La crédibilité de la Cour Pénale Internationale fait l’objet d’une analyse, peu après la décision prise par le procureur de cette chambre, d’acquitter purement et simplement l’ancien Chef de l’Etat et de l’un de ses collaborateurs. Une décision que les africains, dans leur grande majorité jugent historique.
Laurent Gbagbo est le premier ex-chef d'État qui a été jugé à la Cour pénale internationale (CPI). Il a servi de trophée de guerre, à une accusation qui s'y est pris sans avoir réuni toutes les preuves nécessaires. Or, pour une institution qui rêvait de demander des comptes aux plus puissants du monde, l'extradition de l'ancien président ivoirien vers La Haye était un signal que la CPI était prête à relever le défi.
Les fortes attentes à son égard ont rendu l'échec encore plus amer pour une accusation encore ébranlée par le dénouement de l'affaire Jean-Pierre Bemba, l'ancien vice-président de la RD Congo, dont la condamnation pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité a été, elle aussi, annulée quelques mois plus tôt.
Que nous apprend l'affaire Laurent Gbagbo sur l'état de la CPI et sa capacité à fonctionner comme un instrument de justice internationale ?
« En termes simples, il semble que les juges ne soient pas convaincus que les preuves de l'accusation soient suffisantes, pour justifier la poursuite du procès. L'année dernière, la Chambre de première instance a demandé à l'accusation un mémoire de mi-procès. Ce faisant, elle met en doute la capacité de l'accusation à prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de M. Gbagbo et de [son proche allié Charles] Blé Goudé, ainsi que le récit avancé par l'accusation concernant leur prétendu plan commun pour commettre des crimes. », explique avant l'acquittement de M. Gbagbo, Mark Kersten, auteur de Justice in Conflict.
« Chaque fois qu'une affaire concernant des atrocités de masse atterrit à la CPI, cela nuit à la perception de la Cour, en tant qu'institution crédible et efficace de la justice internationale. La CPI a besoin de victoires et elle accumule les pertes », souligne M. Kersten.
C'est important pour ceux qui ont cru à la raison d'être fondamentale de la CPI, un tribunal de dernier recours, prêt à agir lorsque les pays ne veulent pas ou ne peuvent pas engager eux-mêmes les poursuites. Ces poursuites sont coûteuses. Les preuves doivent être irréfutables, pour éviter toutes sortes de critiques.
« C'est un mécanisme auquel de nombreux pays ont adhéré. Ceux qui ne se sont pas encore engagés s'y opposent avec véhémence. Si la CPI est jugée incompétente d'une manière ou d'une autre, cela s'inscrit dans le cadre plus large du discours sur la question de savoir si c'est à chaque État nation qu'il revient de faire ce travail plutôt que de laisser la communauté internationale s'en charger…», rappelle Janet Anderson, une rédactrice de "Justice Tribune.
Que s'est-il passé ?
Environ 3.000 personnes sont mortes dans les violences post-électorales consécutives à la décision de Laurent Gbagbo de s'accrocher au pouvoir en 2010, après la victoire de son adversaire Alassane Ouattara. La Côte d'Ivoire n'était pas membre de la CPI, mais elle a accepté sa compétence. Laurent Gbagbo a été assigné à résidence pendant sept mois avant d'être extradé sans cérémonie, vers la capitale de la justice internationale. Un fait que son procès devant la CPI, tout juste sorti du placard, ne pouvait dissimuler. D’autant plus que les responsables de Human Rights Watch ne semblaient pas s’accorder par rapport aux responsabilités des uns et des autres.
À l'époque, Elise Keppler, de Human Rights Watch, s'est réjouie de son arrestation: « La CPI joue son rôle pour montrer que même ceux qui sont au plus haut niveau du pouvoir n'échappent pas à la justice lorsqu'ils sont impliqués dans des crimes graves », alors que certains de ses collaborateurs demandaient au procureur d'enquêter rapidement sur les crimes présumés commis par les alliés de M. Ouattara.
Après huit ans d'enquête en Côte d'Ivoire, nombreux sont ceux qui se demandent encore si le procureur général Fatou Bensouda tiendra sa promesse de mener des poursuites dans les deux camps : « Cela donne l'impression que la CPI n'est pas en mesure de faire son travail », dit Janet Anderson.
« Il est troublant de constater que le procureur n'a pas été en mesure de condamner efficacement des acteurs étatiques tels que le président Uhuru Kenyatta et le vice-président William Ruto du Kenya, l'ancien vice-président de la RDC, Jean-Pierre Bemba, et Laurent Gbagbo de la Côte d'Ivoire », déclare M. Kersten.
« Ce dernier revers pourrait avoir un effet dissuasif sur la réticence déjà apparente du procureur à cibler les acteurs étatiques. Nombreux sont ceux qui s'inquiètent donc du fait que la CPI est en train de devenir une institution où seuls les rebelles peuvent être poursuivis avec succès. Cela pourrait saper la crédibilité de la juridiction, vu le nombre de civils confrontés à la violence et aux atrocités commises par les dirigeants de leur pays », analyse Mark Kersten.
Un instrument de justice néocoloniale ?
L’acquittement de Laurent Gbagbo n'aura pas d'impact déstabilisateur majeur sur la CPI, mais symboliquement, il en ébranlera les fondations. La décision d'aujourd'hui démontre l'indépendance et l'impartialité des juges, tout en soulevant des questions troublantes sur le rôle et l'orientation futurs de ce phare de la justice internationale qu'est la CPI.
Mais au moins, laisser un ancien président se promener librement rend plus difficile le discours selon lequel la Cour est un instrument de justice néocoloniale, utilisé seulement contre les dirigeants africains. Comme le dit si bien Janet Andersion, « il est important aussi d'arriver à la conclusion que les gens ne sont pas coupables ou de trouver qu'il n'y a pas de motif de les poursuivre ».
Nicole Ricci Minyem