David Eboutou, Analyste politique et spécialiste des Relations Internationales revisite l’actualité du Cameroun, après la visite de Tibor Nagy au Cameroun.
Après la rencontre diplomatique entre le Président camerounais et le diplomate américain Tibor Nagy, il est difficile d’affirmer tout de go que le président Biya va infléchir sur ses positions pour au moins deux raisons. D'abord, il faut admettre d’un point de vue historique et empirique, que le président Biya ne fonctionne pas beaucoup avec la pression extérieure. Elle peut avoir des effets mais pas toujours dans le timing souhaité ou sollicité par ses interlocuteurs. D'un autre côté, le Président du Cameroun est tout à fait conscient du fait que s’il faut que des mesures dissuasives ou coercitives soient engagées à son endroit, cela prendrait un peu de temps pour enclencher un certain nombre de mécanismes et de leviers au plan international.
Ce qui lui donnerait par conséquent assez de temps pour manœuvrer également au plan interne. Bien entendu, il faut reconnaître qu’après une rencontre de haut niveau comme celle-là, on n’a pas toujours tous les éléments pour avoir une grille d’analyse complète. Par conséquent, on est donc réservé sur la suite que le président Paul Biya accordera au souhait exprimé par le sous-secrétaire d’Etat américain aux affaires africaines, à savoir l’organisation d’un dialogue inclusif et d’un forum international en vue du règlement de la crise anglophone afin de créer les conditions d’une désescalade dans les régions anglophones du Cameroun. En ce qui concerne le cas du Professeur Maurice Kamto que Tibor Nagy assure avoir évoqué avec les autorités camerounaises, il y a lieu d’espérer que la partie camerounaise soit réceptive à la volonté américaine de voir cet homme politique en liberté. Il faut quand même dire que Maurice Kamto est devenu un acteur majeur avec lequel il faut compter dans le jeu politique aujourd’hui. Son arrestation et son inculpation dans des conditions problématiques posent un réel problème dans notre processus de démocratisation de notre société aujourd'hui.
L’Etat camerounais pouvait se passer de l’arrestation de Maurice Kamto qui lui fait plutôt fait une mauvaise publicité au niveau international. S’agissant de la volonté américaine de voir un Cameroun stable, cela est tout à fait compréhensible car, il faut bien comprendre que le retour de l’Amérique en Afrique en ce moment obéit plus à un souci de contrer la Chine qui a fait une percée extraordinaire et qui inquiète les américains. Les américains sont conscients de l’avance prise par la Chine dans un pays comme le Cameroun qui occupe une position géostratégique importante dans le golfe de Guinée avec le corollaire de toutes les richesses naturelles qui font que certains géologues le qualifient de scandale géologique. Le Cameroun devient donc un enjeu très important dans le redéploiement de l’Amérique en Afrique subsaharienne qui ne souhaite pas qu’il bascule dans un cycle de violences qui compromettrait ses investissements.
En revenant sur la symbolique de la photo remise par le diplomate américain comme cadeau à Paul Biya, l’interprétation peut se faire en fonction des bords idéologiques. Néanmoins, on peut conjecturer sur deux hypothèses au moins. Premièrement, on peut imaginer qu’il s’agit là d’un présent imagé qui rappelle le soutien apporté par le Cameroun au travers du Président Biya à l’Amérique lors de ce qui est qualifié comme étant historiquement la première guerre du golfe. Souvenir important qui a alors marqué le peuple américain qui a voulu exhumer cette photo en signe de nostalgie et de bons rapports entre leur pays et le Cameroun. D’un autre côté, et surtout si on reste en droite ligne avec la tonalité de l’émissaire américain employé depuis Paris où il demandait aux autorités camerounaises à faire preuve de sagesse en libérant Maurice Kamto, on peut alors imaginer qu’il s’agit d’une image intrigante qui invite le président Camerounais à méditer sur une éventuelle retraite comme le lui rappelait l’ambassadeur américain au Cameroun Peter Henry Barlerin qui invitait alors le président Biya à songer à rentrer dans l’histoire comme ce fut le cas de Nelson Mandela et de Georges Washington.