiétant est de constater qu’à l’article 68 alinéa 4, même en cas de contestation d’une redevance issue des états financiers litigieux, l’opérateur privé est tenu de payer d’abord. On se croirait dans le droit commun de recouvrement des impôts. D’ailleurs ces derniers, subissent la même préemption.
L’article 75 donne pouvoir au Régulateur de l’activité postale (qui ne s’appelle plus ARP comme en 2006) d’agir en leurs lieux et places. Cela ressemble étrangement à l’article 34 de la loi du 20 avril 2015 sur l’activité audiovisuelle qui impose une redevance 4,5% aux opérateurs privés du secteur.
Cette pression est d’autant plus curieuse que, la loi du 18 avril 2013, révisée le 12 juillet 2017 qui fixe les incitations à l’investissement privé, promeut plutôt l’allègement des charges.
Pourquoi l’activité postale doit-elle ramer à contre-courant ? Les transferts de fonds (article 20) sont désormais assujettis à une taxe de 1% du montant à transférer. N’est-ce pas le consommateur qui va payer la facture ?
Mme la Ministre, en évoquant les ressources de CAMPOST (article 43), il est fait mention (au 4ème tiret), de la redevance. On reconduit un système tellement inique inspiré de la CRTV qui veut qu’on prélève chez les concurrents privés pour financer le concurrent public qui reçoit déjà la subvention et autres financements notamment celui
lié à la compensation du service postal universel… Cela vous parait-il équitable ?
Mme la Ministre, cette loi (Articles 62, 63 et 74) reconduit de la loi de 2006, un véritable scandale. La loi met sur pied un corps nouveau : les officiers de police postale.
Qui, parce qu’ils ont prêté serment, peuvent qualifier des infractions, verbaliser, procéder aux saisies et autres choses. Bonjour les abus ! Avez-vous entendu parler des incidents perpétrés par la « milice » municipale à Yaoundé ? Pourquoi cette frénésie de caporalisation sur les entreprises privées du secteur postal ? Pourquoi cette envie
irrépressible de réprimer sans autre forme de procès ?
Suffit-il de prêter serment pour exercer une compétence aussi délicate ? Pourquoi la loi est muette sur leur profil ? Quid de la CAMPOST ? Son plan de restructuration annoncé pour 2018-2021
avec un financement de 22,87 milliards en est où ?
Le 17 septembre 2019 Camair-co a lancé le service Camair-co Express Courrier, cette entreprise a capital public comme Campost est régi par quel régime ? Public ou privé ? Dans un cas comme dans l’autre, ne se posera-t-il pas un problème de concurrence déloyale vis-à-vis des entreprises privées ?
La « Postal Development Report 2019 » qui est le classement mondial annuel des meilleures entreprises postales, fait par l’UPU (Universel Postal Union), l’organisme postal international régit par le traité de Berne de 1874 et auquel le Cameroun est partie depuis le 27 juillet 1960, a attribué à la Poste Tunisienne, le prix du meilleur opérateur postal à l’échelle africaine et arabe, notamment grâce à l’innovation numérique.
Dans l’exposé des motifs, il est dit que l’un des mobiles de la nouvelle loi est l’insuffisance d’appropriation des TIC. J’ai désespérément cherché le saut numérique dans cette loi… aidez-moi à le localiser. En rappel dans le classement évoqué, la Tunisie est 47ème mondial sur 175 pays classés. Le Cameroun est 103ème mondial. Donc l’exemple peut nous venir d’un pays proche sur le continent : la Tunisie.
Peut-on espérer un meilleur classement du Cameroun dans les années à venir ? Depuis le discours du Président Paul BIYA le 31 décembre 2015, faisant mention de l’économie numérique, Mme la Ministre des postes en a fait son sujet de prédilection.
D’ailleurs dès mars 2016, elle organisait ses premières journées du numérique.
Depuis lors elle a organisé moult fora. Pourquoi la loi sur l’activité postale ne porte pas une empreinte forte du numérique ? Serait-ce simplement un slogan pour Mme la Ministre ?
Des études comparatives datant de 2017 retiennent encore notre attention : Dans des pays comme le Kenya et le Nigeria, l’économie numérique contribue respectivement à hauteur de 8% (Mutegi 2016) et 11% (Adepetun 2016) du PIB, mais représente seulement 3,5% au Cameroun en 2016 (Tchofo 2016).
Quelle est la place pour les CTD dans cette loi, notamment les aspects liés au transfert de compétences ?
Mme la Ministre, chers collègues, cette loi, dessine les traits d’un Etat en vorace et oppresseur. L’objectif réel est d’essayer de capter par la force déguisée en loi, des ressources présumées logées dans une niche que constituent les transferts de fonds et les transports de colis et marchandises.
La niche existe en effet. Mais cette loi va essorer complètement. Un secteur aussi prometteur, mérite Mme la Ministre, une
meilleure attention ».
N.R.M