Quand les rayons des supermarchés se mettent à faire peur. Au mois de mars, deux scandales sanitaires ont éclaté presque au même moment, touchant des produits familiaux et appréciés des consommateurs : des pizzas Buitoni contaminées à l’E. coli et des chocolats Kinder contaminés à la salmonelle à l’approche de Pâques.
L’émotion a été d’autant plus vive qu’au moins deux enfants sont morts après avoir mangé une pizza. Leurs lignes de production mises à l’arrêt, les deux marques contemplent un avenir assombri et doivent désormais réagir.
La concomitance des deux scandales pourrait aussi les rendre plus difficiles à gérer, certains consommateurs « risquant de faire l’amalgame entre les deux marques », avertit Lisa Wyler, dirigeante de Lisa Wyler Communication.
Car après le rappel et avant d’envisager un retour en rayon, il faut « rétablir la confiance » des consommateurs, explique à 20 Minutes Elisabeth Laborde, experte en communication de crise et fondatrice de l’agence Elila.
Première étape selon elle, « reconnaître ses erreurs et présenter des excuses ». Nicolas Neykov, directeur général France de Ferrero, la maison mère de Kinder, s’est ainsi livré à un exercice de contrition auprès des lecteurs du Parisien.
Un média qui présente l’avantage « de parler aux consommateurs », souligne l’experte. Mais un réveil qui “arrive un peu tard”, deux mois après le début du scandale, juge Lisa Wyler. Or, “la réactivité et l’empathie sont le b.a.ba quand des gens sont malades”, martèle-t-elle.
Nestlé, la maison mère “secrète”
Côté Buitoni en revanche, c’est silence complet depuis le 30 mars, après quelques communiqués laconiques. Cette discrétion est d’ailleurs durement critiquée par les associations de consommateurs, surtout quand Buitoni propose un bon d’achat à des parents dont l’enfant est hospitalisé.
L’entreprise “est sous le coup de possibles mises en examen”, signale Sandrine Place, conseil en communication de crise dans l’agence Rep-publica, “ils ne peuvent pas tout dire car ça sera retenu contre eux au procès”.
L’argument, brandi par la marque, ne convainc pas Elisabeth Laborde, qui pointe l’absence de la maison mère Nestlé dans les communiqués. Un “choix” qui “ne traduit ni sincérité, ni empathie”, mais plutôt une"méconnaissance de ce qu’attendent les consommateurs aujourd’hui”, selon elle.
La différence d’implication des maisons mères dans ces deux scandales est criante. D’un côté, Ferrero répond à toutes les questions sur les chocolats Kinder, fait valoir son statut de marque internationale, son sérieux, sa fondation en 1946, son souci du public. De l’autre, “Nestlé a toujours eu une image d’entreprise secrète”, estime Sandrine Place, et n’en est pas à son premier scandale sanitaire.
Se renommer pour oublier ?
Mais le choix de communications si différentes interroge aussi sur la façon dont les groupes vont agir pour réparer leurs filiales. Craignent-ils des répercussions en cascade pour toutes leurs marques? “Le consommateur ne connait pas très bien comment sont structurés ces groupes », ajoute Sandrine Place, pour qui un boycott au niveau du groupe, allant de la gamme laitière à Herta, est difficilement envisageable. “Le public est trop informé”, pense au contraire Elisabeth Laborde, pour que Nestlé puisse espérer se dédouaner.
L’autre stratégie bien connue en cas de crise est qu’une entreprise change de nom. Selon elle, “la tentation peut être plus grande” pour Nestlé de rebaptiser Buitoni que pour Kinder.
“Il y a eu deux enfants morts”, un drame qui “peut leur coller à la peau”. Et ce rebranding pourrait même “être vu positivement, s’il est accompagné d’une communication pour expliquer les changements organisationnels, les nouveaux process. L’occasion d’écrire une nouvelle page”. Attention donc à ne pas faire trop “gadget” pour Buitoni, prévient Elisabeth Laborde.
Parler à ses employés
Dans un scandale sanitaire, difficile de se contenter d’un coup d’éponge pour faire repartir la machine. D’autant que certaines photos de l’usine Buitoni, partagées sur les réseaux sociaux, ont marqué les esprits et que la version de Pierre-Alexandre Teulié, directeur général de la communication de Nestlé France, selon laquelle l’usine n’avait rien à se reprocher au niveau de la réglementation, a été battue en brèche par la Dgccrf. Les autorités sanitaires « ne vont rien leur laisser passer », anticipe Sandrine Place.
De nouvelles mesures doivent donc être mises en place, puis “exposées en interne auprès des collaborateurs”, liste Elisabeth Laborde. Pour les salariés, qui n’ont plus forcément de quoi être fiers de travailler pour une marque, “c’est important de fournir des éléments de réponse”, insiste Lisa Wyler, “car ils peuvent être pris à partie dans leur vie personnelle”.
La confiance doit donc se retisser à tous les niveaux : en interne, avec les pouvoirs publics, les distributeurs puis les consommateurs, indique Sandrine Place, pour rétablir ce qu’elle appelle le “permis d’opérer”.
Savoir répondre aux enjeux
“La question soulevée par ces scandales a été celle des autocontrôles”, rappelle la spécialiste de la communication sensible. Un message entendu par Ferrero, qui a annoncé désormais faire appel à des laboratoires indépendants, ce qui répond aux conditions du plan de sortie de crise cadré par Elisabeth Laborde : “montrer que vous avez pris conscience du problème, qu’il est réglé, et qu’il ne pourra pas se reproduire”.
Et ensuite ?
Il faut être patient. “La confiance met du temps à se créer, mais se brise très vite », abondent les trois expertes de la communication. “Ce sont des marques que les gens adorent, ils ont donc des attentes encore plus fortes”, assure Lisa Wyler, vantant les mérites de la “transparence”.
“Il faut communiquer sur le savoir-faire, la sécurité” de manière régulière, ajoute Elisabeth Laborde. Bref, repenser totalement la manière de parler aux parents sur des produits destinés à leurs enfants.