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Réserve Foncière de Kobdombo : Lorsque les décisions administratives sont sources de tensions sociales

lundi, 09 novembre 2020 10:16 Nicole Ricci Minyem

Acculés, mis devant les faits accomplis et obligés de signer des documents dont ils ignorent les clauses, les Chefs traditionnels veulent avoir leur mot à dire, lorsque leurs terres sont retenues dans le cadre de l’implémentation des projets.

 

C’est notamment le cas de Guy Laurent Mebi – Représentant du Chef de village de Nka’a, qui, dans cet entretien, revient sur toutes les étapes que ses Parents et lui ont traversé depuis l’arrivée de la première mission ministérielle dans cette localité.  

 

-         Merci Majesté d’accepter de répondre à nos questions. Nous vous invitons à vous présenter

 Je suis Guy Laurent Mebi – représentant du Chef de village de Nka’a.

 

-         Votre village est situé à combien de kilomètres de l’arrondissement de  Kobdombo ?

 Nka’a est situé à à 45 Km de Kobdombo

 

-         Quelles sont les principales sources de revenus des populations de ce village ?

 Les populations de Nka’a vivent de l’Agriculture, de la pêche et du petit élevage. Nous avons une très grande réserve forestière dans cette localité. Nous cultivons de ce fait le plantain, le cacao, le café et le macabo.  

 

-         C’est cette réserve foncière qui est apparemment convoitée par le Gouvernement ?

 Effectivement, c’est cette réserve foncière que l’Etat veut nous prendre.

 

-         Peut – on savoir ce qui s’est passé ?

Tout commence en 2019, nous étions au mois de Décembre ; un après midi, il devait être 15h,  nous avons vu passer un pickup avec de nombreuses personnes à son bord; ce qui a attiré notre attention c’est la présence d’un gendarme dans la voiture. Alors que nous nous interrogions encore sur la destination, nous nous sommes rendu compte que le chauffeur s’est arrêté au niveau d’un bosquet situé à une certaine hauteur du centre du village… Trois jours après, nous avons nos frères qui se rendaient dans un village voisin et c’est à ce moment qu’ils ont vu une piste. Curieux, ils ont emprunté la voie et ont découvert une borne, et personne n’a su ni qui, encore moins à quel moment elle a été implantée.

Cinq jours plus tard, c’est le Délégué d’Arrondissement du ministère de l’Agriculture et du Développement Rural qui arrive ici au village, aux environs de 20h.

A peine arrivé, il me donne l’ordre de rassembler les populations ; ce que je fais séance tenante et c’est à ce moment qu’il nous fait savoir que le village Nka’a est dans l’emprise d’un projet qui sera bientôt installé par une société…

 

-         Par quelle société ?

Jusqu’à ce jour, nous ne connaissons ni le nom de la société, encore moins le type de projet qui sera implanté dans notre village, aucune information à même de nous mettre sur une quelconque piste, bref rien qui me permette à cet instant de vous donner la plus petite information. Pressé par nos questions, il a juste dit qu’il reviendra bientôt pour évaluer les champs

 

-         Sur quelle base ?

Je ne suis pas en mesure de vous en dire plus

 

-         Que s’est – il passé après le passage du représentant du Minader ?

 Nous avons reçu quelques mois plus tard, la visite d’une délégation venue du Centre pour l’Environnement et le Développement. On m’a posé la question de savoir si j’avais reçu une note signée par le Sous – Préfet et la réponse était positive. Cette note, j’ai même pris la note de la leur présenter et elle ne faisait ressortir qu’une seule information : Nka’a est dans l’emprise d’un projet qui sera bientôt implantée ici.

En plus de Nka’a, il y’a quatre autres villages concernés et une équipe sera bientôt là pour le comptage de nos champs. Je vous fais fi des commentaires ; Tantôt, c’était que nous serons délogés et le Délégué du Minader nous a formellement  interdit de créer de nouveaux  champs parce que cette réserve forestière était désormais réservée à l’Etat ou au Gouvernement, si vous préférez. Ou encore que les anciens champs ne seront pas détruits sauf si c’est un passage obligé pour les engins qui viendront ; ou encore que les plantations dans lesquelles nous semons les vivres ne seront pas dédommagées, encore moins les jeunes cacaoyères.

Comme ils travaillent avec des spécialistes, ce sont ces derniers qui vont déterminés l’âge des cacaoyers et seuls, ceux qui ont quinze ans et plus seront indemnisés. Il fallait juste que nous comprenions que le projet est imminent.      

 

-         Quelle a été votre attitude après ces annonces ?

 Nous avons bien évidement voulu en savoir plus, par rapport à la nature de la société dont il parlait,  elle fera quoi de manière concrète, quelle est la nationalité de ceux qui veulent l’implanter dans noter village, les jeunes qui n’ont plus le droit de créer de nouvelles plantations seront – ils recrutés et sur quelle base ?

En fait, nous voulions comprendre parce que comme je l’ai relevé plus haut, nous sommes des Agriculteurs, c’est de cette activité que nous tirons nos principales sources de revenus et s’il nous est interdit de la pratiquer, nous pensons avoir le droit à toutes les informations.

Malheureusement en face, nous n’avons eu droit qu’au mépris, je peux le dire ainsi. Toutes nos questions sont restées sans réponses. Nous sommes complètement perdus et, nous sommes également bloqués parce qu’incapables de travailler mais aussi profondément meurtris…

 

-         Meurtris pourquoi ?

Nous sommes natifs de ce village, nos parents, nos aïeux sont nés sur ces terres. Qu’on vienne aujourd’hui nous annoncer que nous n’avons plus droit à notre héritage, que les tombeaux de nos parents, seront détruits et que les dédommagements seront faits sur une base que seuls comprennent les responsables administratifs, cela suscite également de la colère, pas parce que nous sommes réfractaires au développement ; non, il ne s’agit pas de cela.

Juste qu’on nous traite comme des personnes de moindre importance, qu’on peut convoquer à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, leur faire lire un document pour les mettre devant un fait accompli.

Nous voulons dire que nous méritons plus de respect.

 

-         Avez – vous tenté une approche auprès des autorités administratives, à l’instar du Préfet, des élus locaux, bref des personnes ressources qui auraient été capables de mieux vous renseigner ?  

 

Bien évidement. Les Chefs de village concernés par le Projet se sont rendus auprès des autorités mais, toutes disent qu’elles ne sont au courant de rien. Nul ne sait de quel projet il s’agit, ce qui sera fait pour les populations que nous sommes, juste que les ordres viennent de Yaoundé.

Les mêmes questions ont été réitérées lors de la visite de prise de contact du Préfet et ce dernier a répondu que c’est à nous les populations de les tenir informer car à leur niveau, ils ne sont au courant de rien. Le Délégué du Minader nous avait fait signer un document cette nuit là et cela suscite beaucoup d’inquiétude. Nous avons pensé qu’il s’agissait d’une simple fiche de présence et aujourd’hui, je dois avouer que nous sommes très inquiets.

 

-         Cette fiche sera t –elle mise dans un dossier monté à leur niveau et ce document n’est-il pas un élément qu’ils vont utiliser contre nous pour dire que nous leur avons cédé nos terres, nos maisons, nos champs ?

 Pour m’inciter à signer le document, le Délégué du Minader m’a fait savoir que cette fiche a été signée par tous les chefs dont les villages sont concernés par le projet. C’est dans cette angoisse que nous nous trouvons aujourd’hui, parce que nous ne savons plus à quel niveau nous nous trouvons.

 

-         Est la même réponse qui vous a été donnée par vos élus locaux ?

 Nous n’avons qu’un conseiller municipal qui est logé à la même enseigne que nous. Il a entendu parler de l’implantation d’un projet sur nos terres au même moment que nous.

 

-         Quelles sont les dispositions qui ont été prises par vous, les populations de Nka’a, pour vous protéger d’une telle invasion ?

 Nous ne pouvons compter que sur les médias que vous êtes, ou alors sur les Ong qui étaient ici il y’a quelques mois. Nous sommes complètement perdus. Que pouvons-nous faire, lorsque les autorités viennent ici avec des gendarmes ?

C’est une manière de nous terrifier et nous faire comprendre que nous ne devons rien tenter. Depuis quelques jours, des hélicoptères  survolent au dessus de notre village en faisant plusieurs tours là où se trouve la réserve. Viennent – ils filmer ? Viennent – ils prendre des paramètres ? Que signifie la présence de ces hélicoptères chez nous ?

Qu’est ce que nous devons faire dorénavant, lorsqu’ils reviendront chez nous ? Devons nous les chasser, les accueillir ? Avons – nous besoin d’un avocat qui va défendre nos droits ? C’est sur ces points que nous sommes entrain de réfléchir.

 

Entretien réalisé par Nicole Ricci Minyem

 

 

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