L’expert en question d’économie Dieudonné Essomba indique que le développement d’un pays relève d’un problème technique. Il faut impérativement savoir comment marche une économie.
Retrouvez ci-dessous la tribune de Dieudonné Essomba
DU SENTIER DU DEVELOPPEMENT POUR LES PAYS D’AFRIQUE NOIRE
Le développement d’un pays n’est pas une opération de foi religieuse qu’on pourrait conduire sur la base des prières, du recours aux messies ou de la morale des nonnes. C’est un problème technique, exactement comme la mise en place d’un réseau électrique, la confection d’un programme scolaire, la construction d‘une maison ou la réalisation d’une opération chirurgicale.
Nul ne peut mener un programme de développement s’il ne sait pas comment marche une Economie, quelles sont les lois fondamentales des ensembles économiques, et surtout, comment ces ensembles économiques sont articulés les uns aux autres.
Et nul ne peut créer un programme de développement pertinent pour le Cameroun s’il ne peut expliquer pourquoi la Corée du Sud s’est développée en 1970 alors que la Chine se cherchait encore, et pourquoi la Chine se développe aujourd’hui alors que le Sénégal et la Côté d’Ivoire tournent en rond.
Le développement n’est pas un problème de morale publique, de bonne gouvernance et tout ce tralala dont on nous rebat les oreilles chaque jour. C’est une opération éminemment technique. ET si l’Afrique Noire ne se développe pas, c’est normal, puisqu’elle ne fait pas ce qu’il faut pour cela. Elle se contente d’imiter les expériences des autres alors qu’elle ne bénéficie pas des mêmes caractéristiques que les autres.
La voie pour aller au développement économique dépend de chaque pays, de ses dotations factorielles (population, richesses minières), de son retard de développement par rapport aux autres, de son positionnement géostratégique par rapport aux pôles développés, etc.
Tous ces facteurs imposent, pour chaque pays, une marge de manœuvre qui circonscrit son action et lui impose un modèle très spécifique qu’il doit suivre pour réussir et que les Economistes nationaux doivent identifier et structurer.
Aucun pays ne peut utiliser le modèle de développement de l’autre ! L’Europe Occidentale s’est développée en contrôlant la Révolution Industrielle qui lui a permis de réduire le reste du monde en pourvoyeur de matières premières. Les USA se sont développés en transportant la technologie dans un environnement extrêmement riche en matières premières, à coups de massacres des Indiens et de main-d’œuvre servile des Noirs.
Le Japon s’est développé en s‘appropriant la technologie européenne et en soumettant ses voisins au colonialisme et à l’esclavage.
Les Tigres d’Asie du Sud-est (Corée du sud, Singapour, Taïwan, Hong Kong) se sont développés en récupérant les activités consommatrices de main-d’œuvre du Japon surdéveloppé dans un contexte de Guerre Froide.
La Russie s’est développée en mobilisant ses immenses facteurs de production (superficie, population, ressources) dans le cadre de l’idéologie communiste.
La Chine s’est développée dans le cadre de la Théorie de l’Appareil Minimal : elle s’est enfermée, puis a utilisé son gigantesque marché intérieur pour créer localement des biens importés qu’elle a copiés, simplifiés et adaptés. Ce processus interne de maturation lui a permis de s’améliorer sans être entravée par la compétition internationale, avant de s’ouvrir pour mater ses prédécesseurs qu’il a fini par surpasser.
Bref, chaque pays a sa méthode et personne n’a imité l‘autre pour se développer !
Le problème de l’Afrique est justement là : bien loin de réfléchir sur la méthode qui lui permettrait d’aller au développement par ses voies propres, ses élites passent leur temps à réciter les théories et à vadrouiller dans le monde entier pour demander des conseils. Leur discours se réduit à ce que les autres ont fait ou dit : « Suivant la théorie de tel grand Economiste polonais… D’après les courbes putty-putty développées par Ergeworth … ».
Une véritable racaille ! On dirait que Dieu ne leur a pas donné une tête pour réfléchir par eux-mêmes!
IL EXISTE POURTANT UNE SOLUTION
Il existe pourtant un sentier de développement pour l’Afrique Noire et ce sentier repose sur 2 réformes :
-LA BINARISATION DES ECONOMIES : nos pays sont marqués par leur incapacité à produire de manière compétitive les biens dont nous avons besoin. C’est un problème économique appelé MALEDICTION DU DERNIER-NE : par exemple, le Cameroun dispose parfaitement des capacités techniques pour fabriquer un grand nombre de biens qu’il importe, tels que les habits, la manufacture courante, voire des ordinateurs ou des voitures. Malheureusement, s’il les fabrique aujourd’hui, ses biens seront plus chers ou moins élaborés que les concurrents étrangers.
Le pays se retrouve donc paralysé, non pas parce qu’il est incapable de produire, mais parce qu’il est venu trop en retard dans un environnement ouvert.
Il se retrouve donc dans une paralysie totale appelée TECHNOPARALYSIE : incapable de mobiliser ses facteurs de production du fait de cette mauvaise insertion dans l’Economie international, le pays se retrouve confiné dans les activités de bouts de filières, telles que la production primaire, le commerce ou de petites industries de finissage.
Comme d’autre part, sa population est impatiente de vivre dans le luxe, elle importe donc massivement des biens que le pays est incapable de payer, d’où un cycle permanent de déficits courants suivis d’endettement massif.
Le développement devient dès lors impossible.
La situation de sous-développement de l’Afrique n’est donc pas un hasard. Elle n’est pas le fait d‘une incompétence particulière du Gouvernement qu’un Messie viendrait miraculeusement surmonter, mais la conséquence logique d’une architecture particulière dans le monde.
La seule solution pour contourner les contraintes imposées par cette architecture est la « binarisation de la Monnaie nationale ». D’un point de vue technique, la binarisation est l’émission, à côté d‘une monnaie nationale très fiable, d’un système de bons d’achat du type des bons de carburant que le Gouvernement distribue à ses responsables. C’est un peu comme si le Gouvernement avait étendu ces bons d’achat à tous les biens et services produits au Cameroun, en leur donnant également les mêmes coupons que le CFA.
C’est une mesure très facile à appliquer, peu coûteuse, sans risque, et qui élimine définitivement la TECHNOPARALYSIE et nous donnerait un taux de croissance de 7% pendant plus de 40 ans et sans déficit de la balance courante, ni endettement.
Il n’existe pas d’autres solutions pour sortir le Cameroun du sous-développement, et celui qui vous dit le contraire est un imposteur !
- LA SEGMENTATION DE L’ETAT : la seconde mesure consiste à mobiliser au maximum les forces productives de la Nation, de manière à les impliquer au maximum dans leur développement. Chaque citoyen, aussi bien individuellement que collectivement, doit comprendre que son développement est de son fait et non du fait d’une puissance magique ou d’une élite inspirée.
De ce point de vue, la nature des Etats d’Afrique noire, fabriqués artificiellement sur la base des communautés différentes aurait dû être perçue comme un avantage qu’il fallait valoriser au lieu d’une lourde pénalité qu’il fallait combattre. En effet, l’Etat aurait dû être structuré de manière à orienter l’agressivité naturelle des communautés à leur auto-développement, de manière à faire jouer la spécialisation, l’émulation et la responsabilisation des élites locales, chacune sur son territoire.
Au lieu de quoi on a fait exactement l’inverse, en s’embourbant dans la pseudo-idéologie de l’unité nationale qui n’a eu que 3 résultats :
- le développement d’une élite bureaucratique parasitaire, impotente et corrompue, et qui aspire les maigres ressources de la Nation pour entretenir un train de vie somptuaire
-des Etats intrinsèquement tribalisés et violents qui ont détourné l’agressivité naturelle des Communautés de leur propre développement pour la drainer vers la conquête des avantages collectifs de l’Etat que sont l‘emploi public, les postes de pouvoir, les infrastructures collectives et les rentes (marchés publics)
-une perversion de l’autorité, érigée en puissance magique qui entretient une interminable série de Messies au sommet de l’Etat.
Il s’agit donc de revenir à la norme, en concevant un modèle d‘organisation étatique où chaque Communauté est en grande partie maitresse de son développement sur son territoire à travers son Etat régional ou Fédéré, un Etat Central assurant alors la coordination, la péréquation, la régulation, les infrastructures structurantes et les secteurs de souveraineté internationale.
Au Cameroun par exemple, les 5.000 Milliards du budget collectif doivent être partagés, moitié pour l’Etat Central, et l’autre moitié pour les Etats Régionaux, et chaque Etat Régional gère sa part, et tout le monde voit qui est qui !
En conclusion, les pays d’Afrique Noire ne sortiront pas du sous-développement en copiant les autres, car c’est chaque pays qui doit définir son sentier de développement. Ils ne s’en sortiront pas en réduisant le développement à une simple volonté magique ou à un simple exercice de copiage, mais en adoptant deux mesures techniques :
-la binarisation des monnaies nationales qui leur permettra de réguler leurs relations économiques internationales et sauvegarder en permanence les équilibres tout en développant une manufacture locale dynamique
- la segmentation de l’Etat qui leur permet de réguler les relations intercommunautaires tout en mobilisant les populations pour leur propre développement.
Ces deux propositions sont émises comme des exigences génériques que chaque pays d’Afrique Noire devra mettre en œuvre en tenant compte de son contexte. La binarisation pourra ainsi se faire sur la base du CFA ou d’une monnaie nationale arrimée à une devise. De même, la segmentation de l’Etat dépendra de la taille du pays, de sa composition sociologique, de son passé et prendre la forme d’une décentralisation administrative, d’une régionalisation ou de la fédération.
Mais les deux mesures sont absolument nécessaires pour tout Etat- africain qui veut se développer.