L’ordre géoéconomique mondial est caractérisé par une dynamique globalo-libéralelibre-échangiste et une montée en puissance des arsenaux protectionnistes.
Le climat économique sur la scène internationale est impulsé par les deux puissances hégémoniques, en l’occurrence la Chine qui s’est érigée en chantre du libre-échange et de la mondialisation sous la présidence de XI JINPING, et les Etats-Unis d’Amérique, qui sous le magistère de Donald TRUMP développent un patriotisme économique exacerbé sur fond de protectionnisme ciblé. Ces deux mastodontes se livrent une guerre commerciale sans merci depuis le début de l’année 2018, période où le président Donald TRUMP, agacé par les excédents commerciaux de son principal challenger la Chine, décide de taxer les exportations de l’empire du milieu avec l’aluminium et l’acier comme premières cibles.
La réplique de la Chine ne se fera pas attendre. S’en suit une escalade de taxes douanières qui fait trembler les places boursières mondiales et incite le FMI et l’OMC à tirer la sonnette d’alarme. Symptôme de ce bras de fer commercial, le recul surprise du chiffre d’affaires du géant Apple, dont la croissance est au plus bas depuis 10 ans en raison de ses multiples pertes de parts de marché au profit de son concurrent Huawei. La dimension numérique de la bataille commerciale sino-américaine amène certains analystes à parler de « guerre froide numérique ». Cet affrontement commercial qui ne vise que l’accumulation de la richesse et la poursuite de la puissance n’est pas sans incidence sur les autres pôles de puissances aussi bien les pôles émergents que les pôles affirmés.
Que ce soit le Canada, le Mexique, la Russie, les pays de l’Union Européenne, ou les pays du proche et du moyen Orient, chacun y va de ses assauts tarifaires en guise de résistance ou de riposte vis-à-vis des effets de la rivalité sino-américaine. Un sondage réalisé en 2018 par HSBC sur 6033 entreprises relativement à la tendance du commerce international, ressort que la perception de protectionnisme croissant de la part des gouvernements est de 61 % au niveau mondial avant les derniers coups de Donald TRUMP contre la Chine. En dépit du fait que les formations sociales en développement usent d’un protectionnisme tarifaire pour une maturation de leur appareil de production il n’en demeure pas moins que la vitalité du commerce international est influencée par une relation économique sino-américaine conflictuelle.
La place du continent africain dans le système économique mondial travaillé par ces rivalités géoéconomiques, est d’un grand intérêt, tant il est vrai que l’Afrique est le contient d’avenir en raison du volume important de ressources stratégiques encore inexploitées dont il dispose. Il se trouve que chacune des formations sociales capitalistes veut avoir son sommet avec l’Afrique, assorti d’un partenariat économique, et certaines d’entre elles utilisent leur puissance pour imposer l’inscription du continent noir dans le paradigme du libre-échangisme. Le partenariat économique avec les pays africains est devenu pour celles-là, un instrument à la fois d’affirmation et d’accroissement de la puissance. Entre 2013 et 2017 pas moins de 32 pays africains ont signé un accord de libre-échange avec l’Union Européenne dans le cadre du partenariat UE-ACP.
Le Royaume Uni n’est pas en reste dans cette volonté d’ancrage de l’Afrique dans la mouvance globalo-libérale. L’imminente conclusion du dossier du Brexit qui mettra un terme aux accords commerciaux de Bruxelles en 2019 condamne le Royaume Uni à se trouver de nouveaux partenaires économiques avec en mire l’Afrique. La première Ministre britannique Theresa MAY a plusieurs fois témoigné l’ambition du Royaume Uni à devenir le premier investisseur et partenaire commercial des pays du G7 en Afrique d’ici 2022, sa tournée africaine en 2018 en étant une parfaite illustration.
A ce tournant néolibéral de l’Afrique, il faut ajouter l’implantation de plus en plus prononcée de la Chine dans le landernau commercial africain avec plus de 200 accords de coopération signés avec les pays africains lors du Forum de coopération sino-africain qui s’est tenu à Pékin en septembre 2018. Le vice-ministre chinois du commerce QUIAN KEMING a récemment annoncé que le rythme des échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique qui a représenté 220 milliards de dollars en 2018, s’est encore accéléré pour progresser de 3%.
Pour le chroniqueur Sébastien Le BELZIC l’Afrique est une carte majeure dans le jeu stratégique de Xi JINPING. La Chine s’appuyant sur l’Afrique pour construire une muraille face aux puissances occidentales. Il relève que la rampe africaine de la Chine sert de soupape à son économie longtemps portée par les exportations, et qui a besoin d’un relais face aux accents protectionnistes de Donald TRUMP et aux barrières européennes.
Le repositionnement de la Russie en terre africaine trente ans après son retrait économique du continent n’est pas des moindres. Lors de l’assemblée générale de la Banque Africaine d’import-export (Afreximbank) dont la Russie est le troisième actionnaire mondial, du 20 au 22 Juin à Moscou, le premier ministre Dimitri MEDVEDED a fait savoir que le commerce russe vers le continent africain a dépassé les 20 milliards de dollars en 2018, en hausse de 70% en glissement annuel. Il précise que : « cela ne suffit pas encore et des efforts plus actifs sont nécessaires ». Le Kremlin va davantage redessiner la carte de son influence commerciale sur le continent africain lors du premier sommet Russie-Afrique qui se tiendra à Sotchi les 23 et 24 octobre 2019 avec l’appui de son centre d’exportation (le REC) et celui de l’Afreximbank.
L’ambition pour le pays de l’oncle Sam d'accroître son influence en l’Afrique est aussi à souligner. En décembre dernier, le conseiller national à la sécurité, John BOLTON, a rendu public un plan de l’administration Trump intitulé « stratégie pour l’Afrique ». L’un des éléments clés de ladite stratégie est de « faire progresser le commerce américain et les relations commerciales » avec l’Afrique en créant des « accords commerciaux globaux modernes ». L’objectif ici est que les entreprises américaines trouvent de formidables opportunités d’acheter des produits moins chers et de fabriquer leurs produits à un coût inférieur à celui qui aurait été possible sans libre-échange. Avec cette démarche les Etats-Unis pourront importer des biens de faible valeur, plutôt que de les produire sur place et l’économie américaine pourra alors s’appesantir sur ce qu’elle sait le mieux produire, à savoir les biens et services à haute valeur ajoutée.
Les pays membres de l’Union Africaine ont pris la décision le 7 juillet 2019, de signer l’Accord d’une zone de libre-échange continentale qui réunit 55 pays et 1,2 milliard de consommateurs, et qui est donc le plus grand espace commercial intracontinental du monde. L’avènement de cette zone de libre-échange continentale africaine est une aubaine pour les puissances économiques car elles pourront désormais se passer de négocier des accords commerciaux avec chacun des 55 pays, ce qui est plus onéreux et plus fastidieux, mais plutôt avec un marché unique continental. Le constat est donc que le continent africain est partagé entre libre-échange intra et inter régional, conquête et positionnement des puissances.
La scène économique africaine est constituée, d’une part, d’économies de rente. Il s’agit d’économies confinées à la production et l’exportation de matières premières, en raison d’une absence d’autonomie monétaire. Autonomie vitale pouvant leur permettre d’utiliser le levier stratégique qu’est la monnaie pour mettre en mouvement les forces de production susceptible de se constituer en PMI, et se doter d’un tissu industriel pour la transformation des matières premières sur place. D’autres part cette scène économique africaine est constituée d’économies en situation d’auto-répression c’est-à-dire d’économies qui disposent du levier de souveraineté qu’est la monnaie, mais ne le mettent pas de manière suffisante et optimale au service de la production et du plein emploi. Les pesanteurs structurelles sus-évoquées, qui trouvent leur origine dans l’extraversion, l’absence de conscience géopolitique et de projet d’émancipation stratégique des Etats Africains ne les prédisposent pas à nouer des partenariats économiques porteurs de gains de productivité et de croissance avec les acteurs de la guerre commerciale internationale.
Les formations capitalistes monopolistes en pleine bataille commerciale sur la scène internationale sont au fait des problèmes structurels qui pèsent sur les économies africaines, et s’évertuent à développer des partenariats économiques avec celles-ci. Ces puissances commerciales qui se livrent une guerre par le truchement du protectionnisme ciblé, participent toutes à une construction néolibérale d'une configuration commerciale et transactionnelle qui génèrent un échange inégal avec l’Afrique et sa satellisation géoéconomique. Les pays africains ne gravitent qu’autour des métropoles capitalistes. Confinés au rôle de producteurs et fournisseurs de matières premières, les économies africaines servent aux puissances en conflit à redynamiser leurs appareils industriels et leurs exportations, ce qui est capital lorsqu’on veut mener une guerre commerciale contre ses rivaux.
La dynamique globalo-libérale construit une configuration productive et structurelle porteuse de clientélisation géopolitique du continent Africain. Les puissances industrialisées perçoivent ce continent comme un grand marché de consommation de leurs produits manufacturés. L’écoulement de leurs biens vers l’Afrique leur permet de compenser la baisse tendancielle du taux de profit de leurs industries engendrée par la guerre commerciale. L’arrivée massive des produits très compétitifs de ces puissances économiques étouffe toutes velléités d’industrialisation du continent africain et le clientélise davantage.
Les aides, dons et allègements de dette de ces acteurs du monopolisme capitaliste portent un caractère anti développemental. Ce sont des opérations qui visent à perpétuer la satellisation géoéconomique et la clientélisation géopolitique du continent noir.
Il est important de relever qu’avec les nouveaux modes d’accumulation postmodernes liés au numérique tels que l’intelligence artificielle, l’économie collaborative, qui ne sont pas en reste dans la guerre commerciale entre les puissances économiques, l’Afrique, en raison de ses retards technologiques et de ses pesanteurs structurelles sera plus que jamais enlisée à la périphérie d’un système-monde capitaliste en plein bellicisme commercial.
Si l’Afrique veut s’affirmer et peser sur l’échiquier commercial et économique international en situation de globalisation néolibérale, il importe que, premièrement, chacun de ses Etats sorte de toutes dynamiques d’extraversion, et deuxièmement, s’inscrive dans le paradigme économique keynésien de plein emploi. L’orientation politico-économique keynésienne de plein emploi consiste, pour chaque Etat disposant de la souveraineté monétaire, à booster le crédit à la production pour accroître la productivité locale, spécialiser les établissements bancaires, proximiser les réseaux de banques spécialiser et ensuite accroître les revenus des populations tout en développant les infrastructures. Ce paradigme doit être accompagné d’un protectionnisme formateur qui permettra aux réseaux d’entreprises créées, de se moderniser et de gagner en maturation pour mieux se déployer sur la scène économique mondiale et entrer en compétition avec les multinationales métropolitaines qui bénéficient des rendements d’échelle.
La solution politique la plus perspectiviste et la plus déterminante qui doit suivre celle sus-évoquée est l’approche de l’intégration du groupe de Casablanca portée par les progressistes révolutionnaires KWAME NKRUMAH et GAMAL ABDEL NASSER. Le groupe de Casablanca pensait qu’il faut unir les ressources, les efforts, les compétences et les institutions sous une direction politique commune.
L’Afrique a besoin, selon ces progressistes, d’un fondement politique commun pour l’unification de ses politiques de planification monétaire, économique, de défense et de relations diplomatiques avec l’étranger. C’est dans un cadre fédéral africain qu’une devise commune, une zone monétaire et une Banque d’émission devront être mis sur pied.
Cette perspective conduit à un Etat fédéral africain stratège, c’est-à-dire, un Etat disposant des capacités de définir une stratégie nationale orientée vers la défense de ses intérêts en termes de puissance, de rompre avec les mécanismes du dedans et du dehors liés à la dépendance, de conquérir et de défendre les ressources nécessaires à l’épanouissement et au bien-être de ses populations, et de faire preuve de conscience géopolitique en vue d’un renforcement interne pour une meilleure projection internationale.
Une telle démarche émancipatrice ne peut être empruntée qu’à la faveur de l’avènement d’une classe de leaders visionnaires, révolutionnaires et serviteurs bien conscients de ce que les questions stratégiques sont au cœur des Relations internationales. Les peuples africains sont donc, interpellés sur le choix de leurs leaders.
Olivier BILE
Chercheur en Economie Politique Internationale