Avant son arrestation il y’a quelques semaines, Moncef Kartas, était chargé de trouver des réponses, face au trafic d'armes en Libye. Son incarcération tourne à l'imbroglio diplomatique, Tunis peinant à justifier la détention de cet expert bénéficiant théoriquement d'une immunité.
Les autorités de Tunis l’accusent d'espionnage, un crime passible de la peine de mort alors que les Nations unies réclament des éclaircissements : « Nous sommes très préoccupés par le fait qu'à ce jour, le gouvernement tunisien n'a fourni aucune réponse adéquate sur les raisons de cette arrestation », a indiqué mi-avril le porte-parole de l'ONU Stéphane Dujarric.
L'immunité diplomatique de M. Kartas peut être levée par le Secrétaire général de l'ONU mais uniquement sur demande de Tunis. Or la Tunisie, n'a pas fait de démarche en ce sens, selon l'ONU : « La détention de Moncef Kartas, pour des motifs fallacieux et en violation de son immunité soulève de graves questions concernant l'Etat de droit en Tunisie », ont estimé la centaine de signataires dans une pétition publiée dans des journaux européens. Soulignant au passage qu'aucun élément de preuve n'a été présenté, ils insistent sur l'éthique irréprochable du chercheur.
Les avocats tunisiens de M. Kartas ont déposé mardi une demande de libération, faisant valoir le manque d'éléments étayant les accusations portées contre lui : « L'un des principaux éléments à charge est un appareil donnant accès aux données publiques concernant les vols d'avions civils et commerciaux », a indiqué à l'AFP son avocate, Sarah Zaafrani.
« Or, cet appareil, un RTL-SDR, soumis à une autorisation en Tunisie, lui servait uniquement pour la surveillance du trafic aérien à destination de la Libye, afin d'identifier les vols susceptibles d'être liés à des violations de l'embargo sur les armes », explique-t-elle.
La défense de M. Kartas affirme par ailleurs que les questions qui lui étaient posées, lors des auditions se sont jusque là concentrées sur ses activités en lien avec la Libye, pays voisin où des camps rivaux se combattent pour le pouvoir. Une situation que l’on déplore, d’autant plus que la justice tunisienne semble décidée à garder M. Kartas en prison le temps de l'instruction, qui peut durer plusieurs mois.
Pour Wolfram Lacher, chercheur à l'Institut allemand pour les Affaires internationales et la Sécurité, et ami de M. Kartas, « C'est un dangereux précédent pour les enquêteurs de l'ONU. Cette arrestation est clairement instrumentalisée, sans qu'on puisse comprendre ce qui se passe en coulisses ».
La famille de M. Kartas déplore ne pas avoir eu de contact direct avec lui depuis son arrestation. Pour des proches, il pourrait avoir touché une corde sensible en Tunisie en cherchant à identifier les auteurs des violations de l'embargo sur les armes visant la Libye, dans le cadre de son travail pour le comité des sanctions de l'ONU : « Cette arrestation entrave le travail d'un panel de l'ONU, dont le rôle est particulièrement important actuellement, avec la reprise des combats et des informations sur des convois d'armes étrangers » déplore encore Wolfram Lacher.
Le point de vue du gouvernement tunisien
A Tunis, les autorités indiquent que Moncef Kartas est soupçonné d’espionnage, au profit des pays étrangers. Le ministère de l'Intérieur avait affirmé avoir saisi des documents secrets contenant des données détaillées sensibles ainsi que des équipements technologiques interdits, qui peuvent être utilisés pour brouiller ou intercepter des communications. Ces précisions avaient été faites, alors que le fonctionnaire des Nations Unies était déjà placé sous mandat de dépôt.
Cet incident survient au moment où la Tunisie veut obtenir un siège de représentant non permanent au Conseil de sécurité des Nations unies pour 2020-2021.
Nicole Ricci Minyem