Depuis quelques jours, élèves et étudiants sont invités à s’arrimer à une nouvelle approche éducative avec entre autres, l’implication des réseaux sociaux à cause du Corona Virus.
Quelle peut être la plus value de cet apprentissage lorsqu’on sait qu’en dehors de l’inexistence du réseau électrique, la couverture internet sur l’ensemble du triangle national tourne autour de 4%.
Des réponses à ces questions et à bien d’autres dans cet entretien exclusif avec Djeukam Tchameni, expert en transformation digitale.
- Merci monsieur d’accepter de répondre à nos questions. Nous vous invitons au préalable à vous présenter
Je suis Djeukam Tchameni consultant senior dans la firme Moody & Smith, expert en transformation digitale. Notre société est basée en Afrique du sud et opère également en Afrique centrale et en Afrique de l’ouest. Nous aidons les gouvernements et les entreprises à intégrer les dernières technologies digitales (machine Learning, intelligence artificielle, blockchain, etc…) dans leur stratégie de développement afin de faire face à la disruption qui affecte tous les secteurs de la vie.
Nous aidons nos clients à créer ou à utiliser des plateformes e-government, e-Learning, e-commerce, blockchain, etc… j’ai de nombreuses années d’expérience dans le domaine des techniques de l’information et de la télécommunication car des 1986 j’ai créé au Cameroun la société Intelligence Artificielle Incorporated qui a conçu et monté les micro-ordinateurs Ramses, les tout premiers en Afrique noire.
- Depuis bientôt un mois voire plus, le gouvernement Camerounais a décidé de la fermeture des écoles afin de protéger les apprenants du Corona Virus. Que pensez-vous de cette décision ?
Je pense que cette mesure était inévitable et salutaire. La pandémie du Covid 19 est une menace planétaire. Le gouvernement se devait de prendre des mesures conservatoires pour en freiner la propagation.
- Quelles peuvent être selon vous, les conséquences à plus ou moins long terme sur le secteur éducatif ?
Les conséquences a court, moyen et long terme sont énormes. A court terme, les enfants ont arrêté d’aller à l’école. Ils sont confinés et oisifs. Or un esprit oisif devient aisément l’atelier du diable. Nul ne sait quand les cours reprendront, ni ses les examens auront lieu cette année. Les enseignants du secteur privé se retrouvent en chômage technique généralement sans salaire. Les promoteurs d’établissements scolaires ont une perte de revenus qui plombera leurs finances durablement.
- Que pensez-vous des mesures prises par le gouvernement afin de réduire l’impact causé par l’arrêt des cours ?
Il est à déplorer que le gouvernement n’ait pas pris suffisamment de mesures d’accompagnement. Toutefois il faut dire à sa décharge que l’ampleur de la pandémie du Covid 19 a surpris tout le monde. Faire des cours a la télévision est un début de solution. Mais il aurait fallu qu’une chaîne éducative spécialisée soit créée et qu’elle tourne 24h/24. Les chaines privées auraient pu aussi être mises à contribution. Après tout l’éducation est l’affaire de tous. Il est vrai que les coupures d’électricité rendent quelque peu bancales le télé-enseignement
Le gouvernement doit comprendre qu’après Covid 19, rien ne sera plus comme avant dans l’éducation et prendre dès maintenant des mesures audacieuses pour introduire et vulgariser le e-Learning et les classes virtuelles
- Les solutions e-Learning, classes virtuelles, etc. peuvent – elles fonctionner dans un système éducatif comme celui du Cameroun, avec les problèmes de connexion, le manque d’électricité dans plusieurs villes, même dans les grandes métropoles entre autres obstacles ?
Le taux de pénétration d’internet est relativement faible au Cameroun. A cela s’ajoute un réseau électrique peu fiable. Mais tous les problèmes ont une solution. Il suffit d’y mettre volonté politique et utilisation des compétences disponibles. Si la 4G est encore un luxe, le réseau GSM est assez dense et peut servir à déployer des solutions éducatives a caractère populaire et bas prix. Des ordinateurs Raspberry Pi combinés a des écrans de faible consommation peuvent fonctionner avec des simples powerbanks chargés avec l’énergie solaire. Bref, Les autorités chargées de l’éducation doivent réunir un panel d’experts pour réfléchir sur la question et proposer des solutions contextualisées
- Quelles solutions préconisez-vous ?
Nous avons mis en œuvre dans une école basée à Douala une solution qui combine le e-Learning et les classes virtuelles. Tous les cours ont été enregistrés en vidéo et mis en ligne dans un logiciel de gestion de l’apprentissage. Les élèves peuvent à partir de leurs domiciles accéder aux cours et les suivre à leur rythme.
La solution classes virtuelles est une vidéo conférence alliée à divers outils pédagogiques qui permet à l’enseignant et aux élèves se trouvant dans des lieux différents d’avoir un cours interactif en temps réel.
Les élèves de cette école n’ont pas eu d’interruption dans leur scolarité. Aujourd’hui, les classes de la maternelle à la seconde ont terminé le programme de l’année et sont en train de prendre leurs examens de fin d’année …en ligne. Les élèves de la première et de la terminale finiront en mai et pourront faire des examens internationaux en ligne qui leur permettront d’accéder à l’université des l’année prochaine. Une telle solution ne peut naturellement marcher que pour des écoles privées aisées ou fortement subventionnées. Mais il existe moins coûteuse qui nécessite une volonté politique du gouvernement.
- Vos solutions seront – elles à la portée du tout venant ?
Dans une société caractérisée par des inégalités sociales, toutes les solutions ne vont pas être a la portée de tout le monde. Mais pour les classes démunies, le gouvernement a le devoir d’intervenir sous formes de subventions diverses pour éviter qu’il y ait un système éducatif a deux vitesses.
J’ai parlé plus haut de la création de CRTV Education, une chaîne spécialisée dans la diffusion de cours. Une plateforme e-Learning nationale peut être également mise en place rapidement. Elle contiendra des cours pour toutes les classes des sous-systèmes anglophone et francophone. L’autorité de régulation des télécoms devra mettre à la disposition du secteur de l’éducation un réseau spécialisé et gratuit. L’énergie solaire doit être mise à contribution pour pallier à la faiblesse de notre réseau électrique. Qui veut peut. Ça peut prendre du temps mais on y arrivera à temps si on commence maintenant.
- Autre chose à ajouter ?
Je suis à la disposition de mon pays pour assister à la mise en œuvre de solutions innovantes dans le secteur de l’éducation
- Merci pour votre disponibilité.
Entretien réalisé par Nicole Ricci Minyem