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Opinion : Michel Biem Tong écrit à la communauté internationale au sujet de la crise anglophone

mardi, 11 juin 2019 10:56 Mfoungo

A l'occasion de son retour sur les réseaux sociaux, après six mois de silence, le journaliste engagé dans un combat pour la défense des Droits de l'Homme, arrêté en octobre 2018 pour "apologie au terrorisme", a adressé un message à la communauté internationale. Message dans lequel il revient sur l'histoire à la genèse de la crise anglophone et propose aux organismes internationaux, des pistes pour dénicher la source de ce problème. L'intégralité de la lettre : 

 

CRISE ANGLOPHONE/LETTRE OUVERTE A LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE

 

Monsieur le Secrétaire général des Nations Unies, 
Chers membres du Conseil de sécurité des Nations Unies, 
Monsieur le président des Etats-Unis, 
Monsieur le Président de la République de France, 
Monsieur le Premier Ministre de Grande Bretagne,
Monsieur le président de la République populaire de Chine, 
Monsieur le président de la Fédération de Russie,
Madame la secrétaire générale de la Francophonie,
Madame la secrétaire générale du Commonwealth,

 

Permettez-moi, avant toute chose, de me présenter. Michel Biem Tong est mon nom. Je suis un web-journaliste camerounais et cyber-militant des droits de l’homme. Pour m’être interessé au problème anglophone du Cameroun entre autres, j’ai été en prison pendant près de deux mois et j’en suis sorti le 14 décembre 2018. Aujourd’hui, je suis contraint de vivre en exil parce que persécuté par les autorités de mon pays. Je ne me suis pas investi dans cette question par intérêt, par sympathie pour un groupe quelconque ou pour épouser quelqu’idéologie que ce soit. Je me suis intéressé à ce problème non seulement parce que j’en avais marre de voir des populations malmenées, torturées et massacrées au quotidien, mais aussi parce qu’en tant que responsable de www.hurinews.com, journal en ligne spécialisé dans l’actualité des droits de l’homme, j’ai sacrifié à un devoir : celui de promouvoir le droit de chaque peuple à disposer de lui-même. C’est ce droit que les ressortissants du Cameroun anglophone…je dis bien le Cameroun anglophone, revendique.

 

Mesdames et Messieurs

Les Anglophones au Cameroun sont accusés de soutenir la sécession, de vouloir faire sécession. Sécession, sécessionnistes sont les termes qui désormais meublent le vocabulaire politique au Cameroun. Aucun Etat au monde ne peut accepter l’amputation d’une partie de son territoire. C’est vrai. Moi non plus, je ne saurais encourager un projet sécessionniste. Mais dans le cas du Cameroun, je me demande très souvent de quoi on parle. La Corse n’est pas un ex-territoire sous tutelle des Nations Unies, la France fait donc face aux revendications sécessionnistes. La Catalogne n’est pas un ex-territoire sous-tutelle des Nations Unies, alors l’Espagne fait face à la montée des revendications sécessionnistes. La Casamance n’est-pas un ex-territoire sous-tutelle des Nations Unies, alors les autorités du Sénégal sont fondées de parler de sécession. Mais dans le cas du Cameroun, la réalité est tout autre, car le Cameroun anglophone est un ex-territoire sous tutelle des Nations Unies et nous connaissons tous le but de la tutelle selon la Charte des Nations Unies.

Si le Cameroun anglophone est aujourd’hui à feu et à sang, c’est simplement parce qu’on refuse, pour des raisons que j’ignore, de s’attaquer aux causes réelles du problème. Le Cameroun actuel, du moins tel qu’on le connaît sous sa forme territoriale, est comme cette maison bâtie sur du sable et avec du sable. J’entends par sable ici le mensonge, l’escroquerie politique, la répression, le non-respect des textes internationaux.

 

Mesdames et messieurs

Si ça brûle aujourd’hui dans le Cameroun anglophone (jadis appelé British Southern Cameroons), c’est parce qu’on refuse de regarder la réalité en face. Et la réalité, difficile à avaler certes, est qu’il a existé deux Etats du Cameroun : La République du Cameroun d’un côté et British Southern Cameroons de l’autre. Le premier a obtenu son indépendance le 1er janvier 1960 et a été admis aux Nations Unies le 20 septembre 1960, le second a eu la sienne le 1er octobre 1961 quoiqu’ayant choisi quelques mois plus tôt de traduire cette indépendance par un rattachement au Cameroun. Les deux régions anglophones du Cameroun sont donc à la base un Etat indépendant et souverain.

Si ça brûle au Cameroun anglophone aujourd’hui, c’est simplement parce que la République du Cameroun, celle qui a eu son indépendance le 1er janvier 1960 n’a pas respecté ses engagements en tant que membre des Nations Unies depuis le 20 septembre 1960 notamment le principe de droit international du respect des frontières héritées de la colonisation. Oui, la frontière entre les deux Camerouns existe toujours depuis les accords Simon-Milner de 1917 entérinés par le Traité de Versailles du 28 juillet 1919. Les bornes plantées par l’ONU pour matérialiser cette frontière existent toujours. Preuve que cette frontière n’a jamais été abolie.

Le conflit anglophone résulte aussi du non-respect de la Charte des Nations Unies en son article 76 (b) qui dispose que le but de la tutelle est de : « favoriser le progrès politique, économique et social des populations des territoires sous tutelle ainsi que le développement de leur instruction; favoriser également leur évolution progressive vers la capacité à s'administrer eux-mêmes ou l'indépendance (et non indépendance en se joignant à… ». Or les deux régions anglophones du Cameroun formaient le British Southern Cameroons, un territoire sous tutelle des Nations Unies, c’est-à-dire d’après la Charte de l’ONU, disposé à être Etat indépendant. D’où vient-il, qu’au nez et à la barbe de la communauté internationale, l’Etat indépendant qu’on attend devient régions d’un autre Etat indépendant ?

 

Mesdames et Messieurs,

Que doit-on finalement comprendre ? En votant pour le rattachement avec la République du Cameroun lors du plébiscite du 11 février 1961, le Southern Cameroons a choisi de lui céder son territoire, son droit de disposer de lui-même en tant que peuple ou alors de se rattacher à elle en tant qu’Etat indépendant et souverain au même titre que sa voisine ? C’est parce que cette question est restée en suspens que la République du Cameroun a conquis ce territoire, soumis ses populations et ses dirigeants démocratiquement élus à ses lois y compris par la force (comme ce fut le cas au soir du référendum du 20 mai 1972), aboli ses institutions. Le rattachement prescrit dans la résolution onusienne 1608 du 21 avril 1961 s’est muée en une volonté des dirigeants de la République du Cameroun de conquérir ce territoire car lors de la conférence de Foumban du 17 au 22 juillet 1961, il n’a nullement été question d’un traité matérialisant la Réunification de deux Etats, mais du projet de loi modifiant la Constitution de la République du Cameroun pour une République fédérale. En un mot, des autorités d’un Etat élaborent un projet de loi et invitent les dirigeants élus d’un territoire voisin à en discuter. C’est de l’inédit !

 

Mesdames et messieurs

Les autorités du Cameroun ont souvent l’habitude de dire : « la forme de l’Etat est non-négociable », « le Cameroun est un et indivisible ». Et moi-même, dans les multiples chefs d’accusation qui m’ont été collé sur le dos par le Tribunal militaire de Yaoundé, figurait apologie de la sécession. Si ce procès avait eu lieu, j’aurais demandé à la cour : « qui est ‘sécessionniste’, le pouvoir de Yaoundé qui a organisé le 1er janvier 2010, le cinquantenaire de l’indépendance du Cameroun francophone (partie anglophone exclue) ou alors moi qui ne fait que rappeler cet état de fait en tant que journaliste » ? J’aurais également demandé à cette Cour : « Paul Biya est-il donc sécessionniste en accueillant, un certain 31 décembre 2009, des émissaires de l’ONU venus lui présenter deux cartes : l’une de la République du Cameroun et l’autre du Southern Cameroons ? Ces émissaires de l’ONU dont faisait partie le camerounais Jean Victor Nkolo sont-ils aussi des sécessionnistes en présentant 2 cartes d’un pays ‘un et indivisible’ à son chef d’Etat, en plein palais de l’Unité ? En voilà qui prouve à suffisance que malgré les apparences, le Cameroun forme deux territoires, deux Etats.

 

Mesdames et Messieurs,

La crise anglophone est comme ce cancer qui nécessite non pas des paracétamol mais une thérapie de choc quitte à ce que le malade crie de douleur. Nous savons tous que les autorités camerounaises et leurs partenaires bilatéraux et multilatéraux disent être attachés à « l’unité et à l’intégrité du territoire camerounais ». Or, comme nous l’avons vu plus haut, cette unité est davantage politique, voire géopolitique que juridique. Pourtant, c’est d’une unité juridique que nous avons besoin pour sauver cette maison appelée Cameroun faite de sable et sur du sable qui, progressivement, s’effondre. Pour calmer les tensions qui sont de plus en plus vives, la seule solution, d’ailleurs à portée de main, c’est : -la reconnaissance de la frontière qui jusqu’à l’heure actuelle sépare les deux Cameroun, - reconnaître qu’au lieu de régions anglophones du Cameroun, on aurait dû avoir affaire à un Etat indépendant et souverain depuis le 1er octobre 1961.

 

Il est donc temps de corriger les erreurs du passé en rétablissant simplement le peuple du Cameroun anglophone dans sa souveraineté telle qu’elle aurait dû être proclamée le 1er octobre 1961. Pour le pouvoir de Yaoundé et pour beaucoup de Camerounais francophones (y compris moi-même), ça fera sans doute mal. Mais si cette souffrance peut épargner à de millions de personnes d’autres souffrances qui s’étaleront sur des dizaines d’années, pourquoi ne pas y aller ? Car il s’agit d’un peuple qui a tout perdu : son parlement, son Premier Ministère, son House of Chief (une espèce de Sénat), son système judiciaire, etc. Son système démocratique avant le 1er octobre 1961, fut l’un des meilleurs en Afrique noire. Jamais dans cette partie du continent, on avait vu le candidat d’un parti d’opposition remporter des élections législatives (1959) face à celui du parti au pouvoir, malgré l’usage par ce dernier des moyens de l’Etat.

 

Ce n’est donc pas pour plus d’hôpitaux, d’écoles, de routes que les anglophones du Cameroun crient et pleurent mais pour leur fierté et leur dignité en tant que peuple réduites à néant par les intérêts géopolitiques de certaines grandes puissances. Oui, comme j’avais souvent l’habitude de l’écrire dans mes articles : « l’odeur du pétrole qui git en zone anglophone a été plus forte que le droit du peuple qui y vit, à disposer de lui-même ». Rétablir ce peuple dans ce droit, dans son histoire, serait lui rendre justice. Car comme a souvent l’habitude de dire le confrère de Radio France Internationale et compatriote Alain Foka, dans son émission « Archives d’Afrique » : « Nul n’a le droit d’effacer une page de l’histoire d’un peuple, car un peuple sans histoire, est un monde sans âme ». Comprenne qui pourra !

 

Pour terminer, j’invite les organismes internationaux de défense des droits de l’homme, notamment, le Haut-Commissariat des droits de l’homme de l’ONU, Amnesty International, Human Right Watch, à ouvrir une enquête sur les informations faisant état de la présence en zone anglophone des bandes armées parallèles à la solde du pouvoir de Yaoundé qui commettent des atrocités qui sont par la suite attribuées à la branche armée du mouvement séparatiste. Je ne le dis pas pour dédouaner cette dernière, elle aussi responsable d’avoir tué des soldats sans armes et des fonctionnaires en retraité accusés de collaborer avec l’armée. L’information sur l’existence de ces bandes armées parallèles m’a été donnée par un jeune détenu anglophone qui fut mon compagnon de cellule au secrétariat d’Etat à la défense à Yaoundé. Par ailleurs, l’opposant et fils du coin Ni John Fru Ndi en a fait état récemment dans certains médias camerounais.

 

Michel Biem Tong,

Web-journaliste camerounais en exil

 

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