Les prémices du vote électronique ? La ville de Bruges, dans la banlieue de Bordeaux, vient d’organiser une consultation citoyenne en ligne, avec la plateforme Civic Power, association qui milite pour le vote en ligne et qui propose des solutions de vote mobile sécurisées pour les entreprises, les associations ou les collectivités, notamment via sa start-up bordelaise Votelab.
L’équipe municipale de cette commune de 18.000 habitants a fait de la démocratie citoyenne “un axe fort” de son mandat, explique la première adjointe Isabelle Desbordes. “En plein milieu de la crise sanitaire, nous avons opté pour une consultation en ligne dans le but de nous aider à rédiger le schéma directeur de nos équipements sportifs, poursuit l’élue. Il nous fallait un système qui allie la simplicité d’usage, à la solidité technologique, pour que les résultats soient incontestables”.
Dix fois plus de personnes lors de la consultation en ligne
Organisée en septembre dernier, la consultation a touché 547 personnes. Dix fois plus qu’une consultation ordinaire pour ce genre de sujets. “Le but était d’organiser ensuite des ateliers participatifs qui ont eu lieu début mars, et où nous avons eu une quarantaine de personnes”. Un chiffre pas forcément impressionnant, mais “nous avons attiré un public qui ne serait pas venu spontanément”, se réjouit Isabelle Desbordes.
Sur le modus operandi, la ville de Bruges a d’abord distribué 11.000 courriers dans les boîtes aux lettres des habitants, sur lesquels figuraient 4 QR code pour que chaque membre d’une même famille puisse voter une fois. En scannant le code, les utilisateurs étaient renvoyés directement sur une application pour s’inscrire et voter en ligne en répondant à 23 questions.
Urne décentralisée et transparente
Pour cette consultation, l’identité des votants n’était pas demandée, “mais on peut tout à fait graduer les dispositifs de sécurité en fonction de l’enjeu du scrutin”, explique Jean-Sébastien Suze, directeur de Votelab. Se pose ensuite la question du traitement des données, et c’est là que Civic Power propose une offre innovante, qui passe par la blockchain.
“La sécurité, l’intégrité et la transparence du vote, sont les éléments-clés d’un scrutin, martèle Jean-Sébastien Suze. Et le risque est plus important quand il s’agit d’une élection avec un enjeu politique, que pour choisir la couleur d’un mobilier urbain”. “C’est pourquoi nous avons travaillé sur une urne décentralisée et transparente, via la blockchain, ajoute le président de Civic Power Christophe Camborde. Tous les votes sont visibles en temps réel, et ils sont évidemment anonymisés. Quand vous avez voté, on vous remet un QR Code qui permet de vérifier le contenu de votre vote”.
Civic Power n’est pas la seule plateforme à travailler sur cette urne transparente digitalisée. C’est le cas aussi d’une autre start-up bordelaise, V8TE. Lancée en pleine pandémie, cette entreprise propose aujourd’hui une plateforme numérique 100 % libre-service.
“Vous n’avez besoin de personne pour vous inscrire sur notre site et lancer votre scrutin de manière sécurisée, résume son fondateur Guillaume Odriosolo. Nous travaillons essentiellement avec des associations, des entreprises, et quelques collectivités, tout un milieu qui connaît une forte accélération depuis deux ans avec les logiciels de signature électronique par exemple. Parallèlement, nous allons finaliser une technologie d’urne digitale transparente, technologie qui permettra de faire l’analogie avec le vote physique”.
“Trouver les moyens de récupérer ceux qui sont en colère”
L’objectif de cet écosystème est de participer à la mise en place du vote électronique, qui n’est pas autorisé à ce jour en France, hormis quelques exceptions notamment pour les votants à l’étranger. “Nous avons aussi créé Civic Power pour faire du lobbying auprès des instances politiques en faveur du vote électronique, dans le but de lutter contre l’abstention qui ne cesse de progresser”, résume Christophe Camborde.
Au premier tour de la présidentielle, l'abstention chez les moins de 34 ans a atteint 46 %, alors qu’elle était à 30 % en 2017. « Nous voulons trouver les moyens, avec les outils digitaux, de récupérer ceux qui sont en colère et qui s’expriment en étant des "haters" sur les réseaux sociaux, comme le fait l’appli Elyze [un comparateur de programmes des candidats à destination des jeunes] avec qui on collabore également. Les citoyens ont évolué, il faut inventer une nouvelle forme d’expression du vote”.
“Faciliter le vote n’est pas la solution, mais une solution pour lutter contre l’abstention, abonde Jean-Sébastien Suze. La question est de savoir comment on ramène les concitoyens à la chose publique, que ce soit pour leur demander un avis sur un aménagement urbain ou pour voter pour le futur Président de la République. Et de notre point de vue, apporter une brique technologique facilitant l’accès au vote aurait un impact sur la participation”.
L’épineuse question de la sécurité
Le sujet du vote électronique pose toutefois de sérieuses questions autour de la sécurité. Plusieurs experts mettent en garde contre la mise en place d’un tel système en France. “Si on vote à distance, la liberté n’existe plus, on peut se faire acheter son vote, se faire contraindre, on peut ne pas être la bonne personne”, alertait ainsi François Pellegrini, professeur d’informatique à l’Université de Bordeaux, au moment des dernières élections régionales en 2021.
“Il peut y avoir des contraintes sur quelques individus, admet Christophe Camborde, comme il y en a peut-être autour de l’isoloir aussi… C’est pour cela que je regarde l’Estonie de très près, où la moitié du pays vote en ligne et où il y a un consensus politique sur le sujet. Là-bas on a la possibilité de changer son vote en ligne, ou de le remplacer par un vote physique si on le souhaite…
Il existe des garde-fous, organisés autour d’un identifiant unique pour chacun, via la carte d’identité numérique. Leur limite c’est l’urne, qui est centralisée sur un serveur dans une base de données. C’est pourquoi nous avons travaillé sur une urne décentralisée. »
Le vote électronique va « prendre du temps avant de rentrer dans les mœurs »
L’objectif pour Civic Power, c’est de réaliser l’expérience de Bruges “à l’échelle d’un département, d’une région, jusqu’au jour où on le fera au niveau national”. La première adjointe de Bruges est aussi favorable à une généralisation d’un tel dispositif. “On sent bien qu’il y a un lien de confiance qui s’est distendu avec les élus… En faisant participer les citoyens, pas sur tous les sujets, mais un maximum, on va essayer de retisser ce lien de confiance. C’est pourquoi nous allons réutiliser la consultation en ligne, sur le thème de la culture cette fois-ci”.
Le vote électronique va toutefois “prendre du temps avant de rentrer dans les mœurs”, estime Christophe Camborde. “On rêve d’organiser ainsi la présidentielle de 2027, peut-être pas sur l’ensemble du scrutin, mais sur une zone de test au niveau d’une commune ou d’une région…” Guillaume Odriosolo est plus prudent, et évoque une échéance « de dix à quinze ans”.