« Biya a une fois de plus le désir de biaiser le jeu »
Le projet de loi no 104/PJL/AN est truffé d'incongruités et les élus du peuple, s'ils le sont toujours, doivent pour une fois et en marge de leur chapelle politique, opposer une fin de non-recevoir à ce projet de loi. En effet, le problème ici n'est pas foncièrement le nombre de Conseillers fixé à 90; le problème c'est celui de la non-prise en compte des disparités géographiques et démographiques.
Sur le plan géographique, il est aberrant qu'une région comme celle de l'Est qui a une superficie de 109.000 km2 avec des enjeux et doléances à la mesure de sa superficie ait le même nombre de Conseillers Régionaux qu'une région comme celle du Sud qui a certes des gros défis de développement mais qui n'a que 43000 km2. En marge de la configuration géographique il aurait été intéressant pour ce projet de loi de prendre en ligne de compte l'élément démographique. En effet, les régions du Cameroun présentent des fortes disparités démographiques: Si la Région du Centre a une population de plus de 03 millions d'âmes, la Région du Sud elle n'a qu'environ 600.000 habitants.
Allant du postulat selon lequel les Conseillers Régionaux comme tous les élus locaux représentent les intérêts de leurs communautés respectives, il est injuste de placer les deux régions sus-citées sur la même balance, en leur fixant le même nombre de Conseillers Régionaux. En dépit de quelques combines, la formule utilisée pour le nombre de Conseillers Municipaux par Commune semble respecter ce postulat lié à la démographie. A l'aspect géographique et démographique, on peut ajouter l'aspect administratif.
Il est dit que les Conseillers Régionaux représenteront les départements. Si la Région du Nord n'a que 04 départements, celle de l'Ouest en a 08. Une simple analyse arithmétique nous fait comprendre que les départements de la Région du Nord auront deux fois plus de Conseillers Régionaux que ceux de la Région de l'Ouest, ce qui est une injustice naïve. Le projet de loi déposé sur la table du Parlement précise en outre qu'un décret fixera par département ou le cas échéant par circonscription issue d'un regroupement ou d'un découpage spécial, le nombre de Conseillers. On note encore là une tentative de manipulation politique à l'effet de se tailler la "part du lion"; sinon pourquoi prévoir encore en back office un découpage spécial alors qu'on a la latitude de déposer toutes les alternatives sur la table du Parlement habileté à légiférer sur des questions de législation électorale ? Biya a une fois de plus le désir de biaiser le jeu. Il est évident au regard de la configuration du budget 2019 et de l'actualité parlementaire que les élections régionales auront lieu cette année.
Il ne fait l'ombre d'aucun doute que Paul Biya, le maître du calendrier, compte faire passer crapuleusement les Régionales avant les municipales. Ceci est une grosse supercherie qui doit être contrée par tous les acteurs de l'opposition et de la société civile. Il est anticonstitutionnel et immoral de faire voter les Conseillers Régionaux par un corps électoral illégitime. Ces "grands électeurs" censés voter les Conseillers Régionaux ont été élus par le peuple en 2013 pour un mandat de 5 ans.
Ceci dit, leur mandat s'expirait en 2018. A cet effet, s'ils tirent encore leur légalité dans le décret de prorogation très calculateur de Biya, il faut noter que leur légitimité, elle s'est émoussée et a pris fin en 2018. Quand on est aux affaires, c'est de bonne guerre de trouver des voies et moyens pour contrôler l'entièreté du pouvoir, mais il est aussi judicieux de le faire en toute élégance républicaine. Vous nous poser la question de savoir si l'avènement des Conseillers Régionaux ne va pas ranger les Délégués du Gouvernement dans les vestiaires. Nous pensons qu'il n'y aura pas d'impact. Ces derniers continueront à jouer les "Supers Maires" et à fouler aux pieds de par leur mépris à l'égard des élus locaux, le très sacré principe républicain de légitimité légale rationnelle. Rien ne changera, car la simple présence des Maires dans les villes suffisait déjà pour supprimer ce poste superflu de Délégué de Gouvernement.
Au demeurant, il faut noter que ce projet de loi passera comme une lettre à la poste dans les deux Chambres du Parlement grâce à la majorité obèse du parti au pouvoir qui n'a jamais eu l'élégance et le cran de contrer un projet de loi de l'exécutif. Cette fois au moins, nous pouvons compter sur un sursaut d'orgueil de ces parlementaires pour au moins appeler à l'ajustement de contenu. Quant à l'impact de ce projet de loi et de sa mise en application, nous pensons que malgré la mauvaise foi qui se lit entre les lignes, les jalons d'une décentralisation de deuxième génération sont entrain d'être jetés.
Propos transcrits par Félix Swaboka