Dans sa lettre ouverte et publiée au journal « La voix des décideurs » adressée au chef de l'État, Marcien Essimi écrit :
« Monsieur le Président de la République,
Les massacres qui endeuillent notre pays, causant des milliers de morts et de déplacés depuis plus de deux ans dans les régions du Sud-Ouest et du Nord-ouest, m’obligent à vous suggérer notre modeste contribution à la résolution de cette crise au regard de certaines réalités. A ce sujet, je ne crois pas avoir une solution miracle, quelque chose que vous ignoreriez. Peut-être serait-ce même du déjà entendu dans la multitude d’appels que vous recevez certainement chaque jour, de la part de milliers de Camerounais et d’observateurs, qui vous interpellent pour un dialogue familial avec nos compatriotes de ces régions.
Monsieur le Président,
Vous savez comme moi, que qui peut le plus peut le moins et que le plus dans cette guerre, c’est vous qui le pouvez, tandis que les sécessionnistes peuvent le moins, dans la mesure où ils ne seront jamais capables de diviser le Cameroun. Vous avez de lourds moyens financiers et matériels à votre disposition, ajoutés à un arsenal juridique et institutionnel que vous pouvez utiliser à souhait, pour anéantir totalement ces compatriotes, pourtant malgré tout récupérables.
Certaines langues se disant d’être objectives, disent que notre malheur réside cependant dans votre enfermement. Cet hermétisme qui semble vous éloigner totalement de votre peuple et les dures réalités qu’il affronte au quotidien. Dans cet ordre, on ne saurait faire l’inventaire des tragiques événements survenus dans notre pays, dont les victimes espèrent toujours vainement votre compassion. Celui d’Eséka en demeure le dernier et le plus affligeant. Ces victimes résignées de votre indifférence demeurent plongées dans un désarroi semblable à celui de ceux du crash d'un avion de la Camair à Youpwoué (Douala) en 1994, qui voyaient quand même leur président décréter trois jours de deuil national en la mémoire de Mr Hitzak Rabin, le Premier Ministre israélien assassiné dans son pays.
Pourtant, vous avez fait montre d’un courage remarquable quand il s’agissait de prendre position en faveur de la libération réelle des peuples africains, de l’emprise de la France, par votre refus de renouveler les accords de dupe passés avec ce « colonisateur » à la veille des indépendances.
De même avez-vous été le timonier du panafricanisme dans la lutte pour l’abolition du franc Cfa, qui étrangle les économies de 14 pays de la sous-région Afrique francophone, combat pour lequel vous semblez vous tenir à la périphérie en ce moment, à l’heure même où vous n’auriez rien à perdre, en dehors de cette gloire à laquelle vous tournez le dos.
Faites encore preuve de Grandeur, d’Humilité et Sagesse. Utilisez aussi la même sagesse pour résoudre une crise qui oppose vos compatriotes aux institutions de leur pays. Adressez-vous à nos frères le 19 mai prochain. Tout homme veut se sentir important, nous a appris Dale Carnegie. Allez-vous laisser assombrir tout le bien que vous avez accompli pour ce pays, en ne laissant plus retenir de vous que les manquements et leurs tristes conséquences ?
Quelle image de vous-même léguez-vous aux Camerounais ? Est-ce celle d’un homme qui s’est donné pour devise : « après moi le déluge », ou celle de celui qui s’est battu de tout son être pour léguer un pays prospère et paisible à la postérité ?
J’ai la ferme conviction que NON. Pour le Cameroun, vous êtes et serez toujours un Immortel ! Aucune mémoire, même celle de vos adversaires politiques de mauvaise foi, n’oubliera jamais entre autres votre doigté pour la résolution pacifique du conflit de Bakassi et que vous êtes l’homme qui a apporté la Démocratie et dont l’enracinement se poursuit au Cameroun. On n’oublie pas vos efforts actuels pour l’effectivité de la décentralisation avec la mise en place en cours des conseils régionaux.
Je pense sincèrement que l’affirmation qui veut que les meilleures victoires soient celles que l’on remporte sur soi-même s’impose à vous dans le contexte actuel. Vous avez certainement besoin de vous surpasser, de vous emparer de cette Incontournable humilité, afin d’y puiser le courage nécessaire et amnistier vos enfants coupables d’actes criminels dans les deux régions en crises, puis rendre visite à ceux qui vous regardent, la mine patibulaire, les yeux transformés en fleuves de larmes. Loin de ruiner votre réputation, une telle démarche vous grandirait encore davantage, de mon avis. Vous avez franchement besoin de dépasser toutes les considérations possibles pour donner toutes ses chances à la réconciliation et à cette paix que vous avez revendiquée tout au long de votre règne dans ce pays. Vous la lui devez, vous devez cette paix à ce peuple qui a toujours cru en vous, malgré les multiples signaux d’un profond désenchantement qui ne l’a jamais épargné.
Vous pouvez vous rendre à Limbé, Buea, à Bakassi, à Ndu, à Batibo, Bamenda…, avec la certitude d’être suffisamment protégé comme toujours et accueilli en héros par des frondeurs, qui seraient pris de court dans un tel acte. Ils se verraient donc gratifiés d’une prise en considération, laquelle pourrait les émouvoir. Cela pourrait être de l’eau versée dans les flammes de colère qui les brûlent, autant qu’il imposerait une halte au bain de sang en cours. Ce serait également votre sortie de la bulle qui fait de vous un étranger parmi les siens, pour un rapprochement salutaire qui restera à jamais gravé dans toutes les mémoires, comme l’ultime solution à la crise la plus sanglante de l’histoire de notre pays, après les massacres que les Français lui infligèrent pendant la guerre d’indépendance.
Monsieur le Président,
Je ne peux pas prétendre à plus de clairvoyance, que vous qui tenez sous votre contrôle tous les services de renseignement du pays qui nécessitent un réaménagement, et êtes entouré des meilleurs penseurs déclarés comme tels. Je me félicite toutefois d’avoir pu vous présenter un avis que vous semblez ne pas prendre en compte. Je crois avoir été ce miroir qui vous manque tant, parce qu’autrui demeurera toujours et d’abord l’indispensable médiateur entre moi et moi-même. Votre compatriote. »