Alors que les combats entre les séparatistes et l'armée ne sont pas au point mort, 6.000 exilés de la crise anglophone ont déjà regagné leur village. Un retour obligé dans un contexte dominé par la peur d'être contaminés au coronavirus et qui les plonge dans la misère.
Depuis la survenue de la pandémie de Covid-19 au Cameroun, avec plus de 1621 cas confirmés, et 56 décès en date du lundi, 27 avril 2020, la situation devient de plus en plus rude pour les populations traumatisées par la guerre et qui sont totalement démunies.
Aux problèmes de santé, d'éducation, de nutrition et d'hébergement, ces déplacés de la crise socio-politique dans le Nord-ouest et le Sud-ouest du Cameroun, font désormais face à la peur de la contamination.
Du coup, la survie devient une équation difficile à résoudre car les activités menées (petits métiers) sont en berne du fait des mesures de restriction imposées par le Gouvernement dans sa stratégie de lutte contre le coronavirus.
Parmi ces mesures, l'on cite, le port obligatoire de masque, la fermeture des frontières terrestres, aériennes et maritimes, l'interdiction de rassemblement de plus de 50 personnes, l'interdiction de surcharge dans les taxis et sur les mototaxis, la fermeture des bars et lieux de loisir dès 18 heures etc.
La peur s'installe
"Ça me fait peur. Ici, les déplacés vendent des aubergines, des œufs bouillis, des arachides (...). Ils se promènent dans les rues, touchent de l'argent, rencontrent des gens. Ils rentrent en soirée et dorment serrés les uns contre les autres, faute de matelas et d'espaces. Si une personne est contaminée par le coronavirus dans cette maison, ça sera catastrophe pour nous", frisonne Joseph Mofor qui hébergeait 130 déplacés internes.
Le chef traditionnel a bien un temps interdit ce commerce ambulant, cependant, la "famine a explosé" et celui que les déplacés surnomment affectueusement "papa" a été obligé de lever l'interdiction.
Célestine Ngong âgée de 24 ans pour sa part lâche, "on a peur d'attraper le coronavirus. Mais, c'est ça ou mourir de faim à la maison". Elle a "fui les balles" dans son Nord-ouest natal. Comme Célestine, Rafiatou Foyeh accompagnée de ses deux filles, sort chaque jour avec sa bassine pleine de bouteilles de bière traditionnelle à base de maïs sur la tête.
Ce qui frappe a priori à l'œil, c'est que toutes trois, sont protégées de masques en tissus, moins chers que les chirurgicaux, mais fabriqués le plus souvent hors des normes sanitaires. Elles arpentent tous les jours, les rues de Bonabéri, quartier de l'ouest de Douala, qui accueille une forte population de déplacés.
La misère s'installe
A en croire les propos d'Esther Imam, "pris entre le feu des armes et la misère de la pandémie", les déplacés anglophones sont plus exposés au Covid-19 que la population en générale.
"Ils n'ont pas de revenus. Certains n'ont pas de maison. D'autres n'ont pas de quoi manger et celles et ceux qui se débrouillaient avant la crise n'y arrivent plus. Nous sommes dans un contexte de confinement, de restriction. Mais le virus de la faim est pire que le coronavirus", relève la directrice exécutive de l'ONG Reach Out, qui vole au secours des déplacés dans les régions francophones et à ceux qui sont cachés dans les forêts.
Elle ajoute par ailleurs, certains n'ont pas d'argent pour acheter de l'eau potable, du savon, du gel hydroalcoolique ou des masques, autant de "facteurs qui facilitent la contagion".
Des milliers de déplacés ont préféré retourner dans leur village pourtant toujours en guerre, malgré l'appel au cessez-le-feu de l'ONU, en cette période de pandémie. "Beaucoup sont rentrés avec les enfants parce qu'il n'y a plus d'activité. Pour eux, c'était aussi une manière de s'éloigner des centres où l'épidémie a commencé à sévir, notamment à Yaoundé et à Douala", explique Modibo Traoré, le directeur du Bureau de coordination des affaires humanitaires de l'ONU (Ocha) qui précise qu'entre 5.000 et 6.000 personnes sont revenus dans la seule région du Nord-ouest les jours qui ont suivi la fermeture des écoles, le 17 mars. Depuis le mouvement retour se poursuit. Les deux régions anglophones enregistrent déjà des cas confirmés au Covid-19.
D'après les ONG internationales, plus de 3.000 personnes ont été tuées dans la crise anglophone. Selon les Nations unies, 700.000 ont abandonné leurs maisons pour se réfugier dans les forêts environnantes et les régions comme l'Ouest, le Centre et le Littoral.
Innocent D H