La grande popularité de l'acteur, mort ce lundi à 88 ans, ne s'est jamais démentie auprès du public français : il incarnait le flegme, la malice, l'élégance...
Le Concorde volait en direction de New York quand deux moteurs ont lâché. A bord, Jean - Paul Belmondo n’en menait pas large. Les hôtesses de l’air se sont affairées sans attendre pour servir à boire aux passagers affolés.
Dans cette effervescence paniquée, un homme s’est levé et a supplié l’acteur : « Faites quelque chose, monsieur Belmondo ! » « Qu’est-ce que je pouvais y faire ? », s’est marré le comédien en racontant, en 2015 à nos confrères du Parisien,cette anecdote survenue au début des années 1980.
Si l’histoire ne précise pas dans quelles conditions l’avion a fini par atteindre sa destination sans encombre, elle en dit long sur l’aura de Bébel, aux yeux du public. Comme s’il était dans la vie de tous les jours aussi casse-cou et héroïque que dans ses films. Comme si l’homme à la ville et ses rôles de fiction ne faisaient qu’un.
« Une espèce de décontraction totale »
« Ce qui a marqué les esprits dans le personnage qu’il a créé à l’écran, c’est une espèce de décontraction totale, permanente, très rare dans le cinéma français, avance à 20 Minutes Christophe Ernault, alias Alistair, rédacteur en chef de la revue Schnock. Il a tout de suite suscité la sympathie du public, contrairement à son "frère ennemi" Alain Delon. Il a une vraie cote populaire».
Le premier concerné était le premier surpris de cet engouement:
« Le regard des gens qui viennent me voir, ça m’étonne toujours. Parfois c’est ce moment où Guillaume Canet me dit que son fils Marcel regarde certains de mes films et les apprécie beaucoup.
Parfois ce sont des vieilles dames qui vont m’arrêter dans la rue et me parlent de certains de mes rôles au cinéma. D’autres, ce sont des jeunes de 20 ans qui vont me dire qu’ils aiment Peur sur la ville, Le Magnifique, ou des films que je n’aurais pas imaginé traverser les époques. A chaque fois, j’ai des échanges très gentils et respectueux”.
“Il était transgénérationnel et transartistique", souligne Christophe Ernault. Au début, il avait une certaine exigence, il tenait à faire des choix éclectiques. Quand on regarde sa filmographie, on a les yeux écarquillés par l’éventail esthétique, de Pierrot le fou au Guignolo… Il y a plein de points d’entrée, chacun peut trouver celle qui lui convient”.
Pas de traître, ni de vrai salaud
Comment expliquer l’adoration quasi unanime éprouvée par le public pour l’acteur ? Peut-être par sa capacité à rester dans le consensus et donc à éviter les controverses.
Pour le rédacteur en chef de Schnock, il s’agit d’une des preuves de "la fine intelligence” avec laquelle il a mené sa carrière : « Il s’est très peu exprimé sur des sujets politiques ou autres.
Au tout début, il était le syndicaliste des comédiens. Il avait une conscience politique mais il n’en a jamais fait un commerce ni un prosélytisme, ça lui a permis de ne pas se griller pour des polémiques ridicules. »
Son aura tient aussi beaucoup au choix de ses rôles. « Quand je tournais des films, j’étais quand même, très conscient de mes personnages. (…) Il fallait que je puisse les aimer et qu’on puisse les aimer, affirmait-il.
Je ne pense pas que j’aurais pu jouer un traître ou un vrai salaud. Pas parce que ce genre de profil ne m’intéresse pas, mais il y a des acteurs plus doués que moi pour les incarner parfaitement”.
Fait notable, il a refusé le rôle qui a finalement échu à Marlon Brando dans Le dernier tango à Paris de Bernardo Bertollucci. En cause, la scène dite “ du beurre” montrant un viol par sodomie.
Jean-Paul Belmondo s’est cantonné aux rôles sympas et cela lui a réussi. Ironiquement, c’est quand il incarne Stavisky dans le film du même nom réalisé par Alain Resnais qu’il connaît l’un de ses plus gros échecs. A l’époque, en 1974, les critiques lui ont reproché de rendre l’escroc… aimable.
« Son arme fatale, c’est l’humour »
Qu’il soit devant la caméra de Godard, celle de De Broca ou celle de Verneuil, Jean-Paul Belmondo apporte sa patte : une dose de flegme, un autre d’intrépidité, un peu de malice et l’œil qui, souvent, frise.
“Il incarne une idée bien française de joie de vivre, il flotte, il plane “, décrivait justement le réalisateur Quentin Dupieux à So Film il y a trois ans. « Son arme fatale, c’était l’humour. Il ne se prenait pas au sérieux. Le Magnifique est un chef-d’œuvre d’autodérision », salue, de son côté Christophe Ernault.
Mais la meilleure définition a sans doute été donnée en 2013 par Quentin Tarantino, venu à Lyon lui décerner le Prix Lumière: “Belmondo, ce n’est pas seulement le nom d’une star de cinéma, ce n’est pas seulement le nom d’un homme”, a déclaré le cinéaste américain. C’est un verbe qui représente la vitalité, le charisme, une force de l’esprit. Cela représente la "super coolitude".
Voilà pour le Belmondo public, celui dont l’apparition du nom, en haut d’une affiche de cinéma, était pour le grand public une promesse de divertissement. Le Belmondo intime reste méconnu.
Comme le dit l’actrice Mylène Demongeot : « C’est une force de caractère peu commune, avec un côté direct, déconneur, joyeux mais très sérieux. Il est rempli de courage et d’une force phénoménale, mais qui est derrière cette magnifique façade ? (…) Jean-Paul a fait en sorte que ni son travail ni ses problèmes ne se voient»; L’élégance, toujours.
N.R.M