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Entretien avec René Bakota au lendemain du décret fixant la répartition de la dotation générale de la Décentralisation

samedi, 16 mars 2019 11:21 Bossis Ebo'o

Vendredi 22 février 2019, le Premier Ministre, Joseph Dion Ngute, a signé un décret qui fixait la répartition de la dotation générale de la Décentralisation pour l’exercice en cours.

La première grande nouvelle, c’est la dotation des communes, qui s’élève cette année 2019 à 100 millions de FCFA pour chacune des 360. Ainsi, la dotation générale de l’Investissement passe de 5 à 36 milliards FCFA. Cette somme concerne les « projets communaux maturés, arrêtés d’accord avec les bénéficiaires, le ministère chargé des investissements publics et le ministère en charge des collectivités territoriales décentralisées ».

Globalement, le budget total de la Décentralisation est passé de 10 milliards, à 49,8 milliards de nos francs en 2019. Pour les exercices budgétaires antérieurs, la dotation générale d’investissement ne concernait que les communes en difficulté. Par ailleurs, 2 milliards sont réservés à la provision de la rémunération des présidents et membres des bureaux de conseils régionaux. On peut aussi relever une provision de 5 milliards, pour le démarrage de fonctionnement des conseils régionaux.

Mais de nombreuses questions surgissent. René Bakota répond à quelques unes.

 

50 milliards pour le financement de la décentralisation, dans un contexte où l’on dénombre 360 collectivités territoriales décentralisées, en sus de l’arrivée annoncée des conseils régionaux : est-ce suffisant ?

Il s’agit de 49 milliards et 800 millions plus précisément. Ceci étant dit, les collectivités territoriales camerounaises consacrées au sein de notre constitution à savoir les régions et les communes, ont davantage besoin de ressources financières pour un meilleur déploiement et l’optimisation de la décentralisation. Encore que cette dotation est bien scindée, il y’ai bien de questions qui nécessitent de s’y appesantir. Les futurs conseils régionaux bénéficieront de 7 milliards de FCFA au total pour leur mise en place et leur fonctionnement. Malheureusement les textes précis sur la rémunération des membres des conseils régionaux, présidents et personnels connexes sont toujours attendus. Sur quelles bases financières ou économiques proportionnelles se basent le Gouvernement pour en décider de tels frais. C’est à corriger. Encore qu’il faudrait ceci dit des indemnités et autres avantages, sans oublier la distinction spécifique à concevoir. Les communes disposent de 100 millions chacune peut-on lire dans les différentes colonnes de médias. Attention, ce n’est pas juste, et il est temps que l’opinion s’éduque aux questions locales ou du moins de fiscalité locale. Sur les 100 millions dont bénéficie chaque commune, il sera sous tendu des impôts spécifiques, et en conséquence, cela ne peut plus être 100 millions de FCFA. Quel contenu mettre dans cette dotation d’investissement dédiée aux communes ? Que feront les mairies des régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest menacés par la crise dite anglophone et qui ne peuvent plus résider dans leurs communes du fait de la guerre, réussiront t-elles à implémenter cela à distance ? Ce sont des questions de fond qu’il est impératif de se poser. L’on assiste aussi à la hausse du budget de certaines institutions spécialisées dont on ne ressent pas un impact réel dans le panier de la ménagère. Notamment le Fonctionnement du comité national des Finances Locales chiffré à 140.000.000 FCFA, le Comité interministériel des Services Locaux à 210.000.000 de FCFA ou du Conseil National de la décentralisation à 200 millions de FCFA. Les ressources financières à allouer aux CTD sont non négligeables, mais il est plus urgent de miser sur la qualité de la ressource humaine territoriale, les aspects de formation et d’autres thématiques plus pertinentes et prioritaires.

 

Beaucoup d’analystes mettent l’accent sur le fait que ces 50 milliards sont peu et l’on ne s’agrippe que sur l’aspect financier des choses. Est-ce uniquement cela la décentralisation ?

La décentralisation ne se limite pas aux finances, que l’on soit clair. Et il faut ajouter que la décentralisation ou la mise en œuvre des procédés de développement local ne sont pas des faveurs que l’Etat donne aux collectivités, il faudrait que les maires, le personnel communal et les futurs membres des conseils régionaux le retiennent une fois pour toute ! Notre constitution y marque « Etat unitaire décentralisé », mais ce que l’on voit sur le terrain, c’est une « décentralisation centralisée » car bon nombre d’actions le prouvent ; Pourquoi avoir des secrétaires généraux de mairies encore nommés par l’Etat ? Pourquoi des receveurs municipaux encore sous la houlette du Trésor et donc du Ministère des finances et qui ne peuvent faire l’objet de sanctions de la part du Maire ? Pourquoi un conflit au niveau des transferts des compétences ? Du non-respect du dépôt à temps des recettes du fonctionnement des communes en faisant allusion aux centimes additionnels communaux ? Il existe une palette de questions plus intéressantes les unes des autres, la formation des magistrats municipaux, leurs projections pour la mobilisation des financements à l’international, l’équation éternelle du statut de l’élu local. Les acteurs y afférents sous la coupe des organes à l’image du Ministère de la décentralisation et du développement local, le FEICOM, le CEFAM, etc… se doivent de s’atteler à réduire cette marge pour un développement de proximité plus sain.

 

Dans un pays où la concentration du pouvoir est dans l’Adn du système, peut-on dire que le fait d’annoncer le déblocage de 50 milliards pour le financement de la décentralisation, va se matérialiser par un réel transfert des compétences ?

Il faut bien différencier l’urgence du financement effectif de la décentralisation pris dans un sens large, et les questions du transfert de compétences. Il y ait des compétences techniques consignées dans la loi de 2004 sur les règles applicables aux communes qui nécessitent des consensus avec l’Etat, et on mettra une croix pour des questions régaliennes à l’image de la sécurité, de la diplomatie, la défense nationale entre autres. Il existe aussi des compétences mieux calibrées qui nécessitent un approfondissement certain, du fait de leur complexité à l’exemple des activités économiques. Le financement n’équivaut pas à un transfert automatique des compétences, d’ailleurs le chiffre avancé par le Premier Ministre Joseph Dion Ngute aux assises générales de la commune du 6 au 7 février 2019, de 63 compétences déjà transférées méritent une vérification préalable, parce que voyez-vous, les 360 communes n’ont pas les mêmes réalités, il s’agit de 360 contextes différents. Il faut des études mieux contrôlées pour ces questions et une implication véritable des médias, des citoyens vers un intérêt pour ces questions, car dans moins de 7 mois auront lieux les toutes premières élections régionales au Cameroun, et plus tard municipales et législatives, ce qui est étonnant, c’est que l’espace public est muet à ce sujet. A mon niveau, je suis porteur d’une initiative démarrée il y’a près de deux mois sur Twitter, afin de reconnecter le citoyen aux questions de décentralisation et développement local dans le sillage des échanges spécifiques et éducation au développement de proximité, marquée par le hashtag #MaCommune. Donc, le problème demeure au niveau de ce que l’on décide de transférer, et des préoccupations supplémentaires au développement local.

 

On a l’impression que le pouvoir central a aussi fait cette annonce pour démontrer aux yeux du monde que dans le cadre de la crise anglophone, des efforts sont fournis par le gouvernement pour résorber la crise. Mais, avec l’état de pourrissement actuel, est-ce suffisant ?

 

La décentralisation ne se résout pas par un simple décret sur la dotation générale. Et même si l’Etat du Cameroun veut avoir une bonne image à l’international, il est plus qu’urgent que les 34 ministres concernés autour du Ministère de la décentralisation et du développement local sur ces questions fassent les choses correctement. Voyez-vous, ce n’est un secret pour personne, la crise anglophone aurait été évitée si la décentralisation avait été effective plus tôt  surtout après la double consécration juridique de 1996 et 2004. Il faudrait dans une certaine mesure bien circonscrire ce que les communes ont en termes d’opportunités, de priorités, de potentialités, de projections, et ceci n’est pas seulement valable pour les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Les maires de ces régions par exemple, pour une bonne majorité ne peuvent résider et conduire des projets communaux du fait des menaces qui pèsent sur eux et leurs familles, que faire donc ? Une accalmie générale de la crise serait la bienvenue avant toute initiative locale. Est-il légitime d’avoir des élus locaux qui piloteront leurs communes à distance ? Quelles sont les mesures additives en termes de stratégie nationale de la décentralisation à l’endroit des populations de ce côté, cette question est aussi valable pour le reste des 315 communes rurales dont certaines, ne bénéficient pas encore de la pleine mesure de leurs vies financières, ressources humaines, ou accompagnement des services déconcentrés de l’Etat. L’heure n’est pas à la tergiversation, mais plutôt à l’action et au respect définitif de tous les textes qui portent sur la décentralisation sans état d’âmes.

 

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