Le 1er Vice président du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), Mamadou Mota, et d’autres prisonniers impliqués dans les grèves de la prison de Kondengui ont comparu ce mardi devant les juges du tribunal d’Ekounou. Une comparution exceptionnelle selon Me Simh.
Ce mardi 13 Août 2019, la rue qui menait devant le tribunal d’Ekounou était pratiquement barrée, la circulation fortement perturbée, et des gendarmes cagoulés environnant les alentours du palais de justice. « La raison ? On doit y juger des prisonniers présumés impliqués dans les revendications, qualifiées de mutinerie, du 22 juillet dernier. Parmi eux, essentiellement, des prisonniers de la crise anglophone et les militants du MRC. » fais savoir Me Simh.
A l’arrivée de la fourgonnette qui transporte les prisonniers, les forces de l’ordre sont sur le qui-vive. Les agents sont aux aguets. Les bagnards vont descendre les uns menottées aux autres. Ils sont installés dans la salle du tribunal. « On distingue parmi ceux-ci Mamadou Mota, Premier vice-président du MRC. Son bras gauche porte un plâtre, et son bras droit est entravé par des menottes partagées avec un autre infortuné. Sa tête est à moitié rasée, une large et fraîche cicatrice, issue d'une blessure suturée, est visible même de loin. » Rapporte l’avocat du MRC.
Il poursuit, « vers douze heures, retentit la sonnerie annonçant l'entrée du Président du Tribunal. Il s'installe et demande à son greffier d'appeler la seule affaire inscrite. Les détenus, une vingtaine, défilent devant la barre. Après qu'ils soient identifiés, lecture leur est faite des faits mis à leur charge. Tous nient les faits.
Lorsque Mamadou Mota entre dans le box des accusés, vêtu d'une chemise blanche et d'un pantalon jeans, une barbe non rasée visiblement depuis son exfiltration de la prison pour le désormais célèbre SED, cet endroit réputé être devenu un haut lieu de torture, la salle plongé dans le silence. Comme aux autres avant lui, il est poursuivi pour "rébellion en groupe, tentative d'évasion en coaction, destruction en coaction, vol des effets d'anciens ministres, blessures simples".»
Sur l’autorisation du président du Tribunal, son propos est le suivant :
« Monsieur le Président du Tribunal, la personne qui comparaît devant vous est un ingénieur agronome. Je puis vous dire que ma présence ici n'est autre qu'un acharnement politique. Mon crime est d’être dans l'opposition et de critiquer le régime. Mais mon plus grand crime c'est surtout d'avoir fait des études. Vous voyez ce bras plâtré et cette tête cassée. Ce ne sont pas des bandits qui m'ont agressé, mais des gendarmes qui méthodiquement, froidement, avec une violence et une rage folles, m'ont causé ces blessures, et ce ne sont pas les seules.
En me frappant, ils disaient que cela m'apprendra à être opposant et à jouer à l'intellectuel, au lieu de me contenter d'être un petit gardien des maisons de leurs patrons. N'est-ce pas le sort d'un petit nordiste comme moi? Que les femmes présentes dans la salle me pardonnent, mais vous devez savoir. Un gendarme m'a carrément dit « Mamadou Mota, le gros c.. de ta mère ». Nous avons tous une mère, et des filles qui demain seront des mères. Que venait faire ma mère dans cette histoire ? Me torturer à mort ne leur suffisait-il pas ? Ils m'ont fait dormir trois nuits au sol, sans mes habits qu'ils avaient pris le soin de déchirer, me privant pendant cette période de nourriture. Je suis un vrai miraculé.
C'est pour cela que devant vous j'espère avoir droit à la justice. Car je n'ai commis aucun crime. J'avais été appelé ce 22 juillet pour calmer les protestataires. Ce que j'ai fait. Et alors que je dormais déjà, en pleine nuit, ils sont venus me sortir de la cellule, et dès la Cour intérieure de la prison, c'est des gardiens de prison qui ont entrepris de me molester. Je ne suis donc coupable de rien. Par ailleurs, je ne suis pas en état d'être jugé maintenant. L'urgence c'est de recouvrer ma santé. »
Tout comme ses prédécesseurs, il plaidera non coupable face à ces chefs d’accusations. Et pour finir son récit, Me Sihm dit retenir ces propos du 1er vice président tenu devant le juge d’instructions quelques semaines plus tôt : « Le Cameroun ayant ratifié des conventions internationales qui interdisent aux Tribunaux militaires de juger les civils, me traduire devant ce Tribunal Militaire est une insulte à la justice et une entrave à la démocratisation du Cameroun.
Donc je vous exhorte vous-même à reconnaître votre incompétence et éventuellement à requalifier les faits, si tant il est que exercer un droit constitutionnel est devenu un crime dans ce pays.»
Stéphane NZESSEU