Entre quatre murs délabrés, encore debout au milieu d'un tas de gravats, Muhammad Abdullahye, savoure un thé fumant pour la rupture du jeûne du ramadan. Depuis son modeste salon, il ne peut s'empêcher de sourire. Cela fait pratiquement un mois que ce musulman, cinquante ans environ, est enfin revenu dans sa maison, après avoir vécu pendant deux ans reclus dans le séminaire catholique de la ville.
Il n’est pas seul dans cette situation. Comme lui, ils sont environ 1.500 déplacés musulmans à y avoir trouvé refuge, après l'attaque de la ville en mai 2017 par des milices anti-balaka, des violences qui ont fait 76 morts selon l'Organisation des Nations Unies.
« On a fui vers 3h00 du matin. On s'est réfugiés dans la mosquée, mais lorsqu'ils ont tué l'imam, on est tous montés dans un camion pour fuir vers la cathédrale qui jouxte le séminaire », se souvient Baba teké (Petit père en sango) comme on l'appelle ici.
« On s'est réfugiés dans la mosquée, mais lorsqu'ils ont tué l'imam, on est tous montés dans un camion pour fuir vers la cathédrale" qui jouxte le séminaire, raconte-t-il.
Dans la suite de son témoignage, il se réjoui : « Les gens sont heureux de nous revoir, Tokoyo est notre maison ».
Ancien grand commerçant, Baba téké possédait la plus grande concession du quartier. Deux ans plus tard, il ne reste plus que les murs qu'il a sauvés, versant une tribu aux assaillants.
Younous Issa, son voisin, n'a pas eu cette chance. Sans argent pour payer les milices, il a tout perdu, jusqu'à la moindre pierre. Alors aujourd'hui, il construit une nouvelle maison : Maintenant je suis tranquille, les gens nous aident. Avant, il y avait trop de problèmes avec les anti-balaka », explique-t-il.
Les combats étaient d'ailleurs fréquents entre anti-balaka et les groupes d'autodéfense constitués au petit séminaire. Mais depuis quelques temps, un calme relatif a regagné la ville.
Le retour dans la localité des Forces armées centrafricaines (FACA), en juin 2018, y est pour quelque chose, analyse Richard Thienou, responsable de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) à Bangassou. Selon lui, d'autres facteurs expliquent cette récente accalmie :
- La signature en mai 2018, sous l'impulsion de la Mission des Nations unies pour la Centrafrique (Minusca), d'un accord de non agression entre les anti-balaka et les déplacés.
- L'entente trouvée entre deux villages de la périphérie de Bangassou, théâtre en 2017 de massacres sanglants.
- La mise en place de comités de paix mixtes entre anti balaka et musulmans dans la ville.
Malgré les ruines qui s'alignent dans les hautes herbes du quartier de Tokoyo, la vie reprend doucement son cours : « On ne sait pas ce qui se passera demain, mais pour l'instant, on fait de la sensibilisation sur la cohésion sociale, main dans la main avec les anti-balaka » explique Younous Issa qui inspecte les murs de sa nouvelle bâtisse
D'ailleurs les déplacés du petit séminaire ne sont pas les seuls à avoir retrouvé la ville. Près de 5.000 chrétiens membres de l'ethnie banda, qui avaient fuit en République démocratique du Congo voisine, sont revenus à Bangassou.
Malheureusement, certains ont tout perdu
Sur le site du petit séminaire, ils sont encore nombreux à ne pas oser quitter leur refuge. Et des tensions internes persistent. Assis à l'ombre d'un manguier, entre deux tentes de survie, chapelet à la main, Idriss s’énerve : « Vous voulez que l'on rentre avec quoi. On a tout perdu ! Je suis aveugle, comment voulez-vous que je fasse ? »
Comme d'autres, il pointe du doigt l'aide financière offerte par le gouvernement et les Nations unies aux déplacés pour les encourager à rejoindre leur quartier d'antan. Insuffisante, selon lui : « Avec 25.000 francs CFA, comment voulez-vous reconstruire une vie et vivre au milieu de ceux qui vous ont chassés ? », interpelle Idriss.
Et si certains n'acceptent pas la main tendue aux ennemis d'hier, tous ici, malgré le déchirement, acclament le retour du calme à Bangassou.
Nicole Ricci Minyem