L’épidémiologiste a été contacté par nos confrères de Jeune Afrique. Décryptant pourquoi, le Cameroun est-il troisième pays d’Afrique subsaharienne le plus touché par la pandémie de Covid-19, il pointe du doigt une certaine négligence de la part de la population.
Le Cameroun est cité actuellement comme étant deuxième pays d’Afrique centrale qui enregistre le plus de décès du Covid-19, le troisième pour toute l’Afrique subsaharienne. A la question de savoir quel est exactement le nombre de cas confirmés, et dans quelles régions du pays ? Le Pr Yap Boum II répond, « au moment où nous parlons, nous enregistrons plus de 2.000 cas de Covid-19 confirmés par les tests en laboratoire. Les dix régions du pays sont touchées par cette pandémie. Celles du Centre, qui inclut Yaoundé, la capitale politique, et celles du Littoral, avec Douala, la capitale économique, sont les plus touchées, suivies de la région de l’Ouest ».
Principaux facteurs
Il fait observer que, deux facteurs jouent un rôle prépondérant dans l’évolution de la pandémie dans un pays. Il s’agit d’abord, du nombre de cas importés. « Avant la fermeture des frontières camerounaises, près de 2.000 personnes arrivaient chaque jour dans le pays, dont une majorité à Douala. Cet important afflux de voyageurs en provenance d’Europe, épicentre du Covid-19 à ce moment-là, a favorisé l’émergence du virus au Cameroun », explique l’épidémiologiste.
Le Second facteur, c’est la mise en place de mesures pour contrôler la pandémie une fois qu’elle est installée sur le territoire, et surtout le respect de ces mesures. « Malgré la distanciation sociale et le confinement des personnes en provenance d’Europe, nous avons observé un manque de discipline inexplicable. Des prostituées ont même été retrouvées dans les hôtels réservés aux personnes de retour, supposées être en quarantaine. Et certains ont fui les lieux de confinement et ont ainsi pu transmettre le virus », regrette l’enseignant de la microbiologie dans les facultés de Yaoundé et de Douala et à l’université de Virginie (Etats-Unis), par ailleurs, directeur d’Epicentre, le centre de recherche de Médecins sans frontières à Yaoundé.
Mesures gouvernementales
S’agissant des mesures gouvernementales mises en place pour la détection des cas de Covid-19, le professeur constate qu’en plus des vingt mesures barrières prises par le Gouvernement camerounais, la décision la plus importante est celle qui émane du ministère de la Santé publique et du Centre des opérations d’urgences de santé publique (COUSP) visant à décentraliser la réponse au Covid-19. « Ainsi, chaque région aura une autonomie concernant l’identification des cas dans la communauté ou via le numéro vert 1510, les investigations, le dépistage en laboratoire, le suivi des cas-contacts ainsi que la prise en charge des patients dans les centres d’isolement ou dans les hôpitaux, en fonction de leur état clinique », apprécie le scientifique. Celui-ci évoque à juste titre quelques stratégies du Gouvernement. Il y a la fermeture des frontières, des écoles, des lieux de culte et des bars, ainsi que le port systématique des masques.
Yap Boum II évoque aussi la création récente d’un Conseil scientifique pour appuyer l’action gouvernementale. Il déterminera quels sont les projets de recherches prioritaires. Le défi de la décentralisation en situation de crise sera d’équiper les formations sanitaires de dispositifs de tri efficaces leur permettant d’une part, de protéger le personnel soignant, et d’autre part, d’assurer la détection des patients à risque et leur transfert vers les structures de prise en charge définies par le ministère de la Santé publique.
Se prononçant sur l’éventuel pic de l’épidémie en mois de septembre prochain en Afrique du Sud selon certains chercheurs, l’épidémiologiste fait quelques précisions. « Des chercheurs ont montré que la survenue du pic pandémique dans chaque pays dépend de l’intensité des mesures de distanciation sociale et de confinement (quand il a lieu). L’Afrique du Sud a récemment étendu à cinq semaines les mesures de confinement, et cela a une conséquence directe sur la manifestation de ce pic. Ce rapport permet aux pays de renforcer les capacités de leur système de santé (personnel médical, lits d’hôpital et de soins intensifs, respirateurs, etc.). Les scientifiques indiquent par exemple que l’Afrique du sud dispose aujourd’hui de moins de la moitié des respirateurs qu’il lui faudrait. Et alors qu’on estime que le pays aura besoin de 14.909 lits de soins intensifs en septembre 2020, elle n’en a aujourd’hui que le tiers », déclare enfin le Pr Yap Boum II.
Innocent D H