Son procès ouvert ce Mardi devant le tribunal correctionnel va permettre de mettre en exergue, les agressions sexuelles sur mineurs survenues il y a plus de 30 ans
Au premier jour du procès, ses victimes présumées ont pris la parole. Chacune à leur tour. Parfois à huis clos pour préserver les confidences d’un secret difficile à révéler. Parfois en cherchant leurs mots. Jamais dans la colère malgré l’émotion livrée à la barre.
Des témoignages ont été recueillis par nos confrères de « 20 Minutes » qui ont suivi chaque seconde de cette action de justice : « A chaque fois, j’étais déconnecté, glacé. Il essayait de m’embrasser et de mettre la langue mais je serrais les dents », confesse Jean-François, 41 ans, abusé pour la première fois à l’âge de 10 ans. L’homme d’Eglise exigeait qu’il baisse son pantalon pour lui mettre la main sur le sexe, lui demandant en retour de lui caresser le pénis.
« Des fois, en public, il levait sa jambe pour se frotter contre moi mais personne ne voyait rien », poursuit l’ancien scout de la paroisse Saint-Luc. Les agressions ont eu lieu entre 1988 et 1990 lors de camps organisés en Normandie ou en Irlande.
Aujourd’hui, ce père de famille avoue qu’il ne « supporte pas d’être touché ». Pas même une main sur l’épaule. « Je ne peux pas aller chez le coiffeur. Je me coupe les cheveux tout seul ». Il dit également avoir du mal à confier ses enfants à un tiers : « J’ai réussi à quitter les scouts sans parler de ce qui s’est passé à mes parents. Pour moi, c’était une question de survie », appuie-t-il.
Pierre – Emmanuel a lui essayé de parler à sa mère. Elle n’a pas compris : « Je lui ai fait payer pendant 30 ans », raconte le jeune homme, évoquant des relations passées difficiles mais aujourd’hui apaisées. « A chaque fois, qu’elle me déposait, je lui en voulais. Elle a été très protectrice envers moi mais cela a produit l’effet inverse ».
Le petit garçon devient difficile. L’envie de se révolter. De hurler une colère qui ne pouvait s’exprimer autrement : « Ma sexualité a été compliquée après ». Son parcours scolaire a été apocalyptique. Celui de François Devaux, l’un des fondateurs de la Parole Libérée, également.
« J’ai occulté une grande partie de mon adolescence qui a été très violente et chaotique. J’ai flirté avec des choses dangereuses. J’ai minimisé mon préjudice », réalise-t-il à la barre, avouant pour la première fois avoir tenté de mettre fin à ses jours. Il en a aussi voulu à ses parents, qui ont été pourtant les premiers à écrire au cardinal Decourtray pour dénoncer ce qu’il se passait.
Aujourd’hui, François Devaux se souvient des « fibres de la chemise » de l’ancien curé, de « son râle, de ses palpations, de ses fortes étreintes : « J’avais l’impression d’étouffer. A chaque fois qu’il m’approchait, je sentais le danger ». Pourtant, comme les autres enfants, il adulait Preynat. « Cinq minutes après, je me disais que c’était quelqu'un de bien. J’étais fier d’être son préféré ».
Matthieu a également été l’un des chouchous de l’homme d’Eglise, un certain temps. Le principal intéressé dira d’ailleurs à son sujet qu’il l'« a beaucoup caressé » tout en contestant les masturbations. Orphelin de père, l’ancien scout évoque « une emprise très forte : « Bernard Preynat représentait l’autorité. Il était impossible pour moi de remettre en cause ce qu’il faisait. En tant qu’enfant, on ne comprend pas ce qui nous arrive », explique-t-il à son tour. « Je n’en ai jamais parlé à ma mère car elle avait trouvé refuge dans la religion depuis la mort de mon père. Elle adorait Preynat ». Alors pour la protéger il n’a révélé les sévices subis qu’après son décès en en 2014.
L’ancien scout persiste : « Je me souviens de sa respiration profonde et rauque que j’assimile aujourd'hui à du plaisir. Cela durait entre trois et cinq minutes mais pour moi, c’était une éternité ». Lui aussi a défendu son ancien mentor lorsque ses parents l’ont interrogé. Anthony a carrément oublié pendant des années ce qu’il s’était passé, victime d’une amnésie traumatique.
Amnésie traumatique
L’homme se présente avec fragilité à la barre malgré son imposante carrure. La souffrance transpire dans chacun de ses mots. Depuis le lycée, il multiplie les crises de stress traumatique semblables à des crises d’épilepsie : « Je ne contrôle plus les sursauts de mon corps. Comme si mon cerveau était de la bouillie. Mes muscles se contractent et mon cœur s’arrête de battre. Et là, je tombe, expose-t-il. C’est la descente aux enfers depuis des années ». Les médecins ne sont jamais parvenus à en expliquer la raison.
En face, l’ancien curé écoute attentivement mais finit par contester une partie des accusations. Comme il le fera pour Benoît, racontant la difficulté de « se soustraire à son physique ». Prenant de l’assurance au fil des heures, le prévenu dément avoir serré l’enfant contre lui au point de lui « mettre la tête au niveau du sexe » à travers son pantalon. Il évoque à la place des caresses sur le torse. « Seulement ».
« Je sais qu’il y a un lien avec ce que j’ai subi même si c’est difficile à prouver d’un point de vue médical. Je ressens exactement les mêmes sensations que lorsqu'il me touchait ». Un témoignage glaçant qui laissera Bernard Preynat sans voix, quelques minutes. « Aujourd'hui, j’ai une vie pourrie, merdique à cause d’un homme qui ne le reconnaît pas. C’est difficile à entendre ».
« J’entends mais je ne pense pas être responsable de son mal », finit par lâcher Bernard Preynat, affirmant une dernière fois qu’il ne se rappelle définitivement pas du garçonnet.
N.R.M