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Hécatombe de la falaise de Dschang : Des familles toujours dans l'attente des corps

vendredi, 11 juin 2021 14:13 le Jour n°3436

Où est passée l’assistance publique aux accidentés ? Quid des assurances ? Les victimes se résignent, cinq mois après l’accident de circulation le plus mortel de l’histoire des Transports routiers au Cameroun.

 

Malgré son état physique qui suscite la pitié, Michel Djiotsap a une voix. Une voix tonnante et fluide, dont il abuse dans la manifestation de sa joie de vivre. La joie d’être encore vivant, de parler et même de faire des projets alors que la plupart de ceux avec qui il faisait le voyage cette nuit du 7 janvier 2021, ont depuis longtemps rejoint l’au-delà.

« Je suis l’un des élus de Dieu. A vrai dire, j’attends de connaître la mission pour laquelle le Seigneur m’a retenu en vie. Il va m’illuminer », assure-t-il, un brin fataliste. « Ça ne va pas très bien », tempère aussitôt le quadragénaire, qui a eu des brûlures à la tête, aux bras et au dos, à la jambe et au pied droits et dont certaines en cours de cicatrisation sont encore bien visibles. Sorti de l’Hôpital Régional de Bafoussam contre l’avis médical, il s’est réfugié dans son Village, Bafou dans la Menoua, où il trompe le temps en nourrissant ses porcs. Il explique qu’après 50 jours d’hospitalisation, le « personnel aimable » de cet hôpital dit de référence ne lui offrait plus rien.

« En dehors du pansement, la plupart des médicaments qu’on prescrivait devaient être achetés en officine. Du coup, je n’ai pas trop trouvé utile de continuer à rester là. La prise en charge annoncée par le gouvernement ne concernait que les remèdes vendus à la pharmacie de l’hôpital », explique celui qui se considère comme un revenant.

Il explique en effet que, évacués à six dans cet hôpital, seul lui et le chauffeur du bus, sont sortis vivants de l’épreuve. Les deux évacués à l’hôpital général de Douala sont morts ainsi que deux autres patients maintenus à Bafoussam.

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« Je n’ai retrouvé ma sensibilité qu’à 60% environ mais je ne voyais plus ce que je foutais là-bas, dès lors que je dépendais à 90% de l’extérieur », se défend-t-il. Ainsi, supposé être pris en charge par l’Etat, ces soins lui ont coûté presque 400.000F, alors qu’il est devenu inactif.

« Depuis que je suis sorti, j’ai encore fait 30 pansements, à raison de 3.500F la séance », précise-t-il. Des moyens difficiles à rassembler pour ce conducteur d’engin de chantier, propriétaire d’un garage spécialisé au lieudit Johnny Baleng, à Dschang, avant l’accident. Aujourd’hui couvert de traces de brûlures, il ne peut plus exercer. Pourtant, il a une famille à nourrir. Une épouse, six enfants et surtout sa petite fille, qui lui a beaucoup manqué.

« Pendant que j’étais à l’hôpital, le Ministre de la Santé et celui des Transports sont venus me voir pour prendre des nouvelles sur la manière dont nous étions soignés. Ils avaient demandé qu’on ne jette pas les factures payées. Depuis qu’ils sont partis, seul un psychologue est venu du ministère nous rencontrer pour discuter. En partant, il a laissé un numéro par lequel je peux l’appeler mais je ne sais pas de quoi on va discuter. Je ne l’ai donc jamais fait », témoigne-t-il.

Pas de trace de la Protection civile, encore moins des assurances. Mais la peur de mourir du coronavirus. Même les médias les auraient-oubliés, depuis qu’ils ne peuvent plus faire des témoignages à sensation.

Précarité financière

Situation quasi-identique pour Pierre René Kana, qui lui aussi vit replié chez lui, à Dschang. Le chauffeur du bus dont les passagers ont été carbonisés dans l’accident, bénéficie, pour prendre soin de ses deux femmes et douze enfants, de son salaire d’employé maintenu à l’agence Menoua voyages. Il le lui est versé, à temps normal, depuis qu’il est devenu impotent. Contrairement à l’autre survivant, ce sont les médecins qui lui ont demandé de retourner à la maison, car le mal des côtes dont il souffre est la conséquence des fractures qu’on a soignées.

« J’ai un rendez-vous à l’hôpital dans deux mois. Les résultats des examens diront s’il m’est possible de reprendre le travail », indique l’homme de 52 ans. Contrairement à son compagnon d’infortune, il avait, en tant que conducteur averti, souscrit une assurance personnelle. « J’ai confié le dossier à un expert en contentieux. Il a dit que ça avance, c’est en cours de traitement », assure-t-il.

Il ne sait rien de ce que la compagnie de transport qui l’emploie et son assureur éventuel font de leur côté. Pour le reste, il n’a reçu le soutien de personne, depuis qu’il est sorti de l’hôpital. « Même pas un coup de téléphone des autorités », nous confie l’homme, qui se félicite d’être en vie, malgré la situation vécue cette nuit de braise.

 

L’on se souvient qu’au petit matin du 7 janvier, 2021, la collision entre une camionnette transportant du carburant de contrebande et un bus de l’agence Menoua voyages parti de Douala pour Dschang, sur la falaise de Santchou, avait fait 55 morts et 28 blessés. Sur les 23 blessés conduits à l’Hôpital de district de Dschang, seuls six patients dans un état critique avaient été transférés à l’Hôpital régional de Bafoussam tandis que les autres avaient retrouvé leurs domiciles.

Après plusieurs tours à Dschang pour l’identification des cadavres et un probable retrait des corps pour inhumation, les familles des victimes sont tombées dans le découragement. Plus grave, l’information ne circule pas.

« Cette phase reste du domaine des forces de maintien de l’ordre, en collaboration avec les autorités de santé. Le travail a été fait de ce côté-là. Nous n’osons ici dévoiler tout ce qui est fait de ce côté. Je voudrais qu’on reste concentré sûr ce que nous avons à faire : la prévention et la sécurité routières », nous a confié Moussa Nfendoun, le Délégué régional des Transports pour l’Ouest.

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A l’hôpital de district de Dschang, où une partie des restes mortuaires était gardée (et l’autre à la morgue de Penka-Michel), nous avons appris qu’il y a longtemps qu’une équipe envoyée par le Gouverneur de la Région avait fait le transfert. L’identification annoncée des dépouilles aurait dépassé la technologie disponible.

Seuls cinq corps ont pu être identifiés et remis aux familles concernées pour inhumation. Et en fonction des coutumes, des parents de victimes étaient venus avec des tradipraticiens faire des rites d’exorcisme, avant de faire le « deuil de malchance ».

Certains avaient affirmé avoir identifié des corps, à travers des incantations. Mais on ne les a pas crus. « Cela ne servira plus a rien. pour moi, surtout Qu on ne reconnaît plus vraiment personne. Je ne vois pas en quoi œ sera utile que je ramasse des squelettes quelconques peut venir encombrer ma concession J’ai déjà fait le deuil de mes enfants », nous a confié dans ce sillage un chef de famille mécontent mais néanmoins inquiet du comportement des pouvoirs publics.

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Faute d’avoir pu rencontrer le Gouverneur pour savoir ce qui a été fait des restes mortuaires, nous avons élargi la brèche ouverte par le responsable local des Transports. « Le travail a été fait de Ce côté-là. Nous n’osons ici dévoiler tout ce qui est fait de ce côté », a-t-il assuré.

De sources dignes de foi, elles seraient déjà discrètement enterrées dans une fosse commune. Pendant que les victimes et les ayant-droits des morts attendent une éventuelle indemnisation et que l’accident de la route le plus meurtrier du pays entre progressivement dans le ciel de l’oubli.

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Source : le Jour n°3436

 

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