L'évolution de la transmission et du nombre de cas sont de plus en plus inquiétants. Depuis début mai, plus de 1.600 cas confirmés de la variole du singe ont été signalés dans 32 pays où la maladie n’est pas endémique.
Moins d’une semaine après avoir appelé les Etats à « contrôler la flambée » du virus, le directeur général de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a jugé mardi l’extension de l’épidémie “inhabituelle et préoccupante”, estimant que “la situation nécessite une réponse coordonnée”.
Si au départ, seules quelques contaminations isolées ont été rapportées au Royaume-Uni ou au Portugal, le nombre de cas identifiés et de pays touchés a rapidement explosé et désormais, “le risque que la variole du singe s’installe dans les pays non endémiques est réel”, estime l’OMS, qui convoquera une réunion de son comité d’urgence la semaine prochaine pour évaluer si ce virus représente une “urgence de santé publique de portée internationale”. Alors, à l’instar du Covid -19, la contagion de monkeypox peut-elle tourner à la pandémie ?
Un virus présent sur plusieurs continents
Mis au jour à Wuhan fin 2019, le Covid-19 dépasse très vite les frontières de la Chine et se répand sur le globe en quelques semaines. Le premier cas français est identifié en février 2020 et le mois suivant, l’OMS qualifie le Covid - 19 de pandémie.
Concernant la variole du singe, les premiers cas non endémiques sont identifiés dès le 6 mai au Royaume-Uni. Les jours suivants, d’autres contaminations sont recensées dans plusieurs pays européens et aux Etats-Unis. Dans l'Hexagone, le premier cas est identifié le 19 mai.
Et aujourd’hui, il y en a plus d’une centaine. Selon les derniers chiffres communiqués ce mardi par Santé publique France, “125 cas confirmés ont été rapportés en France, dont 91 en Ile-de-France”.
Pour l’OMS, “l’apparition soudaine et inattendue” du virus dans les pays non endémiques suggère qu’il circulait depuis un certain temps, sans que sa transmission n’ait été détectée. “Comme pour le Covid-19”, relève le Dr Benjamin Davido, infectiologue à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine).
Est-ce à dire que la planète connaît une pandémie de monkeypox ?
“Il faut être prudent. Mais factuellement, on est face à une pandémie : le virus est présent sur plusieurs continents, et de façon très inhabituelle, l’Europe est touchée, note l’infectiologue. Si d’un point de vue géographique, on est sur une répartition pandémique ce n’est pas encore le cas du côté des chiffres, rassure-t-il. On recense une hausse des contaminations, mais on n’est pas (encore) face à une maladie galopante”.
Des modes de transmission et des symptômes spécifiques
Contamination par les surfaces ou par les gouttelettes : “on a un peu tâtonné avant d’affirmer que le Covid-19 se transmettait essentiellement par aérosol, se souvient le Dr Davido. Avec la variole du singe, on a aussi tâtonné pour définir les modes de transmission et les pourcentages qu’ils représentent”.
Comme le Covid-19, le monkeypox est une zoonose, une maladie initialement transmise à l’homme par des animaux infectés, sauvages ou en captivité, morts ou vivants, tels les rongeurs ou les singes.
Côté symptômes, les deux virus diffèrent. “Là où le Covid-19 a suscité l’inquiétude avec les risques de forme grave et d’atteinte des poumons, la variole du singe, elle, n’est associée à aucun cas de complications pulmonaires ou neurologiques, et est caractérisée par l’apparition de lésions cutanées, décrit l’infectiologue.
Or, si beaucoup de publications illustrent le monkeypox avec des personnes noires présentant des lésions sur les mains, les quelque 1.000 cas recensés ces dernières semaines touchent principalement des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) occidentaux présentant des lésions au niveau génital”, souligne le Dr Davido qui, fin mai, a pris en charge deux patients français touchés.Une “éruption ano-génitale” présente dans «77% des cas investigués”, indique Santé publique France.
La particularité de ces cas non endémiques repose sur “leur mode inédit de transmission par voie sexuelle, par contact direct avec les lésions cutanées ou les muqueuses d’une personne malade. Et tous les cas présentent des lésions exclusivement localisées au niveau génital”, poursuit le Dr Davido, auteur d’un article sur ce sujet publié ce mardi dans le Journal of Travel Medicine.
On est donc sur un mode de transmission très différent du Covid-19, avec une vitesse de propagation beaucoup plus lente. Et si comme le Covid-19 (depuis les campagnes de vaccination massive), la maladie a un taux de létalité assez faible, de moins de 1 %, elle reste très angoissante pour les malades. L’un de mes patients m’a dit : "j’ai peur de perdre mon pénis" ».
Des vaccins disponibles, mais…
Heureusement, un vaccin contre la variole humaine offre une immunité croisée contre le monkeypox “avec un haut niveau d’efficacité” d’environ 85 %, a rassuré Sylvie Briand, directrice du département des maladies pandémiques et épidémiques à l’OMS. Début 2020, alors qu’on parle du “nouveau coronavirus”, aucun vaccin n’existe encore. Il faudra attendre la fin de l’année pour que les premiers vaccins anti - Covid ne voient le jour – en un temps record – et commencent à être administrés.
Mais si les laboratoires ont été en capacité de produire des millions de doses pour protéger du coronavirus, à ce jour, l’OMS ne sait pas combien de doses de vaccin antivariolique sont disponibles dans le monde. L’organisation cherche à faire l’inventaire des stocks et contacte “les fabricants (de vaccins) pour connaître leurs capacités de production” et de distribution, a déclaré Sylvie Briand.
Et “on n’a peut-être pas suffisamment de vaccins, s’inquiète le Dr Davido. On ignore l’état des stocks, qui relèvent de la réserve stratégique pour faire face à une menace bioterroriste”.
Mais ce mardi, la Commission européenne et le laboratoire danois Bavarian Nordic ont annoncé la conclusion d'un contrat portant sur l’achat de plus de 100.000 doses.
A la différence du Covid-19, l’OMS “ne recommande pas la vaccination de masse contre la variole du singe”, a précisé le Dr Tedros. En France, la Haute autorité de santé (HAS) préconise “ la vaccination des cas contacts”, ou vaccination en anneau. Une stratégie adoptée « en 1972 lors de l’épidémie de variole humaine au Kosovo, qui a permis d’y mettre un terme en quelques semaines”, rappelle le Dr Davido.
Des réflexes à adopter pour casser les chaînes de transmission
Individuellement, comme pour le Covid-19, des réflexes sont à adopter pour casser les chaînes de transmission du monkeypox. “On sait que la maladie peut être très contagieuse, comme peuvent l’être la varicelle et la variole humaine en provoquant des croûtes infectantes, explique le Dr Davido.
Donc à partir du moment où on a une maladie éruptive, des lésions sur le corps, on appelle le 15 pour se faire dépister sans délai et lancer le tracing des cas contacts pour les vacciner. Ensuite, les malades doivent s’isoler jusqu’à disparition complète des croûtes, soit environ trois semaines”.
Et avec des cas qui se caractérisent par une transmission par voie sexuelle, “il est important de faire de la prévention, comme on le fait pour les autres infections sexuellement transmissibles (IST), insiste l’infectiologue. Ensuite, si les cas explosent et que les stocks le permettent, peut-être sera-t-il opportun de préconiser la vaccination des populations à risques”. Pour l’heure, “on a tous les éléments pour éviter la pandémie : on connaît le virus, il est moins transmissible, et on dispose d’un vaccin”, résume le Dr Davido.
Mais sans une stratégie de surveillance renforcée et d’action rapide autour de chaque cas identifié, le scénario pourrait tourner à la contagion massive, envisage une équipe de chercheurs néerlandais, suisses, allemands et américains qui a mené une étude publiée en février dans la revue PLos Neglected tropical Diseases sur tous les cas de variole du singe recensés depuis l’apparition de ce virus et qui estime qu’elle pourrait être la prochaine grande pandémie.
Pourquoi ?
“La diminution de l’immunité de la population liée à l’arrêt de la vaccination contre la variole a établi le paysage de la résurgence du monkeypox, pointent les chercheurs. C’est démontré par l’augmentation du nombre de cas et de l’âge médian des personnes qui le contractent.
De plus, l’apparition de cas en dehors de l’Afrique met en évidence le risque de propagation géographique de la maladie, préviennent-ils. A la lumière de l’environnement actuel des menaces pandémiques, l’importance pour la santé publique de la variole du singe ne doit pas être sous-estimée”.