Autrefois de couleur grise, les murs du quartier général de l'armée à Khartoum sont devenus une gigantesque toile pour les graffeurs, qui se sont également emparés d'autres parois de la capitale pour exprimer leur art.
Ornant les murs du QG militaire, des peintures représentent les manifestants aux poings serrés ou faisant le « V » de la victoire. Le 11 avril, après quatre mois d'une contestation populaire inédite, l'armée a renversé le président Béchir, qui régnait sans partage depuis 1989.
A proximité du siège de l'armée, devant lequel des manifestants continuent de camper jour et nuit pour réclamer l'instauration d'un pouvoir civil, des drapeaux soudanais et des portraits des leaders de la contestation ont été peints : « Même s'ils sont effacés un jour, les dessins laisseront une trace indélébile dans l'esprit des gens », affirme Lotfy Abdel Fattah, 35 ans, un artiste spécialisé dans les beaux-arts.
La chute du président Omar el-Béchir a libéré leur créativité
Au Soudan, les graffitis ont été pendant des années un art clandestin, considérés par les agents de sécurité comme un symbole de contre-pouvoir ou comme du vandalisme pur et simple, alors que s'exerçait une censure vigoureuse.
Les choses sont différentes aujourd’hui, selon Amir Saleh, interrogé par nos confrères de l’AFP. « Les gens ont apprécié nos dessins et nous avons estimé qu'il fallait commencer à peindre tous les murs. Tous ces murs étaient nus. Avec d'autres artistes, nous les avons recouverts de graffitis. Nous voulions simplement raconter l'histoire de ce qu'il se passe ici ».
Abdel Fattah dessine sur les murs de la capitale depuis plus de dix ans, malgré les difficultés et risques. Désormais, il souhaite avant tout montrer dans ses dessins le futur du Soudan, qu'il imagine radieux : « Je représente généralement le Soudan comme un pays recouvert d'une verdure luxuriante et de fleurs pour montrer qu'il a beaucoup à offrir », dit-il.
Les artistes déplorent une absence de matériel
Même si les graffeurs soudanais apprécient leur première bouffée de liberté, tous se plaignent d'un manque de matériel : « Les graffitis devraient être faits avec des bombes de peinture mais il n'y en a pas et c'est très cher à importer », explique M. Abderrahmane, qui, comme les autres, utilise de la peinture classique.
La situation économique du Soudan, confronté à un grave déficit en devises étrangères, s'est empirée au fil des années. Le mouvement de contestation pourrait fragiliser davantage l'économie, ce qui n'entame pas la détermination des artistes : « Nous voulons un Soudan plus ouvert, qui accepte l'art et promeut la liberté d'expression », dit M. Saleh.
Nicole Ricci Minyem