C’est entre autres, ce qui ressort de l’entretien que le responsable de la Mission de Sainteté a accordé à ACP, après une tournée pastorale qui l’a conduit dans plusieurs Localités du Grand Nord
- Vous revenez des Régions Septentrionales. Qu’êtes vous allé faire là bas ?
Disons que le but de ma tournée dans le Grand Nord était d’abord de visiter les différentes communautés que nous avons dans l’Adamaoua, à Kousseri, en passant par Yagoua mais aussi dans l’Arrondissement de Kaî Kaî. Il était donc question de toucher certaines réalités du doigt, surtout en ce qui concerne les problèmes d’eau, les pensions pour certains enfants qui ne peuvent pas aller à l’école, la distribution des vêtements. Bref, nous nous sommes attelés à combler les besoins de nos Frères et Sœurs qui vivent de ce côté.
- Pendant votre séjour dans ces contrées, vous avez partagé la vidéo d’un Centre de Santé avec cette maternité qui a un lit qui sort du commun
En effet. Le Centre de santé se trouve dans le village de Zerham, Arrondissement de Lagdo. Il se trouve qu’après une visite dans le village et une rencontre avec le Chef, pour connaître les besoins des populations, je me suis rendu dans une jeune communauté pour voir le problème d’eau ; c’est ensuite qu’avec un ami, je me suis rendu dans le Centre de Santé Intégré dont vous avez vu les images sur les réseaux sociaux…
- Que s’est – il passé ?
L’infirmière qui nous a reçu a donc posé un certain nombre de problèmes, parmi lesquels celui de la disponibilité ou de l’accès à l’eau potable. Elle nous a fait part des difficultés qu’elle a d’en trouver et pourtant, elle reçoit des malades au quotidien ; C’est au moment où nous étions entrain de nous séparer que je lui ai posé la question de savoir s’il y’avait une maternité. Elle a dit oui, en précisant qu’elle fait accoucher environ dix huit femmes par mois…
Vous savez, dans le Grand Nord en général, neuf femmes et demie sur dix, accouchent à la maison donc, quand elle nous dit qu’elle fait accoucher dix huit femmes par mois, multipliez le nombre par dix environ, ça fait qu’il y’a environ cent cinquante (150) à cent quatre vingt (180) accouchements par mois, dans certains villages du Grand Nord.
C’est ainsi que j’ai voulu visité cette maternité et, grande a été ma surprise de voir ce qu’on nomme pompeusement Maternité ; Un lit en bambous, fabriqué peut être par les gens du village ; je dis en passant qu’il m’est arrivé, pendant mon séjour dans ce village de dormir sur ce genre de lit, je n’ai pas pu supporter, tellement la douleur était atroce et, j’ai choisi de dormir à même le sol…
- Quand vous avez vu le lit, quel a été vote sentiment ?
Je me suis posé de nombreuses questions. Une femme qui accouche et qui doit, en plus des douleurs de l’enfantement, supporter cette autre, comment elle peut supporter ? C’est en fait, ce qui m’a donné envie de faire cette petite vidéo qui est devenue virale. J’ai vu ces tâches de sang, j’ai vu ces sceaux et j’ai eu l’impression de revenir en arrière et d’être renvoyé à la période de l’Antiquité ; Je me suis posé la question de savoir si nous étions toujours au Cameroun ou alors, dans un pays qui a existé à la période pharaonique ; malheureusement, c’était la réalité que je touchais du doigt.
- Avez – vous des nouvelles de la Sage Femme ?
J’ai causé avec elle au moins dix fois depuis notre séparation ; Elle a reçu beaucoup de menaces lorsqu’elle nous a fait voir cette maternité. Son Chef de District qui lui a finalement donné un matelas, lui a dit qu’il ne fallait pas qu’elle ouvre les portes, qu’elle montre le Centre de Santé. Les mêmes reproches lui ont été faits par le chef du village et de nombreuses autres personnes. Pendant près de dix jours, ça été un ballet infernal mais, elle est restée calme ; même comme j’ai appris qu’elle pourrait être sanctionnée, pour avoir dit la vérité.
- A votre niveau, que pensez – vous faire ?
Nous allons l’encourager de temps en temps, à notre petit niveau, parce qu’il est inadmissible de voir dans quelles conditions cette Sage Femme travaille. Ce qui nous a marqué, c’est qu’elle fait son travail avec beaucoup de dévotion, tellement engagée, tellement fière de travailler. Nous pensons qu’elle a juste saisi cette occasion, afin d’exprimer des doléances
- Vous avez aussi montré quelques établissements scolaires
J’ai fait un tour dans une école où le directeur a installé son bureau sous un arbre, depuis environ cinq ans. Les enfants sont casés sous des paillotes. Pendant que nous échangions, il m’a fait part d’un projet qui avait été entièrement financé, il y’a un peu plus de deux ans aujourd’hui…
Je m’avance peut être trop en le disant, mais je suis certain que ceux qui ont donné les fonds pour la réalisation de ce projet se disent qu’il a été fait dans le respect du cahier de charge. Et pourtant, c’est tout le contraire ; On aurait pu avoir une ou deux salles de classe, un bureau pour le directeur, des toilettes. Quand il pleut, l’école s’arrête ou alors tous trouvent refuge quelque part et, en saison sèche, ils subissent l’ardeur des rayons de soleil.
- Est-ce la seule que vous avez visitée ?
J’ai aussi échangé avec un autre directeur qui lui, ne dispose même pas d’un bureau. Il est en plein air. J’ai pu voir des enfants qui s’asseyent presqu’à même le sol. En fait, ils sont sur des troncs d’arbre, il n’ ya pas de salles de classe. L’école maternelle a deux, voire trois branches d’arbre que j’ai d’ailleurs filmé. Les enfants se retrouvent chez le Chef, qui a fait montre de miséricorde pour les accueillir dans l’une de ses cases.
- Vous avez fait allusion plus haut, du problème d’accès à l’eau potable
Un grand village comme Zerham, qui compte environ neuf mille habitants, ne possède que trois forages et, un seul était fonctionnel. A « Kana Pete », vous avez un forage pour environ cinq mille habitants. Les enfants vont puiser de l’eau à environ un kilomètre de là. Et comme dans toutes les localités où se posent le problème de l’accès à l’eau, les habitants souffrent des maladies hydriques.
- Est-ce le seul problème qui se pose de ce côté ?
Vous savez, je vais souvent dans le Grand Nord que je connais très bien, peut être mieux que le Sud, parce que j’y suis au moins deux fois par an. Nous avons engagé beaucoup de choses là bas, avec nos petits moyens. La paupérisation est peut être due à la sous scolarisation, les conditions climatiques qui sont très difficiles. Dans certaines parties du Grand Nord, vous avez trois mois de saison de pluie seulement et neuf mois de saison sèche.
Tenez vous tranquille, lorsqu’il fait chaud là bas, il vous est difficile de trouver un seul point d’eau et, certains sont des agriculteurs ; ce qui fait que lorsque ces trois mois de pluie sont ratés, il est presqu’impossible de se rattraper, le sol étant très dur. L’autre réalité là bas, c’est l’insécurité qui peut être une cause de paupérisation. Vous avez quelques éleveurs qui voient souvent leurs bétails arrachés par les Bororos et, qui n’obtiennent pas toujours gain de cause lorsqu’ils se retrouvent au niveau de la Gendarmerie…
Ils sont ainsi obligés d’abandonner leurs terres, parce que c’est un moyen de subsistance mais aussi, une source de revenus qui permet aux Populations de subvenir à leurs besoins, dont celui lié à la scolarisation des enfants. Il y’a par ailleurs le fait que dans certains villages, on a l’impression que les habitants sont abandonnés par les autorités, surtout par les élites. Ces dernières ne semblent se préoccuper que de leurs maisons ou de leur environnement immédiat sans considérer tous ceux qui sont autour d’eux.
- Pouvez – vous nous parler du Pont abandonné que nous voyons sur vos vidéos ?
C’est vrai que cela m’a surpris mais, c’est un Pont qui se trouve dans le village de « Pouss » ; il s’agit d’un grand village, d’une vingtaine d’habitants, un peu plus peut être qui est situé dans l’Arrondissement de Maga – Département du Mayo Danay. Alors, il y’a ce Pont de huit cent mètres environ, qui devait relier « Pouss à Dorossou » ; un raccourci qui devait permettre d’arriver dans le prochain Arrondissement qui est Yagoua. Chose impossible aujourd’hui, puisque la construction du Pont a été abandonnée et actuellement, les gens doivent payer cinq cent francs (500) Cfa pour traverser et faire un grand contour de 350 à 400 Km: Yagoua – Maroua avant d’arriver à Dorossou.
Le Pont est abandonné depuis deux ans déjà et, on n’imagine pas le nombre de milliards engloutis dans ce projet ; à moins que les voyageurs ne choisissent de prendre la pirogue, et de traverser le Lac Maga. Ce qui est très dangereux parce que si mes souvenirs sont bons, il y’a des centaines d’hippopotames qui parfois, tuent les Populations.
- Avez – vous pu avoir les raisons qui ont entraîné l’abandon de ce chantier ?
Vous savez au Cameroun, quand il y’a un chantier abandonné comme cela, surtout dans le Grand Nord, plusieurs salles de classe sont abandonnées. Si je prends le cas de Dorossou, j’évoque ça en passant, le Centre de Santé Intégré, il y’a un grand bâtiment qui a été abandonné et, je rappelle en passant que nous avons soutenu ce dernier, à hauteur de quatre cent mille (400) par an, pendant dix ans. On envoyait chaque mois, des médicaments, d’une valeur inestimable. Il nous a été dit que ce Pont, pour revenir sur ce point, a été financé mais, les gens ont utilisé l’argent à leurs propres fins.
- Votre mot de fin
C’est un souhait, en fait. Nous avons pris l’engagement d’offrir trois forages au Grand Nord et, l’année prochaine, nous envisageons construire une chapelle à Kousseri. Nous pouvons nous réjouir d’avoir contribué à la scolarité des enfants, soutenu des familles et, nous pensons que plus nous irons dans le Grand Nord, plus le Seigneur va susciter des moyens qui vont nous permettre, à notre petit niveau, d’aider les Populations. Je pense enfin qu’on n’a pas besoin d’être un homme politique, pour contribuer au développement de notre pays, nous apportons notre modeste contribution lorsque cela est possible.
Entretien mené par Nicole Ricci Minyem