Bien avant le 7 octobre, jour du scrutin, tout observateur averti de la scène politique camerounaise savait que les alliances nouées par le candidat du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) avec tout ce qui compte politiquement dans l’Adamoua, le Nord et l’Extrême-Nord, en faisaient un glacis électoral impossible à faire fondre.
Outre les pontes de son parti politique comme le président de l’Assemblée nationale, le président du Conseil économique et social, le Lamido de Garoua et bien d’autres, Paul Biya y est assuré du soutien permanent de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP) de Bello Bouba Maïgari, de l’Alliance nationale pour la démocratie et le progrès (ANDP) d’Amadou Moustapha, du Mouvement démocratique pour la république (MDR) de Dakolé Daïssala, du Front national pour le salut du Cameroun (FNSC) d’Issa Tchiroma et d’au moins une partie de la famille d’Ahidjo, son « illustre prédécesseur ».
De plus, il est avéré que le Sud et l’Est offrent systématiquement des résultats faramineux à Paul Biya. Si l’on ajoute que les appels au boycott de la présidentielle lancés par les fédéralistes et les sécessionnistes ont paralysé le plus gros des électeurs du Nord-Ouest et du Sud-ouest en semant la peur et en accentuant l’abstentionnisme, il était certain que parmi les intrépides qui se rendraient aux urnes dans ces deux Régions, l’écrasante majorité accorderont leurs suffrages à Paul Biya.
C’est ainsi qu’avant le jour du vote, le candidat-président était déjà assuré de la victoire dans sept Régions sur les dix que compte le Cameroun. La victoire finale lui était donc acquise avant le jour du scrutin. Sun Tse, le stratège chinois l’a dit : « [u]ne armée victorieuse l’est avant même de livrer bataille ». Maurice Kamto qui sait lire, écrire et compter le savait. La compétition s’est donc véritablement déroulée dans trois Régions : le Centre, le Littoral et l’Ouest, avec les résultats que l’on sait : une victoire pour Maurice Kamto dans le Littoral et deux défaites au Centre et à l’Ouest, sa Région d’origine (y compris dans son Département d’origine).
Face à cette défaite arithmétique inéluctable qui se profilait, Maurice Kamto a opté pour la subornation des consciences dès le lendemain du scrutin, en essayant de déclencher un soulèvement populaire dans les grandes villes de Douala et de Yaoundé principalement, en s’autoproclamant vainqueur, dans le but de voler à Paul Biya son écrasante victoire et entraîner la chute de son régime.
Voici donc le héraut auto-proclamé de la démocratie, enchaînant les défaites électorales, qui tente de s’emparer du pouvoir par la brutalité de l’insurrection, après un cuisant échec dans les urnes. A la manière de « ces peuples qui ne veulent pas acquérir par la sueur ce qu’ils peuvent obtenir par les armes », dénoncés par Tacite, historien, écrivain et homme politique de l’antiquité romaine.
Mais la mayonnaise n’a pas pris, car les mesures de transparence prises autour du scrutin et, plus tard, autour du contentieux électoral, retransmis en direct à la télévision, ont convaincu les uns et les autres, y compris les chancelleries occidentales à Yaoundé, que la victoire de Paul Biya reflète incontestablement la volonté des électeurs camerounais qui ont participé au scrutin du 7 octobre 2018. Ces dernières n’ont d’ailleurs cessé de le dire et de le répéter depuis lors, urbi et orbi, à temps et à contre-temps.
Ce résultat n’a rien de surprenant, car Sun Tse a encore dit : « [u]ne armée vaincue se lance d’abord dans la bataille et ensuite recherche la victoire ». C’est la démarche de Maurice Kamto qui s’est autoproclamé vainqueur de la présidentielle avant le début du travail de la Commission nationale de recensement général des votes et avant le contentieux électoral.
Alors même que sa défaite est établie, Maurice Kamto s’entête à appeler au soulèvement pour une pseudo « victoire volée », persistant dans le déni de démocratie et, surtout, dans la perversion du sens des mots. La perversion consiste précisément, par une spectaculaire inversion des faits et des valeurs, à tenter de voler son prochain tout en le qualifiant de voleur.
Une « victoire volée » est en effet d’abord une victoire. Or, Maurice Kamto n’a pas de victoire à revendiquer avec 14% face à un adversaire crédité de 71%. Il n’y a ni victoire volée ni recomptage de voix envisageable(en dehors bien sûr de l’univers des rêves), car en droit électoral, le recomptage des voix n’est envisagé que si la différence entre le nombre de voix du vainqueur proclamé et de son suivant est si faible que la moindre erreur de calcul peut inverser les résultats du scrutin. C’est pour cette raison que tous les recours internationaux introduits par Maurice Kamto sont irrémédiablement voués à l’échec.
Il a néanmoins contaminé ses partisans qui utilisent abusivement, jusqu’au ridicule, les mots « dictateur » et « tyrannie » pour intoxiquer l’opinion sur la nature de Paul Biya et de son régime, alors qu’ils en ignorent le sens. L’appellation contrôlée de dictateur, comme rappelé par Kamel Daoud dans l’hebdomadaire français Le Point du 17 janvier 2019, renvoie à « un homme qui prend le pouvoir à la vie à la mort. Qui tue la moitié de son peuple pour gouverner l’autre moitié agenouillée, qui est sanguinaire, fantasque, assassin ».
Le Vocabulaire juridique nous enseigne quant à lui que la tyrannie désigne un pouvoir politique arbitraire, autoritaire et cruel d’un homme ou de quelques-uns ». L’évidence est là : certes, nul ne peut approuver à 100% les actes d’autrui, fut-il son conjoint. En ce sens, l’écrivain russe Dostoïevski décrivait en ces termes « le drame de l’impossible rencontre de deux êtres », dans son roman L’éternel mari : « nous vivons d’amitiés inexactes, d’amour bougées ». On peut donc ne pas être entièrement d’accord, voire pas du tout d’accord avec le style de pouvoir de Paul Biya ; on peut penser ce que l’on veut de sa politique ; mais sans conteste, lui-même et son régime n’ont absolument aucun rapport avec la charge sémantique des termes dictateur et tyrannie.
Pour autant, Maurice Kamto et ses adeptes ne s’embarrassent pas du sens des mots ni des moyens pour parvenir à leurs fins. Ils savent que si le MRC apparaît comme le premier parti de l’opposition au lendemain de la présidentielle, c’est par défaut. Exactement comme l’UNDP au lendemain des législatives de 1992, boycottées par le SDF. Maurice Kamto sait qu’il ne doit son rang de premier opposant qu’à la paralysie de l’électorat du SDF dans les Régions du Nord-Ouest et du Sud-ouest, ainsi qu’à la désorganisation de ce parti politique conséquence de l’exil et des déplacements de populations liés aux problèmes sécuritaires de ces deux Régions.
Il sait parfaitement que, pour les municipales et les législatives, le scrutin aura lieu dans chaque Arrondissement et dans chaque Département ou dans chaque circonscription spéciale pour les législatives. Ces élections, attendues cette année, restaureront le SDF dans le leadership de l’opposition au Cameroun. Dans ce contexte, les appels de Maurice Kamto à l’insurrection sont guidés par quatre objectifs.
Faire feu de tout bois pour renverser le président démocratiquement élu avant la convocation du corps électoral pour les législatives et les municipales afin de préserver l’unité du MRC, profondément divisé entre les partisans du boycott de toute élection convoquée par le président Biya qu’ils présentent comme « mal élu » et les modérés, qualifiés de « vendus » par la base du MRC, qui aimeraient participer à toute élection, afin de conquérir le maximum de postes de députés et de conseillers municipaux.
Subsidiairement, tenter de renverser Paul Biya par l’insurrection avant les élections législatives et municipales, afin de ne pas révéler à la face du monde la faible implantation de son parti qui sera fonction du nombre de listes qu’il sera capable de présenter aux législatives et aux municipales de 2019 et de ses résultats au terme de ce double scrutin.
Encore plus subsidiairement, tenter de renverser le régime de Paul Biya avant les législatives de 2019, afin d’empêcher le SDF de reprendre sa place de premier parti politique de l’opposition. Tout à fait subsidiairement, tout faire pour renverser le président élu, afin d’accréditer sa fausse thèse de la « victoire volée », thèse dont il est parfaitement conscient du caractère factice.
La stratégie de l’anti-démocrate et du négateur de l’Etat de droit qu’est Maurice Kamto apparaît donc comme une stratégie de désespoir et de mensonges éhontés, dictée par crainte de ce qu’il perdra irrémédiablement après les législatives et les municipales de 2019.Mais dans cette quête de survie politique, alors que les couteaux sont tirés, doit-il pour autant braver l’apophtegme de Confucius, le Maître de la Chine, qui a dit : Un homme de haut rang se doit d’éviter toute forme de violence et d’impertinence » ?
James Mouangue Kobila
Agrégé de droit public
Vice-recteur à l’Université de Douala