L’hépatite C, la grande oubliée (3). Le pays est l’un des plus touchés par le virus sur le continent mais le coût du dépistage reste un frein pour la prise en charge des malades.
Par Josiane Kouagheu (Douala, correspondance)
Lorsque Pauline* évoque « ses maladies », elle tente en vain de contenir les larmes qui perlent sur ses joues creusées. Vêtue d’une robe fleurie qui flotte sur sa frêle silhouette, cette quadragénaire est séropositive depuis 2013.
« Mon mari est décédé en juin 2017 et, en novembre, j’ai découvert qu’en dehors du sida, j’avais aussi l’hépatite C », sanglote cette mère de trois « jolies filles », rencontrée à la mi-juillet au centre agréé de prise en charge des personnes vivant avec le VIH de l’hôpital Laquintinie de Douala, la capitale économique du Cameroun.
A la mort de son époux, Pauline tombe malade. Dans les centres de santé où elle se rend, les médecins lui disent qu’elle souffre « de la fièvre, du paludisme, de fatigue chronique ». Commerçante sur un marché de Douala, Pauline finit petit à petit par être terrassée par tous ces symptômes dont elle ignore l’origine et qui l’obligent presque à cesser de travailler. « Malgré tout ce que les médecins me disaient, je ne guérissais pas, se souvient-elle, en fronçant ses sourcils. Ce n’est qu’ici, à l’hôpital Laquintinie, qu’on a su dépister l’hépatite C. »
« Je ne connaissais même pas cette maladie et j’ai découvert qu’elle est non seulement dangereuse, mais aussi très chère », poursuit la veuve. Après un premier test positif au virus de l’hépatite C, qui se transmet par voie sanguine, Pauline, « abattue, traumatisée, démoralisée », a dû subir un bilan préthérapeutique pour déterminer le taux de charge virale dans son sang, le type de génotype et l’état de son foie… Coût total de l’opération : plus de 300 000 francs CFA (457 euros). Une somme considérable dans un pays où le salaire minimum interprofessionnel garanti s’élève à 36 270 francs CFA.
Pour payer cette facture, Pauline se résout à vendre un terrain que lui a légué son mari dans son village natal. « Il était pour nos enfants. Mais, si je ne le vendais pas, je ne pouvais pas guérir et les élever. » Ce n’est qu’à la fin mai qu’elle a pu débuter son traitement.
Cancer du foie ou cirrhose
Au Cameroun, environ 10 000 personnes meurent chaque année d’une hépatite. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le pays fait partie des 17 les plus touchés dans le monde. Les hépatites les plus répandues sont l’hépatite B, dont le taux de prévalence (nombre de personnes infectées) est de 11,9 %, et l’hépatite C, dont la prévalence moyenne est de 13 %, soit plus de 2,5 millions de personnes touchées.
Comme pour Pauline, le diagnostic reste l’un des principaux freins au traitement de l’hépatite C au Cameroun. Après avoir effectué la première phase de test, peu onéreuse, « la majorité des patients n’ont pas les moyens de faire la seconde phase, le bilan thérapeutique, dont le coût est compris entre 200 000 et 300 000 francs CFA. Ils se découragent à ce stade. Beaucoup fuient après avoir été dépistés positifs et l’on n’est pas capable de dire s’ils développent une hépatite chronique », soupire le docteur Hubert Leundji, hépato-gastro-entérologue, responsable du Centre médical de l’Estuaire.
Car presque un tiers des personnes contaminées se débarrassent spontanément du virus. Les autres deviennent, en l’absence de traitement, « chroniquement » infectées et connaissent, comme Pauline, des épisodes de perte d’appétit et de poids, de douleurs musculaires et articulaires, de fatigue, de troubles du sommeil, de nausées, de vomissements, de diarrhées, de maux de tête et de troubles dépressifs. Des signes qui ne sont pas forcément imputés à l’hépatite C et peuvent durer deux à trois décennies avant que le malade ne déclare une cirrhose ou un cancer du foie.
« JE NE CONNAISSAIS MÊME PAS CETTE MALADIE ET J’AI DÉCOUVERT QU’ELLE EST NON SEULEMENT DANGEREUSE, MAIS AUSSI TRÈS CHÈRE À TRAITER »
Pourtant, en 2009, Hubert Leundji a mené avec des confrères une étude sur les hépatites qui leur a permis de recenser « tous les patients atteints de cirrhose et cancer du foie » de l’hôpital Laquintinie. Résultats : 54 % des cas étaient liés à l’hépatite C et 34 % à l’hépatite B. Une situation qui pourrait donc être évitée.
Plus grave, le spécialiste, par ailleurs secrétaire général de l’ONG SOS Hépatites Cameroun, souligne que les patients coinfectés au VIH et à l’hépatite C comme Pauline, sont plus exposés s’ils ne sont pas dépistés et traités « à temps ». « L’hépatite est plus dangereuse que le VIH. Lorsqu’on est coinfecté, on court le risque d’avoir les charges virales plus élevées, ce qui favorise la contamination de l’entourage, notamment lors d’un accouchement. On sait aussi que le malade porteur du VHC développera plus vite une cirrhose que celui qui n’est pas contaminé par le VIH », précise le spécialiste.
Prix prohibitifs
Contrairement à celle du VIH, la prise en charge de l’hépatite C n’est pas gratuite au Cameroun. Sa guérison est pourtant possible après seulement trois mois de traitement grâce à la découverte de nouvelles molécules en 2014. Le coût du traitement, revu à la baisse à la faveur de partenariats entre gouvernement et des firmes pharmaceutiques internationales, n’est toujours pas accessible à tous les Camerounais.
Selon un communiqué du ministre de la santé publique André Mama Fouda, daté du 5 janvier 2018, les nouveaux prix des « protocoles hépatite virale C » oscillent désormais entre 20 000 et 120 000 francs CFA contre 30 000 à 280 000 francs CFA auparavant. Des prix encore prohibitifs qui reviennent « à ne pouvoir soigner que l’élite », déplore le docteur Hubert Leundji.
« BEAUCOUP FUIENT APRÈS AVOIR ÉTÉ DÉPISTÉS POSITIFS ET L’ON N’EST PAS CAPABLE DE DIRE S’ILS DÉVELOPPENT UNE HÉPATITE CHRONIQUE »
« Le traitement des malades coinfectés au VIH et à l’hépatite B est gratuit, car il consiste en des combinaisons d’antirétroviraux » utilisés pour lutter contre le sida. « Ceux qui sont coinfectés au VIH et à l’hépatite C doivent malheureusement, pour le moment, acheter eux-mêmes leur traitement », déplore le professeur Magloire Biwole Sida, coordonnateur du Comité national de lutte contre les hépatites au ministère de la santé publique.
Il note cependant que « du fait de l’évolution technologique des firmes pharmaceutiques, le coût du traitement de l’hépatite C dégringole de mois en mois », concédant que le « réel problème demeure le diagnostic ». Même constat dressé par les principales associations de lutte contre les hépatites qui mènent des actions de plaidoyer auprès du gouvernement et des organisations internationales pour la gratuité du diagnostic.
Le professeur Magloire Biwole Sida précise que le gouvernement travaille en collaboration avec des partenaires « pour résoudre ce problème ». C’est le cas de l’ONG Foundation for Innovative Diagnostics (FIND) qui essaie de mettre sur pied de meilleurs outils de diagnostics de l’hépatite C et de les intégrer avec le traitement dans les programmes de lutte contre le VIH dans sept pays, dont le Cameroun. La fondation a même signé en 2017 un accord de coopération avec Yaoundé, « qui n’en est qu’a ses débuts », assure Sonjelle Shilton, de l’ONG FIND. Mais avant toute chose, prévient Magloire Biwole Sida, « si une solution n’est pas développée pour aplanir l’accès au diagnostic, on n’aura pas résolu le problème. Donc, il faut que le dépistage soit gratuit, il faut que les examens de suivi soient proposés à des coûts très réduits pour qu’on puisse passer à la phase d’éradication ».
Pour l’héritage des filles de Pauline, englouti dans les soins, il est trop tard. Son traitement doit prendre fin dans quelques semaines : « Ne me parlez plus de cette maladie, dit-elle en se détournant. On m’a dit que j’allais guérir. Je veux guérir. Pour pouvoir élever mes enfants. »