Après trois semaines de procès sous haute tension, la culpabilité du policier blanc a été reconnue ce Mardi, bien que pour Charlotte Recoquillon - Spécialiste des Etats-Unis cette décision ne résoud pas tout à fait la problématique des brutalités policières contre les minorités aux Etats-Unis.
Elle a été interrogée par nos confrères de « 20 Minutes »
- Ce verdict peut-il avoir un impact sur les violences policières aux Etats-Unis ? Etait-il attendu ?
Même s’il était attendu, personne n’osait vraiment y croire. Il est tellement fréquent de voir des policiers acquittés dans des affaires de violences policières, même celles où il existe des preuves…
Mais pour cette affaire, les preuves n’ont cessé de s’accumuler au cours du procès, c’était accablant. De plus, les jurés ont délibéré en très peu de temps, signe qu’ils n’ont pas eu de difficultés à se mettre d’accord. Il me semble aussi que la mixité dans ce jury, qui est assez inhabituelle, et la médiatisation extrême de cette affaire avant même le procès ont pu influencer l’opinion des jurés.
- La condamnation de Derek Chauvin peut-elle servir d’exemple ?
Il faut mettre beaucoup de pincettes dans ces réponses. Chaque Etat américain dispose de sa propre législation, les mêmes faits dans différents états ne sont pas condamnés de la même manière. La justice n’est pas censée être faite pour être rendue pour donner l’exemple.
L’enjeu, c’est davantage les poursuites contre les policiers que leurs condamnations. Est-ce que dans chaque affaire, les policiers seront désormais poursuivis et inculpés ? L’avenir le dira.
En revanche, sans la pression publique, la police aurait peut-être maquillé les événements et aurait pu adopter un discours unilatéral en disant que George Floyd résistait, qu’il s’agissait d’un usage légal de la force.
C’est parce qu’il y a eu des témoins, que la pression publique a été forte, que Derek Chauvin a été lâché par ses pairs. Ils se sont désolidarisés, de façon à pouvoir dire que c’est une brebis galeuse, le cas d’un seul policier, et non du système entier, c’est ça le problème
- Peut-on qualifier cette décision d’historique ?
C’est effectivement historique à de nombreux égards. La mort de George Floyd a déclenché une énorme vague de manifestations. Cette vague a été la plus importante de l’histoire des mouvements sociaux américains en termes de nombre de manifestants, de villes concernées, de la durée du mouvement. Les dommages et intérêts négociés par la famille de George Floyd avec la ville de Minneapolis, avant même le procès, sont eux aussi historiques.
Maintenant, ce n’est pas parce que c’est historique que ça va transformer le système, l’institution policière et les violences policières. D’ailleurs, pendant les trois semaines du procès, les violences policières n’ont pas disparu : Daunte Wright - Caron Nazario, Adam Toledo … Ce qui montre bien qu’on n’a pas réglé le problème.
- Peut-on espérer un changement dans les violences policières ?
On en est loin. Il faudra des réformes profondes, de très grande ampleur, les réformes cosmétiques ne suffiront pas. Il n’y a que les journalistes qui disent que c’est un tournant. Les leaders du mouvement Black Lives Matter sont satisfaits du verdict, mais ils mettent en garde : ça ne résume pas la justice, ça ne résout pas le problème des violences policières dans leur ensemble.
En plus, quand on parle de violences policières, on pense immédiatement aux meurtres, mais il y a aussi beaucoup de gens qui sont blessés, harcelés, battus, violentés par des policiers. Toute cette masse de victimes est invisible à l’opinion publique et aux médias. Les violences policières ne sont pas du tout un sujet enterré ou derrière nous.
On doit maintenant attendre la condamnation de Derek Chauvin (sa peine). Il est probable qu’elle soit assez exceptionnelle, mais rien n’est fait, il ne faut pas se réjouir trop vite. En revanche, ce qui a changé avec la médiatisation de cette affaire et la mobilisation de Black Lives Matter depuis 2013, c’est la connaissance des violences policières par tous les Américains.
Quels que soient leurs avis, qu’ils soient pour ou contre, les Américains sont maintenant beaucoup plus avancés dans leurs opinions. Désormais, ils ont tous un avis « sophistiqué » sur les violences policières.
N.R.M